Regards n°1108

Chronique graphique de la shoah à Bruxelles

Paru aux Éditions La 5e Couche, Jim d’Etterbeek révèle l’art mémoriel de Chaïm Kaliski (1929-2015). Son parcours d’enfant juif caché à Bruxelles durant la guerre constitue le fil conducteur de son œuvre. La chronique de Kaliski, qui s’étend des années vingt à l’après-guerre, explore Etterbeek mais aussi d’autres communes de Bruxelles : Anderlecht, Schaerbeek, Saint-Gilles, Ixelles.

Né à Etterbeek dans une famille juive de Pologne, Chaïm Kaliski a dix ans en mai 1940. Les mesures antisémites se multiplient, le forçant à quitter l’école. La nuit du 2 au 3 septembre 1942, avec son frère cadet René, il échappe par miracle à la grande rafle de Cureghem. Son père, Abraham, arrêté place Jourdan le 12 février 1944, puis envoyé à la caserne Dossin, ne reviendra pas de déportation. Étant l’aîné, « Jim » doit subvenir aux besoins de sa famille et travaille dans la maroquinerie. La disparition brutale de son père et l’extermination des Juifs ne cessent de le hanter. Sa sœur cadette, Sarah, qui est peintre, l’encourage à dessiner.

À partir de 1989, Jim commence à créer en autodidacte des centaines d’œuvres représentant la shoah, associant dessin, peinture et écriture à l’encre de Chine. Prolifique, il étend son travail de mémoire aux génocides arménien et tutsi… ainsi qu’à des sujets plus sereins, telles les vies de Jacques Brel et Johnny Hallyday.

Comme l’évoquent William Henne et Xavier Löwenthal, directeurs de La 5e Couche, Jim Kaliski a réalisé plus de 6.000 dessins et planches, à la plume et à l’aquarelle, le plus souvent sur des feuilles de papier Canson A3, qu’il signait et datait. Son œuvre prolifique a été montrée par bribes, notamment au Musée juif de Belgique en 2007, lors d’une exposition sur les trois artistes de la famille Kaliski : René Kaliski le dramaturge, Sarah la peintre et Jim « l’artiste brut ». Jim d’Etterbeek présente pour la première fois les planches de Kaliski sur la Shoah dans leur continuité narrative et historique. Cette publication exigeait un travail important. L’œuvre, soigneusement conservée, devait être entièrement inventoriée, triée, numérisée, traitée… jusqu’à constituer la matière d’une série de quatre volumes. Jim d’Etterbeek rassemble 336 planches, crées de 1989 à 1999. Dossin, antichambre de la mort, sortira en juin 2025, suivi par Le génocide des Juifs d’Europe (2026) et Auschwitz (2027).

Pour la première fois, on peut se plonger dans cette incroyable chronique visuelle de la vie juive à Bruxelles sous l’occupation : un témoignage unique, un récit autobiographique raconté du point de vue d’un enfant à la mémoire précise et colorée, se remémorant des faits qui ne cesseront de le hanter avant qu’il ne se mette à les dessiner 50 ans après ! Chaque planche rapporte des faits du quotidien, situés dans leur contexte historique précis. Jim dessine les façades et les vitrines de l’époque, les tickets de rationnement, etc. Il note les films à l’affiche des cinémas, les chansons passées à la radio… Des événements traumatiques font l’objet de multiples représentations, telles la rafle de 1942 à Cureghem et la disparition de son père. Parmi les personnages récurrents, le « gros Jacques », protagoniste de la traque aux Juifs à Bruxelles.

Œuvre d’un orphelin de la Shoah

En introduction, Joël Kotek rappelle le contexte historique de cette « œuvre incontournable d’un orphelin de la Shoah », que son complice, Didier Pasamonik, situe dans le cadre de leur recherche conjointe sur l’histoire de la Shoah en BD. « Jim, hypermnésique, se souvient de tout, de vraiment tout et son œuvre graphique est un exorcisme », souligne Didier Pasamopnik. La vie de Jim s’arrête à l’arrestation d’Abraham. Il vit dans ses souvenirs, aussi riches et vivaces que la réalité. Encouragé par Sarah, il se met finalement à les transcrire en récit graphique. La chanson Seule ce soir de Léo Marjane (1912-2016), star de la chanson française sous l’Occupation, omniprésente sur les planches de cette chronique graphique de la Shoah à Bruxelles, exprime la douleur infinie et jamais cicatrisée du « vieil enfant », meurtri par la disparition de son père. 

Écrit par : Roland Baumann

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