Cinquante nuances d’extrême-droite ?

Frédérique Schillo
Troisième force politique en Israël, l’extrême-droite sioniste religieuse, clé de la victoire du bloc de Netanyahou, accède désormais au pouvoir, marquant une nouvelle étape dans la radicalisation de la société juive.
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Jamais Israël n’a été aussi à droite. Cela sonne comme une vieille rengaine fredonnée à chaque élection. Depuis 20 ans, le pays se radicalise un peu plus, suscitant malaise et inquiétude dans l’opposition de centre-gauche comme chez les observateurs étrangers. Quand Naftali Bennett avec sa kippa tricotée est entré en politique au début des années 2000, on l’a traité de fasciste. Idem pour Avigdor Liberman, dépeint en extrémiste aux élections de 2009. Ayelet Shaked avait moqué ses détracteurs dans un spot de campagne en 2019 où elle vantait le parfum Fascisme : « Pour moi ça sent la démocratie ». Elle est finalement devenue ministre dans la coalition de centre-gauche Bennett-Lapid la plus inclusive de l’histoire, avec pour la première fois un parti arabe. Dans un basculement politique comme le pays en a rarement connu, lui succèdent Netanyahou, ses alliés traditionnels ultra-orthodoxes et les sionistes religieux, forts de 14 sièges. Désormais, c’est Liberman le laïque qui se dit « très inquiet » : « Ils vont former un régime d’ayatollahs, en version bleu-blanc ».

Israël n’en finit pas de déplacer le curseur à droite ; un phénomène observé dans de nombreuses démocraties. 60% des Juifs israéliens s’identifient aujourd’hui à la droite, 70% chez les 18-24 ans. Cette droitisation s’est encore aggravée depuis la crise politique ouverte par la mise en examen de Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance. Car depuis lors, sa stratégie pour rester au pouvoir consiste à radicaliser son discours contre la police, les juges, les médias, et à contourner l’opposition de droite classique en renforçant l’extrême-droite religieuse. Le Likoud en a déjà pâti. Le phare de la droite israélienne, libéral, nationaliste et laïc s’est mué en un parti conservateur, ultranationaliste et religieux, tout entier dévolu à la survie politique et judiciaire de son chef. Quitte à menacer l’Etat de droit.

Dans sa stratégie du contournement de ses anciens alliés de droite, Netanyahou a choisi de s’appuyer sur l’extrême-droite. C’est lui qui a orchestré en coulisses l’alliance entre trois suprémacistes juifs : Itamar Ben Gvir (Force juive), Bezalel Smotrich (Sionisme religieux) et Avi Maoz (Noam). En 1984, quand le rabbin extrémiste Meir Kahane est monté à la tribune de la Knesset, tous les députés Likoud étaient sortis en signe de protestation. En 2021, c’est Netanyahou qui a fait entrer le néo-kahaniste Ben Gvir au parlement. Aujourd’hui, il lui offre le fauteuil de ministre de la Sécurité nationale en charge de la police avec des pouvoirs élargis à la police des frontières en Cisjordanie.

Racistes, annexionnistes et messianiques

Or qui est Ben Gvir, sinon un défenseur du terrorisme juif ? Né dans une famille juive d’origine kurde irakienne (du nom de Ben Hânin), l’adolescent fait ses premières armes au Kakh, le parti de Kahane, un rabbin israélo-américain, fondateur de la Ligue de Défense juive, qui prônait la déportation des Arabes en Jordanie et la restauration de la monarchie juive, avant d’être assassiné en 1990 par un Egyptien. La première apparition publique de Ben Gvir date de 1995, quelques semaines avant l’assassinat d’Yitzhak Rabin par Yigal Amir : il est filmé brandissant le sigle de la Cadillac de Rabin : « Nous avons eu sa voiture. Nous l’aurons aussi ! » Devenu avocat des terroristes et extrémistes juifs, il milite depuis pour la libération d’Amir. Non sans être accusé lui-même : il a été inculpé plus de 50 fois pour des activités extrémistes et condamné en 2007 pour avoir brandi une pancarte « Expulsez l’ennemi arabe ». En 2015, il assistait au « mariage de la haine » où les participants ont poignardé une photo d’Ali Dawabshe, un bébé palestinien tué dans un incendie criminel. Et jusqu’à peu trônait chez lui à Kyriat Arba, colonie extrémiste de Cisjordanie, le portrait du kahaniste Baruch Goldstein, l’assassin du Caveau des patriarches.

« Ceux qui pensent qu’Itamar Ben Gvir est un horrible personnage qui ne contribue pas à Israël se trompent amèrement. Il croit en de très nombreux principes auxquels, nous, au Likoud, croyons également », assure le député Likoud Miki Zohar. A l’écouter, il n’y aurait que quelques nuances de droite entre lui et le suprémaciste juif. Pathétique, cette tentative de dédiabolisation souligne surtout la droitisation du Likoud qui s’est par exemple positionné depuis dix ans en faveur de l’annexion de la Cisjordanie, même si Netanyahou préfère étendre discrètement chaque jour un peu plus les droits dans les implantations juives que de faire une annexion brutale et risquer un tollé international. Ben Gvir ne s’embarrasse pas de telles précautions : son parti appelle à l’annexion de la Judée-Samarie, sans droit de vote des Arabes, mais aussi à la suppression du Waqf avec autorisation de la prière juive sur le mont du Temple, et à une refonte du système judiciaire pour casser les pouvoirs de la Cour suprême (ce qui sied à Netanyahou).

Ne manque dans le nuancier de l’extrême-droite que le transfert des Arabes. Ben Gvir y était favorable ; il s’en tient désormais à l’expulsion des terroristes arabes. En revanche, Bezalel Smotrich y fait des allusions appuyées, parlant de « transfert volontaire », regrettant que Ben Gourion n’ait « pas terminé le travail » ou citant une expression de Kahane : les Arabes deviendront « des épines dans les yeux » s’ils ne sont pas chassés. Ancien colistier de Bennett, Smotrich s’est opposé à la normalisation du sionisme religieux et a fini par s’allier aux kahanistes. Raciste revendiqué, qui refuse que son épouse partage une chambre de maternité avec une arabe, mais également « fier homophobe », misogyne et anti-laïques, il pourrait n’être que la version ashkénaze de Ben Gvir s’il n’était beaucoup plus religieux. Selon Smotrich, « Israël doit suivre les lois de la Torah, comme au temps du roi David ». Une de ses premières propositions depuis l’élection est d’autoriser la ségrégation hommes-femmes dans certains événements publics.

Plus extrême que l’extrême-droite

Comme si cela n’était pas assez radical, le parti Noam, fondé en 2019 par Avi Maoz, lui aussi membre de la liste parrainée par Netanyahou, entend promouvoir davantage les valeurs juives, en s’attaquant aux droits LGBT et aux minorités. Il a pour allié Lehava, une organisation suprémaciste juive à la limite du hors-la-loi. En 2014 trois de ses membres ont été condamnés pour avoir incendié une école judéo-arabe à Jérusalem et tagué sur ses murs des messages racistes : « Mort aux Arabes », « Kahane avait raison ». Son chef Bentzi Gopstein a voulu se présenter comme député avec son avocat (un certain Itamar Ben Gvir), mais il en a été interdit, bien que son parti ait échappé jusqu’à présent à l’appellation terroriste.

Deux autres fondateurs de Force juive, Baruch Marzel et Michael Ben Ari, ont aussi été empêchés de se présenter au scrutin de novembre en raison d’incitations à la haine. Cela ne les empêche pas de fonder un nouveau parti, dont le programme se résume ainsi : il faut aller plus loin sur le transfert des Arabes.

« Leur peur est mon rêve »

Si l’offre extrémiste ne tarit pas, c’est qu’elle rencontre un vrai succès, en particulier chez les jeunes : 7% des 18-24 ans ont voté Sionisme religieux en novembre (deux fois plus que pour la gauche). La percée se constate chez les mizrahim des villes périphériques et dans les colonies. A Efrat, bastion de Bennett, la liste de Ben Gvir et Smotrich est arrivée première avec 48% des suffrages, soit le double d’il y a un an et demi. Une sanction pour Bennett, dont la coalition élargie jusqu’au parti arabe Raam a été vécue comme une trahison par ses partisans. L’électorat de droite, y compris Likoud, réclame aussi une droite plus dure depuis la guerre de mai 2021 à Gaza et le déchaînement de violences dansles villes mixtes israéliennes.

Tout le talent de Ben Gvir a été de récupérer cette colère. On l’a vu attiser les haines à Sheikh Jarrah, se déplacer le premier sur les lieux de chaque attentat pour y lancer des messages vengeurs et même dégainer son arme devant des vigiles arabes en plein Tel-Aviv. Que fera-t-il demain comme chef de la police ?

Il se peut que Ben Gvir soit, comme Bennett, entravé et affadi par l’épreuve du pouvoir. Son changement de ton sur le transfert des Arabes pourrait déjà le laisser croire, tout comme son appel à remplacer les cris de « Mort aux Arabes » par « Mort aux terroristes ». « Je jure ne pas être le rabbin Kahane », promet-il. Mais à un journaliste de la chaîne 13 qui s’étonne de voir son domicile rempli de livres écrits par Kahane, Ben Gvir s’emporte : « Vous êtes incapables de comprendre la nuance ! » Ses partisans, eux, l’ont bien saisie. Un membre de Force juive a récemment été filmé en caméra cachée en train d’expliquer que Ben Gvir feignait un « extrémiste modéré » – là est la nuance – pour entrer au gouvernement et y dérouler ensuite son programme. Une tactique du cheval de Troie qui ne devrait pas surprendre. Après tout, Ben Gvir a prévenu : « la gauche sait que, contrairement à tous les autres politiciens, je fais ce que je dis, et cela leur fait peur. Leur peur est mon rêve ». 

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Amos Zot
Amos Zot
1 année il y a

Parler de la droitisation d’Israël sans mentionner le terrorisme palestinien, les pogroms anti-juifs par des israéliens palestiniens est tout simplement de l’antisémitisme.
Tant que la loi en Israël , en Belgique, … ne permettra pas de condamner l’auteur de tels articles à des peines de prison ferme, il ne sera pas possible de lutter contre l’antisémitisme. Ce sont de tels articles qui confortent certains extrémistes propalestiniens à agresser physiquement des Juifs.
Toutes les autres méthodes pour lutter contre l’antisémitisme ont échoué depuis plus de 2000 ans, il faut sanctionner pénalement en commençant par les “influenceurs” (journalistes, enseignants, artistes, politiciens,…).

Anne Rozenberg
Anne Rozenberg
1 année il y a
Répondre à  Amos Zot

Dans ce cas, cher Monsieur, il existe de très nombreux Isréaliens antisémites si l’on vous suit. Tout ceux qui rapportent des faits, juste des faits.

Amos Zot
Amos Zot
1 année il y a
Répondre à  Anne Rozenberg

Effectivement Chère Madame, il y a des Israéliens antisémites et même des Juifs antisémites qu’ils soient Israéliens ou non d’ailleurs. Vous me suivez mal et pour paraphraser Rousseau , je vous dirai que je ne connais pas l’art d’être clair pour qui ne veut pas être attentif. Ce qui est aussi de l’antisémitisme (voir définition de l’IHRA votée même par le Parlement européen ) c’est le double standard à l’encontre d’Israël.
Si les faits ne sont pas avérés, c’est grave mais si on rapporte des faits avérés mais en taisant d’autres faits beaucoup plus graves , c’est grave également. Dans les 2 cas, il s’agit de désinformation ; dans le premier cas basée sur des faits inventés.

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Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris