Conspirationnisme, extrême droite et pédophilie

Olivier Douman
Au lendemain de l’abolition de la peine de mort en France, le thème de la pédophilie se voit développé, avec insistance, au sein de la droite populiste. Depuis les années 1970, la majorité des affaires mettant en cause des réseaux pédophiles, réels ou fantasmés, furent traitées avec un luxe de précisions dans les colonnes de la presse d’extrême droite (Minute ou de Crapouillot). Avec souvent, en arrière-plan, la question de la peine de mort et de son abolition censée avoir été la porte ouverte au libre déchaînement de toutes les perversions.
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Révélateur à cet égard fut le livre de Yann Moncomble (fondateur de la maison d’édition Faits et Documents dont le journaliste et archiviste d’extrême droite Emmanuel Ratier reprendra le titre), La politique, le sexe et la finance, paru en 1989, et dans lequel, excipant d’un procès-verbal de police dont rien ne prouve l’authenticité, Christian Ranucci (guillotiné et dont la culpabilité fut remise en cause par Gilles Perrault dans le roman Le pull-over rouge) fut accusé d’avoir fait partie du réseau d’un réseau pédophile, autrement dit d’avoir été un pédophile.

Néanmoins, les articles et dossiers publiés sur le sujet par les journaux précités n’ont jamais relevé d’un quelconque complotisme au sens actuel du terme. Critiquables de par les présupposés politiques qui les sous-tendent (la gauche accusée d’être le vecteur de la « décadence » des mœurs et donc, à en croire un discours en vogue à l’extrême droite, de la pédophilie), ils demeurent toutefois généralement bien étayés et ne comportent qu’assez peu d’erreurs factuelles.

Le complotisme relatif à la pédophilie vient plus tard et par d’autres canaux. Aux Etats-Unis avec la grande vague « anti-sataniste » qui reprend le grand récit antimaçonnique tel qu’il fut mis en scène, notamment par Léo Taxil, à la fin du 19e siècle. On se souvient du travail de David Shaw, journaliste au Los Angeles Times, qui mit à nu l’affaire de la Mc Martin School, cette école maternelle californienne accusée d’avoir organisé des orgies pédophiles mâtinées de rituels satanistes. En France, c’est dans le sillage de l’affaire du pasteur Doucé que les premiers récits complotistes apparaissent. A la tête du réseau Ornicar, Thierry Meyssan joue à l’époque un rôle pionnier, mettant sur pied un récit mêlant les services secrets iraniens, la librairie néo-nazie Ogmios, et la revue pédophile Gaie France Magazine. Dirigée par le militant néonazi Michel Caignet, cette revue fera l’objet, plusieurs années durant, des fantasmes d’un Meyssan qui élaborera ainsi un discours, dont la logique intellectuelle (« tout est complot », « on nous cache tout ») se retrouvera appliquée par la suite aux évènements du 11 septembre 2001.

Il est à cet égard révélateur que c’est dans la mouvance des supporters de Dieudonné et de Soral que se recrutent majoritairement aujourd’hui les adeptes du discours sur le « complot pédophile », régulièrement associé à la franc-maçonnerie, aux « Illuminatis », et plus rarement enfin aux « reptiliens ». Internet ayant entre temps pris la place que l’on sait, nombre d’anciennes affaires refont par ailleurs surface, comme si le temps venait d’être aboli. Espace qui de facto consacre l’absence de limites, les récits complotistes ayant pour objet la pédophilie connaissent sur la toile une expansion constante. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’agression contre l’ancien juge pour enfants, Jean-Pierre Rosenczweig. Chef de cabinet de la ministre socialiste Georgina Dufoix à l’époque de la mise en cause du Coral, Jean-Pierre Rosenczweig fera l’objet, dans ce contexte, de soupçons avant d’être rapidement mis hors de cause. Illustration là encore de la faiblesse de la raison rationnelle devant le déchaînement de l’imaginaire conspirationniste, Rosenczweig est depuis plusieurs années maintenant la cible de proches de Dieudonné M’Bala qui exhument sur la toile les accusations portées à l’époque par l’extrême-droite et dont l’institution judiciaire a depuis longtemps fait litière. Mené par Pierre Panet, qui fut successivement candidat pour Euro-Palestine (CAPJPO, 2004), la Liste antisioniste  (Dieudonné, 2009) et enfin pour le Front national, un commando d’une dizaine d’individus est allé jusqu’à agresser le célèbre magistrat. Ce dernier, qui doit en outre essuyer une campagne de diffamation sur la toile, a porté l’affaire devant la justice. Ce qui se réduit au premier abord à un simple « fait divers » n’en est pas moins symptomatique, eu égard tant à l’identité des agresseurs qu’à celle de la victime identifiée comme « juive » par ces derniers, de l’importance de la dimension judéophobe qui est en jeu dans ce contexte de suprématie d’Internet où, l’association pédophilie/satanisme aidant, l’image du meurtre rituel n’est jamais bien loin.

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