C’est un moment paradoxal : la création d’Israël est à la fois l’aboutissement d’un projet ancien, le sionisme, qui a été pensé, défendu, discuté, par des politiques, des intellectuels, en Europe et aux Etats-Unis depuis la fin du XIXe siècle -donc un phénomène à replacer sur le temps long- et un mélange de ce qu’on appelle familièrement en hébreu la haltoura ; c’est-à-dire une chose décidée à la dernière minute, qu’on met en place un peu dans la précipitation. L’événement, tant espéré, tant attendu, surgit littéralement.
L’Etat d’Israël est né. Il y a quelque chose de miraculeux dans l’énoncé de cette formule. Et pourtant, l’événement ne tient ni du miracle ni de la pensée magique, il est le résultat de l’activisme têtu et du volontarisme forcené d’une poignée d’hommes, politiques, militaires et diplomates sionistes, emmenés par David Ben Gourion. Quand l’idéologie sioniste peut paraître comme un doux rêve, on est là à l’opposé de l’utopie : l’événement est profondément enraciné dans le réel. Il émerge d’une guerre civile meurtrière qui se mue en conflit régional au Proche-Orient, et n’est rendu possible que par des décisions politiques et diplomatiques fortes.
Comment l’indépendance s’est-elle alors imposée ? Quels sont les arguments qui ont plaidé en sa faveur ? Et en quoi proclamer la création d’Israël pouvait-il être un acte raisonnable, ou au contraire absolument passionnel, au moment où les sionistes, lâchés par l’allié américain en plein chaos de la guerre civile, affrontaient le spectre d’un conflit régional ? Pour y répondre, nous allons déconstruire l’événement en étudiant successivement sa dimension politique, notamment à travers l’idée de l’Etat chez Ben Gourion, l’influence du facteur diplomatique avec les succès inouïs de la diplomatie sioniste, puis l’importance cruciale du fait militaire en raison du poids de la guerre, et reprendre ainsi le fil chronologique qui a mené au tournant historique du 14 mai 1948.