La shoah, génocide exemplaire

Joel Kotek
Si l’on en croit le sociologue américain, Rudolph J. Rummel, les multiples conflits mondiaux auraient causé, entre 1900 et 1967, la mort de quelque 169 millions de civils et de prisonniers de guerre. Dans cet ordre d’idée là, la Shoah apparaîtrait presque comme dérisoire pour n'être qu'un événement parmi d'autres du terrible 20e siècle. Or, manifestement, tout témoigne du contraire, d'abord, parce que, s’agissant de la Seconde Guerre mondiale, le sort subi par les Juifs ne se compare à aucun autre groupe cible (il suffit de songer aux crimes et persécutions à l'encontre des Slaves, des noirs, des communistes, des homosexuels et même des Tsiganes), ensuite, parce que par rapport aux autres génocides du siècle, le destin des Juifs apparaît tout aussi singulier.
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Au-delà de l’évidente « communauté de destin » qui unit les quatre peuples victimes de génocide (herero, arménien, juif et tutsi), la Shoah constitue un événement « sans précédent », ‘sans précédent’ et non ‘unique’ dans la mesure où tout événement historique est par définition unique. L’usage de l’adjectif ‘unique’ pourrait donner à croire que la Shoah serait un événement tellement singulier qu’il ne pourrait se répéter. Or, tout ce qui est humain peut se répéter et s’est d’ailleurs répété (on songe au Rwanda), certes, pas exactement de la même manière, mais de manière très proche et similaire. Le concept d’unicité pourrait encore induire l’idée d’une sorte d’événement a-historique, voire même de l’ordre du divin. C’est la position de certains courants ultra-orthodoxes juifs et fondamentalistes chrétiens qui voit dans la Shoah un signe tantôt de châtiment, tantôt de rédemption divine. L’usage controversé du concept d’holocauste participe, qu’on le veuille ou non, de cette idée.

Il ne saurait être question de sacraliser la Shoah, de chercher à la situer, en quelque sorte, en dehors de l’histoire. Le processus de destruction des Juifs se doit, au contraire, d’être doublement contextualisé, verticalement et horizontalement.

Par verticalité, j’entends dans la profondeur historique, c’est-à-dire en convoquant la longue durée, celle des difficiles relations judéo-chrétiennes à l’échelle européenne et pas seulement allemande. A la place spécifique et abaissée des Juifs dans la Cité chrétienne répondent les spécificités de l’ethos nationaliste allemand : son rapport racialiste (völkisch) à la nation qui ne laisse aucune place au désir d’intégration des israélites, sa quête désespérée et aboutie d’un bouc émissaire au lendemain de la défaite de 1918, etc.

Par horizontalité, j’entends la mise en perspective de la Shoah dans le cadre général des Dans cette étude, il s’agit de démontrer en quoi l’idée de singularité de la Shoah n’est ni un préalable d’analyse, ni le symptôme d’une quelconque volonté de hiérarchisation des souffrances, mais juste le point d’arrivée d’un travail comparatif qui situe le génocide en apex des crimes de masse et le judéocide, en génocide paradigmatique. Revendiquer une spécificité à la Shoah ne s’inscrit nullement dans une démarche ou prétention à faire du malheur juif le summum de la souffrance humaine et/ou faire bénéficier les Juifs d’un capital moral et/ou d’un bien symbolique, destiné à les placer au premier rang des victimes. Si, d’un côté, notre terrible 20e siècle, selon l’expression d’Albert Camus, a bien connu d’autres tragédies et génocides que la Shoah, celle-ci n’en reste pas sans précédent, et ce, compte tenu d’éléments objectifs déterminants que nous allons développer en notre seconde partie de cette étude : l’antisémitisme, l’idéologie paranoïaque des nazis et le caractère irrationnel du génocide des Juifs.

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