Golda

Florence Lopes Cardozo
Voilà une coïncidence des plus troublantes. Ce film tant attendu, qui contextualise la guerre du Kippour autour de la figure historique de Golda Meir, se calque, exactement 50 ans plus tard, sur notre actualité monstrueuse.
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Golda se focalise sur les vingt jours de la guerre du Kippour, en 1973, alors que la première ministre israélienne doit prendre des décisions cruciales. Le film suit ses traversées mentales et physiques dans la gestion de la pire guerre qu’Israël ait connue. Le film s’ouvre et se ferme sur ses grands moments de solitude. Golda Meir fend une foule d’Israéliens en colère pour aller témoigner, en 1974, devant la Commission d’enquête Agranat à Jérusalem, examinant les dysfonctionnements de cette guerre.

Golda assume toute la responsabilité de ses actes. Elle sait que sa vie est finie. Elle sera toujours liée à l’échec de la guerre du Kippour, analyse le cinéaste Guy Nattiv. Elle n’était pas la bonne personne, elle était au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle, qui ne voulait pas devenir première ministre, en 1969, y a été poussée parce que personne d’autre ne voulait y aller. Elle a ensuite été plongée dans ce chaos en essayant de le gérer tant bien que mal, entre son intuition, des failles colossales et des erreurs humaines fatales. Alors que l’armée évoque ses chars perdus, Golda consigne dans un petit carnet le nombre de vies ôtées.

Personnage aussi fascinant que complexe

Ce portrait, probablement adouci, dépeint le sang-froid de cette femme hors du commun : « Si j’ai d’abord perçu Golda Meir comme une héroïne, ce que j’ai appris ensuite, au cours des années, a fissuré cette icône. Les Israéliens sont loin d’être unanimes à son propos : certains l’aiment, d’autres la détestent. Les Juifs de la diaspora semblent, eux, idéaliser la jeune femme sioniste venue de Milwaukee, dans l’espoir d’aider Israël. » Guy Nattiv a néanmoins trouvé son personnage aussi fascinant que complexe : « Elle était très dure, fort intelligente, très avisée et très informée sur le monde. Et elle était une grande politicienne, qui savait comment, traiter et gérer les gens, négocier avec les Américains et apporter de l’aide en dehors d’Israël. Mais elle était par ailleurs une femme obstinée, avec des principes, et son entêtement l’a également mise dans des situations désastreuses. Elle accordait sa confiance à peu de gens, et encore moins aux dirigeants arabes. Engagée dans la guerre, elle n’avait pas de vision sur la manière de faire la paix, et n’était pas disposée à avoir une conception plus large du Moyen-Orient. »

Pour le choix de l’actrice, beaucoup de gens demandent au réalisateur israélien comment ça s’est passé avec Helen Mirren. Elle-même lui a d’ailleurs demandé pourquoi il l’a choisie pour interpréter Golda Meir. Guy Nattiv lui a alors répondu : « Vous avez l’âme, l’intelligence et le feeling de Golda. Pour moi, en tant qu’Israélien et Juif, peu importe que vous soyez juive, vous êtes l’une des meilleures actrices de notre temps : pour moi vous êtes Golda ! Quand je l’ai vue le premier jour sur le plateau avec toutes les prothèses, j’ai été époustouflé. Elle a vraiment traduit chaque nuance du personnage. Je suis très reconnaissant d’avoir pu travailler avec une légende du cinéma. ».

On y verra aussi Lior Ashkenazi, Camille Cottin à contre-emploi et Liev Schreiber. Ce film intense et esthétique joue sur le son, sur les notes d’un violon grave qui pleure, sur les reconstitutions sonores de la tragédie sur le terrain de la guerre qu’on ne voit pas, sur les silences ; côté image, le noir et blanc cède aux couleurs des années 70, des flous et des ralentis donnent du poids aux scènes et les amplifie. Ce huis clos regorge aussi de détails à différents niveaux, dans les décors, dans la mise en scène, dans le jeu, la gestuelle de chaque acteur. Guy Nattiv opère encore un parallèle entre le terrain miné d’Israël et la maladie cachée de Golda, des cellules agressives rongent son corps. Elle ne lâche pas sa cigarette pour autant.

Né en 1973 en Israël, Guy Nattiv a été porté par sa mère dans un abri anti-aérien tandis que son père partait à la guerre. Il relate avoir grandi avec des histoires de guerre et aussi avoir été accompagné de la célèbre chanson Choref Shiv’im Veshalosh (Hiver 73) qui dit en substance que la guerre de Yom Kippour était celle qui devait mettre fin à toutes les guerres en Israël.

Golda

Un film de Guy Nattiv.

Durée : 1h40

Sortie en salles : le 3 janvier 2024

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