Je lis, tu lis, ils écrivent… Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon, éditions Stock, 180 p.

Henri Raczymow
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Autant l’avouer, s’agissant de ce livre, j’ai un peu de retard : voici un an qu’il est paru. Mais quoi ! Est-il indécent de parler encore de Montaigne ou de Chateaubriand, même s’ils ne sont pas des perdreaux de l’année ? Donc ce livre appartient à une collection dont le principe est à la fois simple et baroque : un écrivain est convié à passer une nuit dans le musée de son choix. Elle, Lola, ce fut dans la maison d’Anne Frank à Amsterdam, dans la fameuse et tragique Annexe qu’elle passa une nuit, celle du 18 août 2021. « Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre. J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas ». Elle-même, Lola, ne sait pas trop ce qui préside à son désir d’écrire sur Anne Frank. Certes, sa mère, Jeanne, fut enfant cachée pendant la guerre, et lui a fait lire le fameux Journal. Y aurait-il, de Lola à Anne, une identification secrète ? Un désir trouble d’éprouver ce que vécut Anne les mois qu’elle passa en ce lieu, à compter du 6 juillet 1942 ? Et d’abord prendre langue avec ceux qui côtoient, aujourd’hui même, Anne Frank au quotidien. Le directeur du musée, Ronald Leopold et surtout Laureen Nussbaum, l’amie d’enfance de Margot Frank, la sœur aînée, morte comme Anne à Bergen-Belsen. Il s’agit de débarrasser ce qui, dès les années 1960, est devenu le mythe Anne Frank, d’un « sentimentalisme bon marché aux dépens d’une immense catastrophe », selon la mise en garde d’Hannah Arendt. L’Annexe où Lola Lafon va passer une nuit est un lieu vide. Il fut pillé par les nazis après l’arrestation des Frank en août 1944, et il resta vide selon la volonté d’Otto Frank, seul rescapé, qui en 1945 retourna à l’Annexe au cours d’un long périple depuis Auschwitz. Ce vide-là, c’est l’absence définitive des Juifs déportés.

 Visitant l’Annexe, nous y sommes confrontés. « Voyez, écrit Lola Lafon, ce qui jamais ne sera comblé. Ainsi en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il y a rien et ce rien, je l’ai vu ». Nuance entre : il n’y a rien et il y a rien. Il y a bien quelque chose : l’absence. Et l’angoisse, qui fut celle des huit occupants de l’Annexe, redoutant d’être découverts. Cette angoisse que Lola a voulu sans doute éprouver à son tour, dans l’imagination d’un cauchemar. Elle appartient à ce qu’il est convenu d’appeler la troisième génération. « Le ravage, dans ma famille, écrit-elle, s’est transmis comme ailleurs la couleur des yeux ». Et puis quelques objets, en apparence insignifiants. Quand elle avait dix ans, sa grand-mère, Ida Goldman, née en 1914 à Lublin, lui avait offert une petite médaille à l’effigie d’Anne Frank. N’oublie pas.

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