Je lis, tu lis, ils écrivent… Shmuel T. Meyer, Tribus, nouvelles, Editions Gallimard, 164 p.

Henri Raczymow
Je lis, tu lis, ils écrivent par Henri Raczymow
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« Lorsqu’un Juif oriental comme moi est de gauche, libéral ou athée, les Juifs orientaux pensent qu’il est au mieux un traître, au pire qu’il est devenu ashkénaze. » Le personnage de la première nouvelle du nouveau recueil de Shmuel Meyer excelle dans ce genre. Nous sommes en Israël, fatalement et malheureusement entre une guerre et une intifada, et la parole des uns et des autres tente de se frayer un chemin vers la vérité, la leur. Un jardin à Jérusalem, à la fin du shabbat. Deux couples d’amis partagent paisiblement un repas. Les promesses du sionisme originel, les humiliations que l’armée fait subir aux Palestiniens des Territoires, ce qu’en dit le journal Haaretz… Et la question lancinante, posée depuis sept décennies : où va Israël ? Le tribalisme va-t-il l’emporter sur le rêve des débuts et « l’utopie du rassemblement des exils » ? Ce qu’on appelait jadis la classe ouvrière n’est-elle pas déjà acquise au populisme messianique des colonies ? Amertume et lassitude semblent les deux traits dominants de ces nouvelles « israéliennes ». Mais aussi indignation d’un pays où un petit Koby d’origine marocaine, né Yaakov, soit bien mieux loti qu’un autre Yaacov, surnommé Yankele. Koby rejoindra les Panthères noires au début des années 1970 et se fera massacrer par la police de Jérusalem. Où est-elle la belle unité juive censée transcender toutes les différences, rassembler « l’infinie subdivision ethnique d’un puzzle » ? À sa place, on trouve une « mosaïque brisée et mal assemblée ». Mais Shmuel Meyer n’est pas homme à se morfondre longtemps. Je vous laisse découvrir son sens aigu du comique et sa capacité à contaminer toute la terre d’Israël avec le rire incoercible d’un kibboutznik lisant une scène incongrue, iconoclaste, impie. 

Là où Meyer nous ravit, c’est quand il conte des récits invraisemblables sous nos latitudes mais courants dans ce pays aux deux communautés aussi peu miscibles que l’huile et le vinaigre, des histoires à la Roméo et Juliette. Tribus devient alors passionnant, où s’affrontent effroyablement l’absurde, l’amour et la tradition jusqu’à un dénouement heureusement moins tragique que dans Shakespeare. On croit connaître ce pays. Rien de mieux qu’un pur kibboutznik pour, avec sa verve et son talent, nous en révéler des aspects très inattendus, inconnus des touristes. 

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