Si l’exposition pédagogique que le CCLJ consacre actuellement aux stéréotypes judéophobes de l’Antiquité à nos jours fait le portrait exhaustif de ce que sont et ont été les antisémites de tout temps, elle laisse au visiteur l’autonomie de répondre à la question posée : « Juif ? », en faisant la part belle à sa subjectivité, dans la compréhension même de la question. Le dossier éducatif édité par le programme La haine, je dis NON ! à destination du grand public offre d’ailleurs un complément de réflexion dont l’avant-propos ne prend pas en traître : « nous misons sur votre intelligence ». Plus Juif que ça, y a pas ! Mais que veut dire « Juif ? » Qui peut dire qu’il l’est ? Ou ne l’est pas ? Ou ne l’est plus ? Ou l’est devenu ? Comment peut-on l’être trop pour certains, et pas assez pour d’autres ? Et peut-on n’être que Juif ou est-il possible de l’être tout en étant autre(s) chose(s) ?
Est Juif celui qui, en découvrant pour la première fois un nouveau lieu, commence par chercher les issues de secours officielles, puis élabore plusieurs scénarios de fuite personnelle/sauvetage altruiste via des issues officieuses, et finit par regretter de ne s’être jamais inscrit au cours de krav maga qui aurait fait de lui un héros si le danger s’était effectivement présenté ;
Est Juif celui ou celle dont l’histoire personnelle ou familiale l’a fait s’éloigner de l’observance religieuse, mais qui porte indéniablement en soi la culture et l’âme juives, c’est-à-dire l’anxiété, les troubles gastro-intestinaux, le droit irrévocable de s’en plaindre, mais aussi, en lieu et place du réconfort divin, la psychothérapie, l’humour et la cuisine pour s’en consoler ;
Est Juif celui ou celle dont la grand-mère imprime le modèle relationnel suivant à ses petits-enfants à chacune de leurs visites, après en avoir hérité de sa propre grand-mère (référence connue dans le milieu sous le nom de « Blizzard émotionnel ») : « tu veux une part de gâteau ? Pourquoi tu ne veux pas prendre une part de gâteau ? Pourtant tu aimes bien ce gâteau, prends-en donc une part ! Tu sais ce que je vais faire ? Je vais te couper une part de gâteau, je la laisse là, tu la manges quand tu veux, tu la manges si tu veux. Mais… tu n’as pas mangé ton gâteau ?! D’habitude tu manges toujours une part de gâteau. Mais alors pourquoi demander du gâteau ? »
Sont Juifs celui et celle qui se réjouissent de la prise au sérieux par l’Europe de l’antisémitisme contemporain grâce à une enquête portant sur les réalités multiples et complexes de la judéophobie, mais qui s’interrompent après avoir répondu à la moitié des questions du sondage, saisis par l’angoisse que leurs réponses, si elles venaient à tomber entre de mauvaises mains, servent un jour à les identifier et à leur nuire, pour finalement se raviser, et pleins d’espoir, terminer le questionnaire, confiants que les vagues restes d’allemand appris en fin de secondaire leur sauveront la mise quoi qu’il arrive.
Enfin, est Juif celui ou celle qui, lorsqu’on lui demande s’il ou elle l’est, répond invariablement : Pourquoi, vous êtes de la Gestapo ?