Le nom d’une revue intellectuelle est censé donner quelques clés aux lecteurs qui s’apprêtent à la lire. K. n’y échappe pas d’autant que cette lettre peut paraître énigmatique et susciter d’emblée le questionnement. « Nous avions d’abord songé à Et si pas maintenant quand ? en référence à Hillel l’ancien mais en anglais, cela renvoie à une organisation d’extrême gauche américaine antisioniste », se souvient Stéphane Bou, journaliste et rédacteur en chef de K. « J’avais proposé La question juive en lien avec la formule apparue lors des débats sur l’émancipation des Juifs à la fin du 18e siècle et leur entrée dans la modernité mais pour certains, le parallèle avec le sinistre Commissariat aux questions juives du régime de Vichy était trop saisissant et pour d’autres, cela évoquait nécessairement l’ouvrage problématique de Marx Sur la question juive. Nous avons donc exploré du côté de la littérature et nous sommes tous tombés d’accord sur Kafka, un des plus grands auteurs de la littérature juive européenne mais aussi un des auteurs ayant incarné le questionnement moderne et encore actuel du rapport des Juifs à l’Europe. D’où K. comme Joseph K dans Le Château mais cette lettre « K » comporte aussi une dimension plus énigmatique qui permet à chacun d’y associer ce qu’il souhaite. Et enfin, le graphisme de K. que nous avons choisi se rapproche de la première lettre de l’alphabet hébraïque, Aleph ».
Le titre complet, K. les Juifs, l’Europe et le 21e siècle met également en exergue la dimension européenne et contemporaine de cette revue. « Il fallait que la revue fasse un diagnostic de la situation européenne des Juifs qui s’inscrit au-delà des frontières nationales », confirme Stéphane Bou. « Il existe évidemment différents modèles de vie juive en Europe (le franco-judaïsme, le judaïsme anglo-saxon, celui d’Europe orientale et d’Allemagne) mais ils ne dialoguent pas entre eux. Or, la situation des Juifs doit être abordée à l’échelle européenne ».
Pour bien cerner cette réalité juive européenne au 21e siècle, les fondateurs de K. n’ont pas fait l’impasse sur les problèmes démographiques des Juifs du Vieux continent. En effet, En 1939, les Juifs étaient environ 10 millions à vivre en Europe. La Shoah fut une terrible saignée mais depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, 75% des Juifs présents en Europe ont fini par la quitter ! Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’environ 1,3 millions et la part des Juifs représente aujourd’hui 0,2 % de la population européenne. Elle est aussi faible qu’elle l’était il y a 1000 ans et continue à diminuer. « Aux morts de la Shoah, se sont ajoutés tous ceux qui ont quitté l’Europe après 1945 », constate amèrement Stéphane Bou. « Il y a donc un chagrin à constater que nous, Juifs européens de ce début de 21e siècle, sommes les contemporains de la fin d’une longue présence juive en Europe alors qu’il y a un siècle ce continent abritait 90% des Juifs et constituait le cœur du judaïsme mondial. On pourrait imaginer que dans 40 ans il ne subsiste plus qu’un folklore pittoresque dérisoire que des touristes visiteront comme un zoo, un peu comme à Cracovie, et que toute la tradition intellectuelle et multiséculaire juive aura disparu ».
Crise juive, crise européenne
Par ailleurs, ce déclin démographique n’a pas seulement transformé le judaïsme européen en un pilier extrêmement précaire et fragile coincé entre Israël et les Etats-Unis, mais dans un espace social et politique totalement reconfiguré depuis 70 ans, où le nombre de Juifs européens correspond à 15% de ceux qui y vivaient en 1939, les sentiments antijuifs s’expriment virulemment. L’objectif de K. est de contribuer au diagnostic de ce qui apparait comme une crise affectant le lien des Juifs à l’Europe contemporaine, mais qui est aussi le symptôme d’une crise plus générale dont les Juifs sont un prisme ou un révélateur. « C’est sous les auspices d’une crise aigüe que le 21e siècle a commencé pour les Juifs mais aussi pour les Européens en général avec la montée des populismes et le Brexit, sans évoquer d’autres manifestations de crise qui se réfractent à travers l’exemple des Juifs », précise Danny Trom, sociologue, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef adjoint de K. « C’est pourquoi K. n’est pas seulement une contribution à la réflexion sur l’avenir des Juifs en Europe mais aussi une réflexion sur l’avenir de l’Europe en tant que telle avec cette idée que le prisme des Juifs est un prisme privilégié pour diagnostiquer la crise mais aussi pour évaluer les possibilités d’en sortir ». Il est vrai que les Juifs ont toujours été une voie d’amplification des contradictions, des désordres et des dilemmes dans lesquelles l’Europe s’empêtre. Quelle est donc la particularité de notre époque ? « Les Juifs sont pris dans un étau », observe Danny Trom. « Face à la crise actuelle, soit l’Europe veut faire un pas en arrière en revenant à la souveraineté des Etats et en succombant à la régression nationaliste, alors les Juifs en font les frais. Soit l’Europe fait un pas en avant en se concevant comme une entité abaissant les frontières et en absorbant ainsi tout le monde sans aucune régulation, les Juifs en font aussi les frais. L’impasse de la crise de l’Europe se réfracte à travers la façon dont les Juifs éprouvent cette impasse. Et les Juifs l’éprouvent plus que quiconque ».
"Puisque les Juifs subissent plus que quiconque la crise européenne, ils sont les mieux placés pour la penser"
Danny Trom - sociologue, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef adjoint de K.
Oscillation entre pessimisme et optimisme
La tonalité de K. semble bien pessimiste. En fait, au sein de la rédaction, il existe un clivage sur la vision que nous avons du destin juif en Europe. « Certains sont pessimistes et d’autres ne veulent pas se résoudre à une situation crépusculaire en considérant que la vocation de K. n’est pas que témoigner de notre déclin mais de proposer des pistes et d’articuler des possibilités », avance Stéphane Bou. « La coexistence de ces différentes perceptions est vitale pour une revue juive. Si nous passons notre temps à écrire que le judaïsme européen doit baisser le volet et mettre la clé sous le paillasson, nous ne tenons pas plus qu’un an ». Ce clivage reflète bien l’oscillation entre optimisme et pessimisme qui tiraille chaque Juif dans son for intérieur.
L’essentiel étant de l’assumer en essayant d’en tirer le meilleur pour ne pas sombrer dans la désillusion.
La question est donc de savoir si les Juifs peuvent sortir de cette impasse. Sont-ils condamnés à se résoudre à leur effacement progressif ou leur exode ? En proposant ses analyses et ses reportages, K. souhaite que les Juifs européens passent du statut d’enjeu à celui d’acteur. « Puisque les Juifs subissent plus que quiconque la crise européenne, ils sont les mieux placés pour la penser », fait remarquer Danny Trom. « S’ils se penchent sur leur propre histoire, ils ont les ressources pour indiquer les bénéfices et les impasses des formes politiques où ils ont vécu en position d’extériorité. Cette analyse est un préalable à toute tentative de reconstruction ».
Coincé entre Israël et le judaïsme américain
Si on prend la peine de regarder la manière dont se structure la discussion sur les Juifs aujourd’hui, l’Europe est souvent absente. C’est clairement un face-à-face entre Israël et le judaïsme américain comme si l’Europe ne comptait plus. Cette question doit être explorée si on veut que le judaïsme européen trouve sa place. « La forme étatique israélienne et la république multiculturelle des Etats-Unis sont-elles les deux seules possibilités pour les Juifs aujourd’hui et demain ? », s’interroge Danny Trom « C’est à cette question que nous devons tenter de répondre. Il y a un enjeu majeur : où se trouve le centre significatif du peuple juif ? Qui donne le ton et incarne le mieux la continuité juive ? Les Israéliens et les Américains ont répondu dans un débat dont les Juifs d’Europe sont exclus. Et on pourrait en conclure qu’il existe deux centres aux formes politiques différentes. Mais d’aucuns ne veulent pas s’y résoudre et se demandent si la bonne modalité de la vie juive n’était pas ces petits centres qui existent en Europe ».
Une revue juive européenne comme K. apparait donc un contexte crucial pour documenter, analyser la réalité du fait juif européen au 21e siècle et suggérer des pistes pour envisager l’avenir avec plus de sérénité. L’équipe de K. ne craindra pas la concurrence. Ce monopole n’a rien de réjouissant et ne fait que confirmer la déliquescence intellectuelle du collectif juif européen. Non pas que les intellectuels, les universitaires et les journalistes juifs aient disparu ou cessé de penser la condition juive contemporaine mais les espaces de débat et les centres d’études universitaires manquent à leur devoir. Des travaux sont consacrés en nombre au passé juif mais il est difficile, voire impossible, de trouver un institut ou une revue académique documentant ce que vivent les Juifs aujourd’hui. « Il existe aujourd’hui des centaines de thèses universitaires sur toutes les migrations en Europe. Aucune de ces thèses n’est consacrée à l’alya (immigration juive en Israël) de ce début de 21e siècle », confirme Stéphane Bou. « L’exode des Juifs d’Europe est réel mais il n’est ni documenté ni pensé en raison de l’absence de travaux sur cette problématique ».
K. peut être un outil dont les Juifs doivent se saisir pour devenir les acteurs de leur propre destin et définir mieux les contours de leur avenir collectif en Europe mais aussi pour développer des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie culturelle et politique de l’Europe. Et si cette tâche peut permettre aux non-Juifs de prendre conscience des défis auxquels leurs concitoyens juifs sont confrontés aujourd’hui, K. peut alors devenir d’utilité publique.
Les Juifs n’ont plus rien a faire en Europe, en voie d’islamisation. Qu’ils viennent renforcer leur Etat en Israel.
Meme en France ou au sortir de WW II il y avait encore une forte vie intellectuelles juive, il ne reste plus d’intellectuels qui contribuent a la pensee juive.