Regards n°1091

La micro-communauté juive d’Irlande

A dire vrai, nous n’étions pas venus pour nous enquérir du sort de nos coreligionnaires irlandais… Alors en reportage sur les traces de U2 à l’occasion de la publication des Mémoires de son chanteur Bono, nous tombons, par le plus grand des hasards, sur quelques évocations juives redondantes disséminées à travers Dublin.

Ce sont tout d’abord deux synagogues (fermées et désacralisées) que nous croisons au cours de nos pérégrinations. Celle d’Adelaide Road, avec sa façade caractéristique en briques rouges, est devenue un hôtel tandis que le temple de Greenville Hall accueille désormais les bureaux d’une start-up. Autre temps, autres mœurs… Outre une Habad House, il demeure aujourd’hui à Dublin un point d’ancrage pour les observants du Shabbat et autres fêtes juives : The Hebrew Congregation, située dans les faubourgs de la ville, sur Rathfarnham Road. Soit une présence réelle mais modeste, reflétant la part microscopique de la communauté juive parmi la population totale : 0.05%. Contre toute attente, il y aurait donc quelques Juifs sur cette terre celte, 2.500 âmes très exactement à en croire le dernier recensement effectué en 2016.

Demeure une question : comment des Juifs ont pu se retrouver ici ? Pour éclaircir le mystère, une blague (juive) existe évidemment ! Celle-ci se passe au 19e siècle, lorsque trois amis juifs cherchent à fuir les persécutions de la Russie tsariste. Le premier évoque son désir d’aller en Amérique, où il pourra vivre en sécurité et prospérer. Le deuxième est déterminé à aller sur la terre d’Israel pour aider à la construction d’un foyer juif sur les terres bibliques. Quant au troisième, à la stupéfaction générale, il choisit de se tourner vers l’Irlande. Ses deux amis sont intrigués : « Pourquoi donc vouloir aller en Irlande ? ». Réponse : « Parce que c’est le dernier endroit où la bête immonde viendra me chercher ! ». Guide au Little Museum of Dublin, institution abritant la mémoire contemporaine de la capitale irlandaise, Mark nous en dit plus : « Ce bon mot suggère que la communauté juive locale n’a jamais été très développée, ce qui est vrai, même si les premiers Juifs se sont établis sur l’île au 13e siècle. Jusqu’en 1880, les Juifs d’Irlande n’étaient que quelques centaines ».

De l’exil des Litvaks à la gloire de la famille Herzog

Il faudra attendre l’arrivée des Litvaks, immigrants arrivés par vagues successives depuis l’actuelle Lituanie, pour que la sphère juive locale s’étende. Modeste mais néanmoins fervente, cette dernière, regroupée dans le quartier de Portobello, se fera appeler la Petite Jérusalem. Imaginée comme un havre de paix propice à la reconstruction, celle-ci sera néanmoins la cible de plusieurs flambées d’antisémitisme, dont le pogrom de Limerick en 1904. En subsistera ce sentiment profond et durable, perçu jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, d’un antisémitisme longtemps admis et partagé par la population comme par ses élites. « Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les institutions furent largement sourdes et aveugles au sort des populations juives européennes qui fuyaient les persécutions nazies », expliquent les curateurs du Little Museum of Dublin. « Au point qu’en 1948, un mémo du Ministère de la Justice indiquait : “La position du ministère de la Justice a toujours été de restreindre l’admission des Juifs étrangers, pour la raison qu’une augmentation de la population juive pourrait résulter en une hausse du sentiment antisémite’’ ». Cela n’empêchera pas quelques notables israélites, dont la famille Briscoe, de jouer un rôle et de se faire une place de choix parmi la bonne société locale. En témoigne la vie et l’œuvre du docteur Isaac Herzog. Premier grand rabbin d’Irlande, maniant la langue gaélique sur le bout des doigts, ce dernier gagna le surnom de « Rabbin du Sinn Fein » en raison de son soutien appuyé à la cause indépendantiste irlandaise. Fervent sioniste, son fils Haïm, né à Belfast et éduqué à Dublin, est connu de nos lecteurs puisqu’il occupa les fonctions de Président de l’Etat d’Israel de 1983 à 1993. De nos jours, la dynastie Herzog perpétue son héritage irlandais et pèse toujours autant sur la politique israélienne puisque le petit-fils du rabbin irlandais, Yitzhak Herzog, assume à son tour la présidence de de l’Etat d’Israël depuis 2021. Alors, heureux comment un Juif en Irlande ?

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Écrit par : Laurent-David Samama

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