La Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction permanente, qui ne se substitue pas aux juridictions nationales, et qui fonctionne sur la base du Statut de Rome, selon lequel il incombe en premier lieu aux États d’exercer leur compétence pénale afin de traduire en justice les responsables de crimes internationaux. Le processus de dépôt de plainte a débuté avec la visite en Israël du Procureur général de la CPI, Karim Khan, fin décembre 2023. L’équipe juridique du Forum des familles et le Centre Raoul Wallenberg ont collaboré pour réunir des preuves, jetant les bases de la rédaction du rapport. Le 26 janvier dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu une ordonnance à la suite de la demande de l’Afrique du Sud contre Israël quant à l’application de la convention sur le génocide dans la bande de Gaza : si la CIJ n’a pas ordonné la fin des opérations militaires israéliennes à Gaza, lui reconnaissant ainsi le droit à se défendre contre une agression et rejetant l’allégation de génocide, elle a ordonné « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Plus de quatre mois après les enlèvements, un mois après le rendu de cette ordonnance, les 134 otages, âgés d’un à quatre-vingt-cinq ans, n’ont toujours pas été relâchés.
Le gouvernement sud-africain a depuis lors déposé une requête additionnelle contre Israël –toujours auprès de la CIJ – après l’annonce de l’offensive d’envergure contre Rafah, dans la bande de Gaza. Le 16 février, la CIJ a rejeté cette demande de mesures provisoires supplémentaires, estimant qu’Israël devait respecter les mesures déjà ordonnées. La deuxième partie de l’ordonnance du 26 janvier, qui concerne la libération impérative des otages, n’a quant à elle, pas fait l’objet d’un rappel.
La plainte des familles israéliennes déposée auprès de la CPI est fondée sur des témoignages d’anciens otages, de victimes et de témoins contenus dans un rapport de plus de mille pages documentées par l’équipe juridique internationale menée par Shelly Aviv Yeini. Ce rapport comprend des allégations de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il s’agit notamment de prises d’otages, de meurtres et de violences sexuelles, accusations qui relèvent toutes de la compétence de la CPI. La prise d’otages est interdite par le droit international et constitue toujours un crime de guerre. Les Conventions de Genève, leurs protocoles additionnels et le droit international humanitaire l’interdisent sans restriction ; le Statut de Rome la définit comme : « La capture ou la détention d’une personne (l’otage) assortie de la menace de tuer, de blesser ou de continuer de détenir l’otage dans le but de contraindre un tiers à agir ou à s’abstenir d’agir, ce qui constitue explicitement ou implicitement la condition à laquelle est soumise la sécurité ou la libération de l’otage. »
Des témoignages poignants, et un message adressé à la communauté internationale
À La Haye, le 14 février 2024, la conférence de presse a réuni quelques médias internationaux autour d’une centaine de représentants d’otages et de l’équipe médiatique et juridique du Forum des familles, tous venus d’Israël le jour même, ainsi qu’un public international venu en soutien. Avant les prises de parole successives de Liat Bell Sommer (chef de l’équipe média du Forum), d’anciens otages et de proches de personnes toujours détenues (y compris de personnes exécutées dont le corps n’a pas été rendu), sous une pluie battante et en présence de soutiens venus d’Israël, de France, de Belgique et des Pays-Bas, des extraits du film des exactions du 7 octobre ont été diffusés, pour rappeler l’horreur trop vite et trop facilement oubliée. À leur descente du bus, les familles ont été accueillies par le slogan « Bring Them Home », assorti de « Now ! », « Archav ! » et « Nu ! », longuement scandés par la foule.
Raz Ben-Ami, 55 ans, relâchée le 29 novembre après 54 jours de captivité pendant lesquels elle a attendu en vain ses médicaments vitaux, a évoqué la fête de la Saint-Valentin. Son mari Ohad, enlevé avec elle dans leur maison du kibboutz Be’eri le 7 octobre, est toujours détenu à Gaza. Gal Gilboa-Dalal, dont le frère de 22 ans, Guy, a été enlevé au festival de musique Nova où lui et son frère venaient de se retrouver, est revenu sur l’insoutenable enchaînement d’événements qui les ont séparés. Itay Regev, 18 ans, lui aussi kidnappé pendant le festival Nova en même temps que sa sœur Maya, 22 ans, a rappelé la terreur, la douleur des impacts de balle dont ils ont tous deux été victimes, ainsi que les conditions inhumaines de leur détention jusqu’à ce qu’ils retournent auprès de leur famille, après respectivement 53 et 49 jours de captivité. Leur ami Omer Shem Tov, 21 ans, asthmatique, dont le père Malki avait remis en mains propres son inhalateur à Mirjana Spoljaric, présidente du Comité International de la Croix-Rouge, demeure à ce jour otage du Hamas. Personne ne sait si la Croix-Rouge a pu lui remettre son inhalateur. Amit Ashkenazi a diffusé le dernier message vocal hurlé par sa sœur cadette, Doron Steinbrecher, kidnappée chez elle au kibboutz Kfar Aza : « Ils sont là, ils m’ont emmenée. » La famille de la jeune femme ne l’a revue que sur des images diffusées par le Hamas, où elle est apparue le visage émacié et le regard apeuré. Les témoignages glaçants se sont succédés jusque dans l’après-midi du 14 février : Nadav Rudaeff a comparé les conditions de vie luxueuses des leaders du Hamas avec celles de son père, Lior, 61 ans, patient cardiaque privé de traitement, blessé et enlevé chez lui au kibboutz Nir Yitzhak. Tal Haimi, du kibboutz Nir Oz, qui a été assassiné et dont le corps a été enlevé par le Hamas, était un citoyen roumano-israélien de 42 ans, marié, père de jumeaux de neuf ans et d’un petit garçon de six ans. Son cousin Udi Goren est venu à La Haye pour enjoindre chaque personne présente à faire pression sur son gouvernement, afin que la priorité absolue soit le retour des otages et la restitution des corps. La voix emplie d’une colère difficilement contenue, il s’est adressé en hébreu puis en anglais aux dirigeants du monde, aux Israéliens et à tous les Juifs, appelant à faire « ce qui est juste », et à accomplir un devoir historique auquel les événements du 7 octobre obligent. « D’ici une semaine, pouvons-nous espérer revoir les otages ou devons-nous continuer à compter les jours qu’ils passent en enfer ? »
Naama Levy, symbole des femmes suppliciées
Après ces témoignages, les familles se sont réunies pour recevoir la presse sous une tente adjacente au podium. Tandis qu’Amit, le frère de Naama Levy enlevée à Nachal Oz, donne une interview, la tante maternelle de Naama, Iris Shachar, rappelle l’engagement de sa nièce dans le programme « Hands of Peace », qui rassemble de jeunes Américains, Israéliens et Palestiniens autour de valeurs de coexistence, et qui promeut la poursuite de la paix comme levier fondamental afin de créer un changement social durable, à l’échelle nationale et internationale. Dans une vidéo diffusée par le Hamas, Naama est apparue blessée au moment où des terroristes la sortaient violemment du coffre d’une Jeep, le jogging taché de sang à l’entrejambe, les mains attachées dans le dos, avant de la jeter sur le siège avant du véhicule aux cris de « Allah Akbar ». Naama et son pantalon maculé sont devenus le symbole de la lutte pour la reconnaissance internationale des crimes sexuels perpétrés par le Hamas et dont des dizaines de femmes assassinées ont été les victimes. Des femmes otages du Hamas ont été abusées, torturées et le sont encore certainement aujourd’hui. Et, comme tous les témoins au nom de leur(s) proche(s) ce 14 février à La Haye, Iris est déterminée dans son appel à l’humanité : « Naama doit être rendue à sa famille. »
La procédure sera longue et lente avant que le Procureur général décide d’émettre – ou pas – des mandats d’arrêts internationaux contre les chefs du Hamas. En cas de décision favorable aux plaignants, les États qui ont ratifié le Statut de Rome seront tenus de coopérer avec la CPI : si une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt est présente sur leur territoire, ils devront la remettre à la Cour. Et à l’approche de Pessah, toutes les familles d’otages nourrissent l’espoir que le récit de l’oppression du peuple juif se termine à nouveau par sa délivrance, avec leur libération.