L’antisémitisme est affaire de jalousie et de médiocrité !

Joel Kotek
En écrivant dans une de ses chroniques publiées dans Humo qu’il a envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif qu’il rencontre, l’auteur flamand Herman Brusselmans commet un texte violemment antisémite. Ses diatribes montrent à quel point l’antisionisme radical d’élites politiques, médiatiques et universitaires flamandes trouve sa source dans un complexe de culpabilité inavouable, liée à la collaboration et la persécution des Juifs sous l’occupation nazie.
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Face aux critiques internationales qui s’amoncellent, de la Belgique francophone aux États-Unis, le désormais fameux Herman Brusselmans plaide l’innocence, joue la vierge effarouchée. Il réfute tout antisémitisme et toute incitation au meurtre ou à la haine. « Je suis contre toute forme de violence. Osons l’exagération, l’ironie et même le sarcasme », réagit-il sur son compte Instagram. On l’imagine outré, le pauvre garçon.

« Je suis tellement en colère que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre. »

Mais en quoi sa chronique publiée le 4 août dernier dans l’hebdomadaire Humo tiendrait-elle de la satire, du sarcasme, voire d’un humour de mauvais goût ? Car de quoi s’agit-il sinon d’un texte tant mal écrit que vulgaire, vomitif, oserait-on ajouter. Comment qualifier autrement un texte qui incite, sans ironie aucune, à la violence antisémite ou, mieux, qui légitime le meurtre des Juifs ? Je le cite : « Je suis tellement en colère que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre. » M. Vanegeren, rédacteur en chef d’Humo, ou encore M. Van Thillo, patron du groupe de presse qui contrôle notamment cet hebdomadaire, pensent-ils réellement, en leur âme et conscience, qu’un appel au meurtre ressortit de la satire et/ou de la liberté d’expression ? Soyons sérieux, l’appel à l’égorgement de « chaque Juif » ne tient en rien de la critique, légitime ou non, d’Israël, n’en déplaise à ses nombreux défenseurs-bien-malgré eux. Certes, c’est choquant, nous disent-ils « mais… ». Et de mettre en avant le droit à s’en prendre à Israël (?) et le refus de stigmatiser « tous les Juifs ». Faux, pour qui lit la chronique de Brusselmans jusqu’au bout. Nos tartufes oublient, en effet, de préciser que sa chronique se clôt par un non possumus à l’égard des Juifs belges, pas israéliens, voire sionistes qu’il envoie en enfer !

Ce texte empreint d’antisémitisme obsidional n’a rien de satirique. La satire exige, en effet, de l’intelligence, de la finesse ou encore une maîtrise absolue de la langue, ce dont cet individu semble totalement dépourvu ; d’où des chroniques « osées » (pipi, caca, prout, prout, zizi) ou gratuitement haineuses. Car l’antisémitisme est, avant tout, affaire de médiocrité comme le comprit assez tôt Jean-Paul Sartre. Déjà en 1939, dans L’enfance d’un chef, le philosophe français décrivait la métamorphose d’un jeune homme menant une « petite existence triste et vague », et qui trouve finalement la voie du salut par une adhésion progressive à l’antisémitisme. Cette nouvelle de Jean-Paul Sartre a l’immense mérite de montrer l’une des fonctions psychologiques de l’antisémitisme pour le contempteur des Juifs : échapper à sa propre médiocrité par la détestation d’un autre supposé exécrable, mais qu’en réalité on jalouse du fait de sa supposée supériorité et son statut de victime concurrente. Quand on est dépourvu de talent, rien de plus tentant que la provocation gratuite, facile et toujours porteuse de popularité. À la manière d’un Noël Godin, dit l’Entarteur, autre figure nullissime de la scène médiatique belge qui posa, lui, son incroyable et indéniable notoriété sur « l’entartage » de personnalités autrement talentueuses (Béjart, BHL, Bruel, Duras, Elkabbach), là aussi souvent d’origine juive. Comme il se doit ! Son acharnement contre BHL est symptomatique de cette haine de l’intelligence. À n’en pas douter, la haine de l’Autre, et du Juif en particulier, comble un vide, ouvre à bien des médiocrités les voies d’une véritable notoriété. Oui, osons le dire, notre homme est populaire ! Pardi, c’est qu’il ose s’attaquer aux vrais puissants de ce monde ! Le moins qu’on puisse dire est que ce poncif (antisémite) semble bien ancré en Flandre à considérer, par exemple, le simple titre de l’analyse que consacre à l’affaire Brusselmans le journaliste Léo De Bock dans le quotidien socialiste De Morgen : « les puissantes et riches organisations juives » (‘Kapitaalkrachtige organisaties’) intimident non seulement Brusselmans, mais aussi les médias et la société ». Waouw ! A l’entendre, cet ancien rédacteur en chef de la VRT, cet ex-rédacteur en chef adjoint d’Humo, cet ex-chef de la communication de cabinets CD&V, les Juifs seraient un véritable frein à la liberté d’expression. Mais quelle mouche l’a donc piqué ? DPG média auquel appartient Humo mais aussi VTM, Het Laatste nieuws, De Morgen (tiens, tiens, où sont les vassaux ?) et même RTL-TVI, pèse plus de €1,7 milliard. L’institut Jonathas, Le Forum anversois ou encore le CCOJB ne pèse financièrement presque rien. Demandez au patron de DPG Média qui n’est pas juif à ce que je sache qui sont les vrais riches et les puissants en Flandre. Les victimes de la Shoah ou certains héritiers de la collaboration ? Décidément, dès qu’il s’agit des Juifs, les antisémythes (des trente deniers de Judas à Shilock) s’avèrent plus puissants que les faits.

Le droit d’être antisémite

Que M. Herman Brusselmans soit un antisémite primaire ne fait guère de doute et ce, d’autant plus qu’il est un récidiviste. Déjà en décembre 2023 dans Humo, notre « écrivain » s’était fendu d’une chronique aux accents nauséeux. Son titre en dit long sur sa finesse d’analyse : « Israël utilise les mêmes méthodes pour détruire toute une race que celles employées à l’époque par les Allemands. » Extraits de ce papier surréaliste : « Il y a une horreur indescriptible… des enfants sont torturés, des gens enterrés vivants, des femmes sont systématiquement violées (…) Les passants en Israël même, interrogés dans la rue sur le comportement de leur régime, louent ce régime, qualifient les Palestiniens de bêtes et disent qu’il est impossible de laisser de telles créatures vivre. Cela ne veut bien sûr pas dire que tous les Israéliens pensent ainsi. Il y en a qui condamnent la pourriture de Netanyahou et compagnie, mais ils craignent trop de s’exprimer, car Netanyahou et compagnie sont le genre de psychopathes qui ne tolèrent aucune opposition, ni en paroles ni en actes. » 

S’ensuit un passage qui en dit long sur son prétendu « non-antisémitisme » : « Un pantin sénile comme Biden est trop lâche, trop borné et trop craintif pour faire obstacle à Israël, notamment parce que l’argent en Amérique se trouve dans les portefeuilles des Israéliens établis aux États-Unis. Les grandes entreprises sont aux mains des Israéliens, les grandes banques, les services secrets, les propriétés immobilières et pratiquement toute la culture. » Tout est dit : l’idée saugrenue qu’Israël est une dictature sans liberté d’expression (sic), que les Israéliens sont non seulement les nouveaux nazis (!), des tueurs d’enfants (sic), des violeurs systématiques (sic), mais encore et surtout qu’ils sont les véritables maîtres des États-Unis, donc du monde ! On se souviendra, comme le démontre ici par l’absurde notre « courageux » chroniqueur, que les Protocoles des Sages de Sion étaient un best-seller en Flandre durant l’entre-deux-guerres.

Son cas illustre parfaitement comment l’antisionisme radical n’est qu’une réminiscence de l’antisémitisme traditionnel. Le fait de nommer « Israéliens », ceux qui désormais dominent le monde n’y change rien. Les deux premières phrases de sa chronique révèlent beaucoup sur sa psyché profonde. Je le cite : « Il n’est pas inimaginable qu’une personne, n’importe qui, devienne antisémite malgré elle. » Et ce qui suit : « Le lien souvent fait avec le propre sort des Juifs, qui ont été impitoyablement exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale, n’existe plus depuis longtemps. » Vous avez bien compris, n’est-ce pas ? À le suivre, il est désormais tout à fait légitime non seulement d’effacer la Shoah eu égard au « génocide » des Palestiniens mais aussi, et surtout, d’être antisémite. Vous avez bien lu « antisémite », pas « antisioniste » ! En fait, ce texte qui visait à légitimer la haine des Juifs prépare, annonce, justifie celui du 4 août qui appelle à leur meurtre (acte II). Comment MM. Thillo et Vanegeren ont-ils autorisé la publication d’une diatribe digne de Volk en Staat ? Et pourquoi n’a-t-on pas déjà porté plainte à l’époque ?  Il faut dire que l’Institut Jonathas n’existait pas encore. Nicolas Zomersztajn, le rédacteur en chef de Regards, signala l’article nauséeux à UNIA, l’agence interfédérale de lutte contre le racisme, qui n’en fit rien !

De quoi Brusselmans est-il le nom ?

Pour comprendre sans doute le refus de sanctionner M. Brusselmans, hier comme aujourd’hui, une hypothèse s’impose, celle de l’antisémitisme secondaire, d’un rejet des Juifs non pas « malgré » mais « à cause » d’Auschwitz ! Un mal qui frappe l’État profond flamand depuis les années cinquante. Car le cas Brusselmans illustre aussi l’une des fonctions primaires de l’antisionisme radical : faire passer un passé qui ne passe toujours pas. L’horreur de la Shoah que M. Brusselmans invite ses lecteurs à définitivement oublier est l’autre clef majeure de son horreur des Juifs. C’est bien leur destin, qui fut des plus tragiques en Flandre (taux de mortalité de 67 % à Anvers, contre 35 % à Bruxelles), qui explique la tentation maladive de nombreux intellectuels flamands de nazifier à tout prix les Israéliens, c’est-à-dire mettre en œuvre des stratégies d’évitement destinées précisément à réduire le poids de cette culpabilité, ô combien refoulée. On pense aux mécanismes de rejet de culpabilité et/ou de projection agressive mis en avant par le philosophe judéo-allemand Theodor Adorno. Le phénomène de distorsion et/ou d’inversion de la Shoah, qui consiste à présenter les Israéliens comme l’équivalent moral (ou pire) des nazis, est bien l’une des bases rhétoriques de l’antisionisme radical, de droite comme de gauche (Ecolo, Vooruit, PVDA). Comme l’écrivit déjà en 1967 Vladimir Jankélévitch dans L’imprescriptible. Pardonner ? Dans L’honneur et dans la dignité, éditions du Seuil, 1986, p. 18-19., l’antisionisme radical à la Brusselmans est une actualisation de la haine antisémite mais… cette fois-ci au nom du… Bien. Je le cite : « L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ?  Ce serait merveilleux. » CQFD.

Les diatribes « antisionistes » d’un Brusselmans mais aussi d’une Gennez (Vooruit), d’une De Sutter (Groen),  d’un Lachaert (Open VLD) sont autant de signes d’un retour du refoulé flamand. Il ne fait aucun doute, en effet, que l’antisionisme radical des élites politiques, médiatiques et universitaires flamandes trouve sa source dans un complexe de culpabilité inavouable que l’on pourrait résumer, à la suite du psychanalyste israélo-viennois, Zvi Rix, « les Flamands ne pardonneront jamais la collaboration aux… Juifs ». La formule est rude, sans doute même excessive, mais elle permet de comprendre des « dérapages » bien contrôlés autrement incompréhensibles.

« Brusselmans est traduit en justice de manière échelonnée et à grand bruit, par de riches organisations. La difficulté est que pour l’État d’Israël et ses vassaux mondiaux, la critique d’Israël coïncide rapidement avec l’antisémitisme. Grâce à cette manipulation astucieuse, le sort tragique des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale sert à dissimuler l’horreur de Gaza. C’est évidemment perfide » .

Comment comprendre autrement que de nombreuses rues de Flandre portent les noms de collaborateurs notoires, parfois même condamnés à mort. Comment comprendre sinon qu’à l’occasion de son 50e anniversaire, en 2021, le Parlement flamand, sous présidence NVA, osa rendre hommage à deux éminentes figures de la collaboration flamande, Staf Declercq et August Borms; ce dernier ayant été fusillé en 1946 pour collaboration avec les nazis ? Comment comprendre que les passeports flamands sont ornés des dessins d’un collaborateur notoire, Willy Vandersteen, alias Kaproen, le père de la BD flamande ? Comment comprendre enfin les figures monstrueuses du Carnaval d’Alost, le monument à la gloire de la SS lettonne à Zedelgem. Tout cela dans un silence quasi-complice de la presse flamande. Tout cela à la grande stupéfaction et douleur des quelques 15.000 Juifs de Flandre, bien incapables (malgré leur richesse supposée) de contrecarrer la moindre de ces ignominies. Car, il est évident que la Flandre n’a pas encore fait le deuil de la collaboration. C’est ce que confirme toujours à ses dépens, Léo De Bock dans l’article du Morgen susmentionné. Je le cite : « Brusselmans est traduit en justice de manière échelonnée et à grand bruit, par de riches organisations. La difficulté est que pour l’État d’Israël et ses vassaux mondiaux, la critique d’Israël coïncide rapidement avec l’antisémitisme. Grâce à cette manipulation astucieuse, le sort tragique des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale sert à dissimuler l’horreur de Gaza. C’est évidemment perfide ». « Perfide », bel exemple de mot connoté, si l’on songe que l’expression perfidia judaica ou judaica perfidia a marqué la relation péjorative entre les Juifs et les Chrétiens jusqu’au lendemain de la Shoah. Surtout et, contrairement à ce qu’affirme notre journaliste, c’est la guerre (et non le pseudo-génocide) de Gaza qui sert, au contraire, et bien astucieusement à faire dissimuler l’horreur de la Shoah et de la collaboration. Comme le souligne Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à l’Université Paris-Sorbonne, le rapport de causalité n’est pas celui que l’on croit. Aux yeux du chercheur « la focalisation sur les évènements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas l’inverse. » Cet habitus antisémite explique pourquoi un Brusselmans comme bien d’autres intellectuels ou artistes flamands à l’exemple du chorégraphe Thierry Smits sont littéralement obsédés par la seule Palestine. Le Sahara espagnol, le Tibet, La Syrie, Le Yémen ? RAS. Les manifestations antisémites qui surgissent à chaque épisode du conflit israélo-gazaoui procèdent autant du conflit lui-même que d’un habitus antisémite latent et tenace

Espoir : un (réel) travail de mémoire, un devoir d’histoire

Dans ses Réflexions sur la question juive, éditions Gallimard, 1954., Jean-Paul Sartre laisse deviner une sorte de remords : « Si nous avons vécu dans la honte notre complicité involontaire avec les antisémites, qui a fait de nous des bourreaux, peut-être commencerons-nous à comprendre qu’il faut lutter pour le Juif, ni plus ni moins que pour nous-mêmes. » À l’instar des Allemands, des Français, des Hollandais, des Croates et de tous ces peuples complices du plus grand génocide du XXe siècle, les Flamands devraient prendre conscience de leur responsabilité face à l’antisémitisme. Les temps ne sont-ils pas mûrs pour un aggiornamento à la Jacques Chirac ? La grande nation flamande en sortirait assurément grandie, parole de Gantois ! Paradoxalement, c’est peut-être à la N-VA, ce parti nationaliste héritier pour une part de la collaboration exacerbée avec le nazisme, qu’il reviendra de mener la nécessaire révolution copernicienne.  

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