Le Humboldt Forum de Berlin, polyphonie multiculturelle et décolonisation

Roland Baumann
Ouvert l'été dernier au centre de Berlin, le Humboldt Forum est une institution d'art et de mémoire incontournable, un lieu de discussions et de débats tant sur les questions clés de l'histoire allemande que face aux enjeux actuels de notre monde en tribulations.
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Jadis haut-lieu de l’impérialisme prussien, le Château de Berlin reconstruit se veut un vrai forum dont les questionnements et débats portent tant sur l’héritage culturel et mémoriel de la capitale allemande, que sur de grandes thématiques actuelles qui agitent l’opinion publique mondiale : multiculturalisme, décolonisation, restitutions, développement durable, etc. Résidence du prince-électeur de Brandebourg, métamorphosé en somptueux palais baroque des rois de Prusse à la fin du 17e siècle et siège de la cour des Hohenzollern jusqu’en 1918, le château de Berlin est dévasté à la fin de la guerre en 1945. Le pouvoir communiste en fait dynamiter les ruines en 1950.
Inauguré en 1976, le Palais de la République abrite le parlement de la RDA, une grande salle de spectacles et divers lieux de loisirs. « Palais du peuple » censé témoigner du progrès culturel est-allemand, cet édifice moderniste, fermé pour désamiantage, puis rouvert pour des expositions et activités culturelles, est finalement détruit pour faire place en 2013 au vaste chantier de reconstruction du château. Nommé en référence à Wilhelm et Alexander von Humboldt, figures emblématiques de l’esprit des Lumières en Allemagne au 19e siècle, le « Forum Humboldt au château de Berlin » reproduit l’architecture disparue, mais loin de restituer les décors de l’ancienne résidence impériale, son architecture intérieure contemporaine accueille des collections d’arts non-européens et porte un regard critique sur ce patrimoine de provenance coloniale. Comme l’exprime son directeur général, Hartmut Dorgerloh, la programmation de cette nouvelle institution doit en faire un lieu de rencontres, d’échanges, de connaissances, sur tous les sujets touchant à la science et à la culture, y compris l’héritage colonial.

Diversité de voix et d'opinions

Porte-parole de la Fondation Humboldt Forum (Stiftung Humboldt Forum im Berliner Schloss) Michael Mathis souligne que son institution est associée à trois autres partenaires dans ce projet : le musée municipal de Berlin avec son exposition Berlin Global, les musées de l’Etat de Prusse, avec le musée d’ethnologie et celui d’art asiatique, et enfin l’université Humboldt de Berlin. « Dans les années 1990, les projets de reconstruction du centre de Berlin se fondaient sur l’espoir de guérir les blessures du passé. La décision de reconstruire l’ancien château, prise en 2002 au Reichstag visait à redonner à la ville le symbole d’un passé prestigieux », explique Michael Mathis. « Mais aujourd’hui comment réconcilier ceux qui voulaient la reconstruction du château avec ceux qui ne cessent de déplorer la destruction du Palais de la République ? Sachant qu’il s’agit d’un espace qui a toujours été très idéologiquement chargé, ces conflits mémoriels étaient inévitables. Le projet du Forum n’est pas d’imposer un récit historique mais de créer un lieu susceptible de rassembler la plus grande diversité de voix et d’opinions. Nous ne sommes pas un espace neutre mais un lieu qui suscite discussions et débats !

©Roland Baumann

Certains objets sont difficiles à exposer parce qu’ils proviennent d’une histoire coloniale et sont montrés dans ce qui était le siège du pouvoir impérial, un lieu dont les symboles architecturaux, couronnes, croix, aigles impériaux, peuvent heurter les sensibilités de certains ». Et d’ajouter que « Le Forum n’est pas une institution muséale mais bien un forum dont les différents programmes culturels sont tout aussi importants que les collections exposées. Un lieu dont l’identité et les activités affirment sa singularité berlinoise et qui n’est pas l’équivalent berlinois du Louvre ni du centre Pompidou ! Un lieu au passé très riche, qui était le siège du pouvoir impérial, mais fut aussi le théâtre de révolutions en 1848 et 1918. Les traces de cette histoire complexe sont exposées dans l’ensemble du bâtiment, ainsi le Hall des sculptures, au rez-de-chaussée, rassemble les fragments des sculptures architectoniques diverses qui surmontaient les façades du château et décrit leur reconstitution contemporaine. Ce Hall correspond à l’emplacement de l’ancienne « Chambre du Peuple » et on y expose l’urne en plastic dans laquelle les députés de RDA déposèrent leurs votes de réunification de l’Allemagne en 1990 ».

Questionner le colonialisme en évitant les amalgames

Conseillère en matière de relations internationales et de diversité au sein de la Fondation Humboldt Forum, Amel Ouaissa remarque que « le passé n’existe pas », ne constitue pas un récit figé, « objectif ». D’origine kabyle et arrivée à Berlin peu après la chute du mur, elle comprend l’Ostalgie, cette nostalgie qu’éprouvent encore aujourd’hui d’anciens citoyens de la RDA, qui ont connu le Palais de la République. « Il fallait à Berlin un lieu où les mémoires peuvent se confronter et aussi se relier ! Le Forum ne sera jamais un espace consensuel ! C’est un lieu polyphonique, de confrontation de points de vue et de débat, où sont représentées des perspectives distinctes sur le passé comme sur présent et le futur », souligne-t-elle. « Bref, un lieu d’échanges multidirectionnels, tout en sachant que certaines lignes rouges ne peuvent être transgressées : pas de racisme, de sexisme, d’homophobie… Il faut accepter les règles de la démocratie. Tout le reste est négociable ! Les débats permanents que suscitent le Forum ne concernent pas seulement la société berlinoise mais créent une véritable polyphonie internationale dont la diversité correspond bien aux origines cosmopolites des objets exposés. Pour mieux alimenter ces discussions il faut inventer de nouvelles grilles d’analyse et un vocabulaire qui aident à questionner une longue histoire allemande et occidentale de violences et de colonialisme, tout en évitant les amalgames et les simplifications historiques. Il faut accepter la complexité des choses et être disposé à négocier ! ».

Mémoires juives associées

Au premier étage du Forum, l’exposition Berlin Global témoigne d’une approche novatrice de l’histoire et de l’identité berlinois, offrant au visiteur une série de points de vue contemporain sur la ville dans ses interrelations mondiales. Commissaire en chef de Berlin Global et directeur de la fondation Stadtmuseum Berlin, Paul Spies dirigeait jadis le musée municipal d’Amsterdam. Il souligne que « Cette exposition thématique n’est pas le récit mainstream d’une histoire de la ville, mais une approche critique de Berlin et de ses habitants. Nous privilégions aussi les points de vue individuels dans une approche polyphonique et incitons les visiteurs à se rencontrer et confronter leurs points de vue. Nous ciblons d’abord les jeunes visiteurs mais nous adressons à tout public. Bref une exposition populaire mais pas populiste pour autant ». Explorant les salles de l’exposition le visiteur découvre d’emblée les Sintis et Roms qui racontent leur propre histoire sous le nazisme. Soulignons que les références à l’histoire juive berlinoise sont multiples dans toutes les salles de l’exposition et aident le visiteur à entrevoir à quel point les mémoires juives sont étroitement associées à l’histoire et à l’identité berlinoise, avant et après la Shoah.

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