Regards n°1073

Le prophète et la pandémie

Tous les jours, nous lisons, écoutons, regardons les infos. Et ce qui fait des événements des petits points épars dans le temps et sur une carte, devient sous la plume de Gilles Kepel, un ensemble logique avec ses lignes de force. Comment a-t-il procédé pour Le Prophète et la pandémie ? L’auteur a perçu que l’accélération des événements en 2020 posait un défi de compréhension. Il a donc écrit en temps réel, un livre à chaud décrivant ces derniers. « J’ai commencé début juillet 2020 et je l’ai terminé en novembre, en suivant en permanence l’actualité. Il s’agissait de mélanger les focales, selon deux forces, l’axe fréro-chiite (Iran, Qatar et Turquie) et l’entente d’Abraham (Israël, Emirats Arabes unis, Bahreïn, Soudan et Maroc), et cela en différents lieux de la planète ».

2020 est pour le politologue une année-charnière. « Elle concentre tous les drames, toutes les incompréhensions, tous les dangers, et aussi les quelques espoirs, qui caractérisent le Moyen-Orient. La pandémie et l’effondrement des prix du pétrole ont provoqué des situations catastrophiques, propices à l’aggravation des ruptures et à la création de nouvelles alliances » (Interview Gallimard). 

Deux axes au Moyen-Orient

Désormais, pour comprendre cette région du monde, il faudra donc compter sur l’axe fréro-chiite et les accords d’Abraham qui se définissent par rapport aux Frères musulmans et à leur idéologie de l’islam politique. Pour l’Iran et la Turquie (profondément anti-laïque), les Frères musulmans doivent avoir l’hégémonie sur le monde politique, ce qui était presque le cas au lendemain des Printemps arabes mais qui a bien changé depuis. A contrario, le pacte d’Abraham est une digue anti-frériste qui introduit Israël dans le jeu moyen-oriental. Pourquoi ? Parce que la situation sur place s’est complètement modifiée. Avec la chute drastique des cours du pétrole, la pollution, le changement climatique, sans oublier les conséquences de la pandémie du coronavirus, les Emirats ont dû changer leur fusil d’épaule. Conséquence : leur ouverture à Israël et surtout à la high-tech israélienne dans laquelle ils veulent investir. Selon Gilles Kepel, « l’Arabie Saoudite qui chapeaute ces accords d’Abraham même si elle n’y est pas – encore – incluse, fait le pari de l’après-pétrole. Elle veut désormais s’appuyer sur une jeunesse productive et non plus rentière. Elle construit d’ailleurs une cité futuriste, Neom, très proche d’Israël, à seulement 40 km d’Eilat, et veut y produire de l’hydrogène vert » (conférence de l’IMA).

Le jeu d’Erdogan

Un des acteurs principaux de cette année 2020 est Erdogan. Pour le comprendre, il faut toujours garder en tête qu’il a la laïcité en horreur et qu’il se verrait volontiers rebâtir un nouvel Empire ottoman. Tout sauf l’héritage d’Atatürk, en tout cas ! Il a, au cours de l’année, multiplié les menaces, envoyé ses mercenaires en Libye, et en Azerbaïdjan… avec en point d’orgue la réislamisation de Sainte-Sophie le 24 juillet. Sans oublier ses rodomontades contre la France et particulièrement Emmanuel Macron. Heureusement, il s’est un peu calmé depuis.

Enfin, Gilles Kepel, pour expliquer les attentats qui ont surgi dans le sillage du procès de Charlie Hebdo, et dont la terrible décapitation de Samuel Patty, évoque un djihadisme d’atmosphère. De très jeunes islamistes, pour passer à l’acte, n’ont plus besoin des ordres d’un Daesh, ou tout simplement d’un chef. Suite à un événement, ils agissent seuls, de leur propre initiative, et sèment autour d’eux la désolation.

 

 

Le propos du Prophète et de la pandémie est absolument passionnant. Complexe aussi. Mais l’auteur est très pédagogue et n’hésite pas, au fil du livre, à rappeler régulièrement des éléments pour ne pas perdre son lecteur. Les cartes du livre rendent les situations immédiatement compréhensibles. Après cette lecture, on se surprend à suivre encore plus attentivement l’actualité et à y appliquer sa grille de lecture. En guise de fin, on vous conseille de bien observer ce qui se passe en Libye. La situation y est explosive. Affaire à suivre, donc.

Écrit par : Anne Rozenberg

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