Le sentiment de solitude des étudiants juifs de l’ULB

Nicolas Zomersztajn
Pour les étudiants juifs de l’Université libre de Bruxelles (ULB), l’année académique 2024-2025 débute comme s’est terminée l’année précédente, avec en toile de fond les actions des militants propalestiniens de l’« Université populaire de Bruxelles », ayant occupé le Bâtiment B durant six semaines. Les slogans et les mots d’ordre les plus problématiques sont devenus la norme, et le narratif du « génocide » à Gaza s’est banalisé sans le moindre questionnement. Une situation préoccupante pour les étudiants juifs.
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Coprésidents de l’Union des étudiants juifs de Belgique (UEJB), Gabrielle Piorka et Gad Deshayes nous ont accueillis dans les locaux de leur organisation situés face au Bâtiment A. Ils nous racontent le sentiment de solitude qui a suivi les massacres du Hamas commis le 7 octobre 2023, le climat hostile et parfois violent qu’ils doivent subir mais aussi la lutte pacifique qu’ils mènent avec détermination. Pour saisir la situation actuelle, un retour en arrière sur l’occupation du Bâtiment B est indispensable, car cette occupation n’avait rien de pacifique. Les occupants bloquaient des sorties de secours, ne respectaient pas les rappels à l’ordre des autorités en matière de sécurité, brûlaient des drapeaux, agressaient verbalement et physiquement des étudiants juifs, apparaissaient constamment masqués devant les journalistes… « Cela commence par ‘‘Libérez la Palestine’’ et ça finit par des croix gammées sur les murs des bâtiments », constate Gabrielle. « Durant ces six semaines, ils ont invité des prédicateurs de haine fichés par l’État belge tel, par exemple, Mohammed Khatib, leader de Samidoun, c’est-à-dire des individus qui n’auraient jamais pu obtenir l’autorisation de donner une conférence sur un campus. Les autorités académiques nous répondaient chaque fois qu’elles ne peuvent exercer le moindre contrôle, car il s’agit d’une occupation illégale de locaux ! Cette occupation s’est tellement bien installée que le Bâtiment B est devenu un squat. »

« Où sont les preuves ? »

Le sentiment de solitude et de vulnérabilité s’est accru avec l’agression physique du coprésident de l’UEJB, Gad Deshayes, commise par les occupants du Bâtiment B dès le premier jour de leur action, le 7 mai. Il y eu un silence radio de la part de toute la communauté estudiantine après cette agression. Aucun cercle n’a envoyé un message de soutien contrairement à l’habitude en cas d’agression sur le campus ou lorsqu’une minorité est visée. « En ce qui concerne Gad, le discours a changé complètement et des cercles ont même exprimé des doutes sur la réalité de son agression », se souvient Gabrielle Piorka. « ‘‘Où sont les preuves ?’’, demandent certains cercles, quand d’autres ne se privent pas de justifier cette agression. Nous avons dû mener une véritable bataille médiatique pour expliquer que Gad n’était pas venu agiter un drapeau israélien devant les occupants du Bâtiment B. De nombreux cercles ont relayé cette fausse information. Sachant que c’était faux, la rectrice a condamné l’agression, mais son communiqué ne caractérisait pas avec précision ce que Gad avait subi. C’était noyé dans une succession de débordements qualifiés de racistes. »

Les autorités académiques et la rectrice de l’ULB, Annemie Schaus, ont certes condamné cette agression physique et d’autres débordements des militants de l’Université populaire, mais ils se sont chaque fois réfugiés derrière l’idée d’une confrontation entre deux camps radicaux. « Ce qui est une vision tronquée de la réalité que nous vivons », s’exclame Gad Deshayes. « Seuls les étudiants juifs sont visés par la violence de groupes propalestiniens. L’inverse n’existe pas. Lorsque la rectrice condamne l’antisémitisme, elle se sent obligée d’y accoler le racisme et l’islamophobie, alors qu’aucun incident de ce type ne se manifeste sur le campus. Les Juifs y sont la seule minorité en danger. Il s’agit d’une réalité que les autorités académiques ont du mal à accepter. » Cette perception de la réalité ne semble pas avoir changé. Bien qu’elle soit consciente de faire face à une à une radicalisation préoccupante, la rectrice compte pourtant reprendre le dialogue avec les anciens occupants de l’Université populaire de Bruxelles. « En fait, je comprends l’indignation d’un tel mouvement mais je ne peux pas en accepter la forme », déclarait-elle le 16 septembre dernier dans un entretien accordé au Soir.

« Sales sionistes »

L’évacuation du Bâtiment B et les vacances d’été ont-elles contribué à calmer le jeu et les ardeurs militantes de l’Université populaire de Bruxelles ? « Malheureusement, nous avons dû constater, dès le 12 septembre, que ce n’était pas le cas », déplore Gad Deshayes. « Lors de la journée d’information sur les cercles et bureaux étudiants, dans le village des stands installé avenue Héger, nous découvrons que notre stand est occupé par les militants de l’Université populaire. Nous appelons la sécurité et nous prenons des photos. Très vite, ils deviennent fébriles, car ils ont tous été fichés pour ségrégation raciale lors de l’occupation du Bâtiment B. Ils s’approchent dans notre direction pour nous agresser, mais se ravisent en raison de la présence d’un garde qui nous protège. Ils prétendent alors qu’ils ignoraient que ce stand avait été attribué à l’UEJB, bien que nous insultant de ‘‘sales sionistes’’, et que d’autres stands étaient disponibles. Ils sont finalement partis pour s’installer dans la tente du Cercle du Libre Examen ! Cela symbolise bien la manière avec laquelle cette rhétorique antisioniste et antisémite s’est propagée sur le campus. Ils ont ainsi pu distribuer tranquillement leurs brochures durant toute la journée, alors qu’ils ne font absolument pas partie des cercles étudiants reconnus par l’Université. »

Cela se poursuit le 25 septembre 2024 avec la conférence, ou plutôt le meeting politique organisé par le Comac (cercle du PTB) à l’Université libre de Bruxelles, comptant comme orateurs Marc Botenga (député européen PTB) et Rima Hassan (députée européenne LFI). Le thème était « L’Europe complice d’un génocide ». La conférence s’est terminée sur le slogan « Vive la lutte armée du peuple palestinien » scandé par public, qui formait avec les doigts un revolver en signe de ralliement.

« Nous pensions que ce type d’incident susciterait la réprobation de la rectrice, car il s’agit d’un soutien explicite au Hamas. Nous avions tort. Elle considérait que tout cela était certes violent, mais demeurait trop ambigu pour qu’elle puisse qualifier cela d’incitation à la haine et au meurtre. Comme si elle était aveugle à la symbolique des mots et sourde à la portée des slogans politiques », soupire Gabrielle Piorka. « À aucun moment, l’ULB n’a déterminé de cadre clair dans lequel devait être menée toute mobilisation propalestinienne. La rectrice nous a systématiquement répondu que le caractère illégal de l’occupation l’empêchait de fixer la moindre règle. Cette attitude a permis aux occupants de tout faire et tout dire. À cause de cette occupation problématique, le climat hostile envers les étudiants juifs s’est renforcé et est aujourd’hui banalisé. Depuis lors, tous les cercles se focalisent sur la Palestine, même les cercles folkloriques qui n’ont jamais baigné dans une atmosphère politique. Ainsi, le cercle de droit a inscrit dans son carnet de baptême la mission “occuper le Bâtiment B le 7 octobre”. Ils ont aussi fait chanter ‘‘Vive la lutte armée du peuple palestinien’’ par les Bleus. Cette rhétorique antisioniste radicale infuse donc toutes les activités estudiantines. Certains étudiants de première année ont même décidé de renoncer à poursuivre les activités de baptême, car ils ont le sentiment qu’on les endoctrine avec une propagande haineuse. »

Sentiment d’insécurité et de peur

Les étudiants juifs se sentent donc seuls et isolés. « Les cercles étudiants nous tournent le dos ou nous traitent comme des pestiférés. Certains le font avec une hostilité assumée, d’autres par peur de passer pour des suppôts de sionistes ou d’apparaître du mauvais côté. La rectrice n’entend ni nos demandes ni nos préoccupations. Elle ne semble pas pouvoir apporter de réponse concrète face au sentiment d’insécurité et de peur que ressentent les étudiants juifs », regrette Gad Deshayes. Ils ont pourtant tenté de lui expliquer que très peu d’élèves issus des écoles juives se sont inscrits à l’ULB cette année, alors que pendant des années ils poursuivaient massivement leurs études dans cette université. « Pour ceux qui rejoignent l’ULB, il y a encore l’UEJB qui peut faire office de safe space juif », poursuit Gad. « En tant que responsables de l’UEJB, nous ressentons de manière significative que les étudiants juifs ont peur. Comme partout, ils ont de moins en moins envie d’être identifiés comme Juifs. Ils font donc tout pour passer inaperçus en dissimulant leur identité juive. Comme nous sommes donc les deux seuls visages juifs visibles à l’ULB, cela nous vaut de nombreux problèmes sur le campus et sur les réseaux sociaux. Tout cela ne suscite pas l’enthousiasme auprès des autres étudiants juifs pour exercer des responsabilités au sein de l’UEJB. »

Si les autorités de l’ULB ne prennent pas en considération cette situation inacceptable, d’autres problèmes plus graves risquent de se produire. Confrontés à des problèmes identiques, et même parfois plus violents, des universités américaines et françaises ont finalement pris des mesures pour les endiguer. Le problème n’est donc pas insoluble.

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