Regards n°1082

L’Edito – Banalisation

Maître incontesté du cinéma hollywoodien dans les années 1950, Billy Wilder est devenu le symbole de à la comédie américaine mêlant subtilité, finesse et élégance. Pourtant, Billy Wilder, dont on commémore en mars prochain le 20e anniversaire de sa disparation, fut terriblement tourmenté par la tragédie de la Shoah.
Ce cinéaste juif né en 1906 dans l’empire austro-hongrois s’est échappé de justesse de l’Allemagne nazie en 1933 en quittant Berlin quelques minutes seulement avant que la Gestapo ne vienne l’arrêter. L’un des événements les plus traumatisants de sa vie s’est produit en 1935, alors qu’il était déjà scénariste à Hollywood. De passage à Vienne, il a tenté de convaincre sa mère et son second mari de le rejoindre aux Etats-Unis. En vain, ils ne voulaient pas quitter « leur pays » et ne croyaient pas au danger que représentait Hitler. Ils seront tous les deux emportés par la Shoah sans que Billy Wilder ne sache quand ils ont été assassinés.
Billy Wilder était terriblement hanté par cette disparition même si, pour compenser son désespoir et son chagrin, il ironisait en déclarant : « Il y a les optimistes et les pessimistes. Les premiers ont fini gazés. Les autres ont des piscines à Beverly Hills ». En revanche, face aux négationnistes, il ne rigolait pas et se montrait intraitable. Un de ses biographes se souvient que face à ceux qui lui disaient que les chiffres sont exagérés, que ce ne sont que des mensonges inventés par les Juifs, etc., Billy Wilder répondait qu’il n’avait qu’une seule question à leur poser : « S’il n’y a pas eu de Shoah où est ma mère ? Où est-elle ? ».
Alors que nous venons de commémorer le 27 janvier dernier la Journée internationale dédiée au victimes de la Shoah, on imagine sans peine l’irritation qu’aurait causée à Billy Wilder la banalisation de la Shoah particulièrement prégnante dans les mouvements hostiles à la vaccination contre le covid-19. Ils ne cessent d’assimiler les mesures de lutte contre cette pandémie à la politique nazie de persécution et d’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. 

En effet, dans toutes les manifestations que ces mouvements organisent, des calicots sur lesquels l’étoile jaune est associée au pass sanitaire imposé aux non-vaccinés sont systématiquement brandis. Billy Wilder aurait sûrement trouvé une réplique cinglante pour leur signifier la bêtise insupportable du parallèle qu’ils font entre une « dictature sanitaire » et la dictature nazie.
Certes ils ne nient pas la Shoah, tout comme ils ne se livrent pas non plus à l’apologie du nazisme et de sa politique d’extermination des Juifs. L’idée sous-jacente est évidemment de frapper les imaginations en se référant au symbole du mal absolu pour décrire une situation jugée inacceptable. Mais ce procédé outrancier conduit inévitablement et instantanément à l’euphémisation et à la banalisation du référent historique évoqué. S’ils prétendent que la situation actuelle est identique à la Shoah, alors cet événement n’a jamais eu la dimension inédite et singulière que les historiens ont mise en évidence. Et s’ils comparent une démocratie respectueuse de l’Etat de droit dont la politique sanitaire vise à sauver des vies à un régime totalitaire raciste dont le but est l’élimination systématique d’un groupe humain, alors ils perdent la raison et le sens de l’Histoire. 

Enfin, qu’ils le veuillent ou non, ces antivax se moquent des victimes de la Shoah car ils nient la réalité du sort de ces victimes. Par conséquent, cette banalisation abjecte procède bel et bien d’une minimisation grossière au sens de la loi du 23 mars 1995 pénalisant le négationnisme.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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Annette Wieviorka
L'itinéraire d'Annette Wieviorka
Historienne spécialiste de la Shoah, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des archives depuis 2019,
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