04/11/2025
Regards n°1120

Les Nouveaux Antisémites, une plongée en apnée dans l’ultragauche

Après un an d’infiltration et d’enquête dans les manifestations et groupes propalestiniens en France, aux États-Unis et en Belgique, la journaliste Nora Bussigny signe Les Nouveaux Antisémites (Éditions Albin Michel), un compte-rendu effrayant à mettre dans toutes les mains.

Nora Bussigny, journaliste à Franc-Tireur et au Point, s’est fait une spécialité dans l’infiltration des groupes militants. Pour son ouvrage précédent, Les Nouveaux Inquisiteurs (Éditions Albin Michel), elle avait étudié de l’intérieur la mouvance dite « woke », dressant une série de constats alarmants sur ce qui s’y déroulait. Pour son nouveau fait d’arme, elle a plongé dans les mouvements d’ultragauche et les nombreux groupes et événements propalestiniens qui ont fleuri partout en France… mais pas seulement. Elle s’est aussi intéressée au cas des États-Unis, avec le tristement célèbre cas Columbia. Une université devenue l’épicentre américain de mouvements violents et antisémites qui ont secoué les campus, expulsé des étudiants juifs des auditoires et fait l’apologie répétée du terrorisme. Enfin, cerise sur le gâteau, la journaliste française s’est intéressée à notre Université libre de Bruxelles (ULB), agitée depuis de nombreuses années par la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions), mais où, depuis le 7 octobre 2023, de nombreuses digues semblent avoir sauté.

C’est un ouvrage qui a demandé, on le sent très rapidement à la lecture, un travail journalistique colossal. Car les déplacements, infiltrations et nombreuses interviews sont impressionnants, mais tout autant que l’application rigoureuse de la déontologie du métier. Chaque information découverte est recoupée et vérifiée, chaque zone d’ombre est soulignée et décortiquée, et l’application du droit de réponse est omniprésente, même si, évidemment, les personnes mises en cause au cours de l’enquête refusent souvent tout commentaire. Et on les comprend, parce qu’il y a de quoi se cacher dans un trou de souris.

Le cheval de Troie de l’antisémitisme

Des collectifs féministes, en passant par une série d’associations et événements LGBT, jusqu’aux universités et leurs nombreux cercles, Nora Bussigny dresse rapidement un constat glaçant : « Il y a une véritable infiltration de la mouvance islamiste dans toute la société française grâce à l’aide efficace, réfléchie, programmée, de la gauche radicale, véritable cheval de Troie de l’antisémitisme. »

À travers une enquête très détaillée, la journaliste nous montre, entre autres, l’influence de nombreux mouvements comme BDS, Palestine vaincra, Samidoun et bien d’autres dans les milieux associatif et estudiantin, ainsi que leurs porosités réciproques, permettant souvent aux militants de poursuivre leurs activités et leur noyautage après avoir été interdits et dissouts pour incitation à la haine ou apologie du terrorisme, voire soupçon de collusion avec celui-ci.

Et si beaucoup de militants et de politiques continuent à clamer avec culot et hypocrisie que l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme, les faits sont têtus et le constat, sans équivoque. Nombre de témoignages à travers l’ouvrage, y compris de mineurs, confirment que « sale sioniste » devient très vite « sale Juif », que les étudiants sont exclus, apostrophés ou insultés sur la seule base de leur nom de famille ou de la visibilité d’une pratique religieuse, et que l’usage par des condisciples de croix gammées en guise de réponse aux affiches parlant des otages israéliens laisse peu de marge dans l’interprétation du message. Harcèlements, insultes et menaces à l’université, mais aussi en secondaire et même, à l’école primaire, la vie scolaire des Juifs en France, en Belgique et aux États-Unis a de quoi faire hurler, et ferait surement hurler toute la gauche si elle concernait un autre groupe minoritaire. Mais pour l’heure, ces gamins restent bien seuls. Pour eux, pas de manifs, pas d’appels à la fraternité, rien que des doigts pointés aux cris de « intifada, intifada ».

Une haine qui rassemble

Sur le plan politique, cette longue investigation de Nora Bussigny fait écho à celle de son confrère Omar Youssef Souleimane (apparaissant, d’ailleurs, dans l’une des enquêtes de la journaliste, notamment pour l’épauler en traduisant certains discours), qui a publié, en ce mois d’octobre également, un ouvrage d’investigation sur La France Insoumise et ses liens avec les mouvements islamistes (Les Complices du mal, Plon, 2025.) – l’ambiance de rentrée a dû être sympa, au siège de LFI.

Mais l’élément sociétal passionnant qui ressort surtout de l’enquête de la journaliste est la taille des contradictions effarantes au sein de certains mouvements de gauche qui, l’intersectionnalité étant passée par là, ne voient pas l’absurdité des combats qu’ils mènent simultanément, et la trahison, souvent révoltante, de leurs propres causes, au nom de leur haine totalement irrationnelle d’Israël. L’auteur du livre constate à quel point la haine des Juifs permet de rassembler une gauche fragmentée et de mettre les dissensions internes sous le tapis.

Dans son livre, elle revient sur les diverses marches et mobilisations « féministes » qui, comme elle a pu le constater sur place ou par témoignages interposés (dont celui de Viviane Teitelbaum) ont viré au festival du crapuleux, en France comme en Belgique. Lorsqu’il est question de Palestine, ce n’est plus un problème que les hommes coupent la parole aux femmes, leur hurlent dessus ou leur lancent des tessons de bouteilles si, par malheur, elles ont une opinion qui déplaît. Il n’est plus question d’empêcher les hommes de “silencier” , les femmes voulant porter la parole de victimes de viol. À Paris, à Bruxelles, comme dans tant d’autres endroits de la planète, personne n’a voulu entendre ce qui était arrivé aux femmes israéliennes le 7 octobre. #NousToutes… ou presque. Comme le dit désormais l’adage « #MeToo, unless you’re a Jew » (MeToo, sauf si tu es une juive).

Nous sommes nombreux à regarder, perplexes, les incohérences et incompatibilités de cette impossible convergence des luttes qui va dans le mur. Par ailleurs, s’il est très flatteur pour l’ego d’être appelé « allié » ou « déconstruit », la culpabilisation permanente d’être né dans la case des « privilégiés », et l’obligation de toujours parler après tout le monde, ça peut en fatiguer plus d’un, sur la durée… C’est alors que la cible magique sort du chapeau : il suffit de taper tous ensemble sur le Juif.

La tactique est évidente : jouer sur les culpabilités occidentales, comme l’esclavage, la colonisation ou le nazisme. Pour preuve, l’usage permanent des expressions « être du bon côté de l’Histoire » et « l’Histoire vous jugera ». Ce n’est pas un hasard si les mouvements pro-palestiniens usent et abusent de termes totalement inadéquats mais très frappants pour l’imaginaire, tels que « collaboration », « apartheid », « génocide », « résistance », ou encore, « déporter », comme l’a récemment osé l’élue écologiste française Marine Tondelier, dans la Matinale de TF1 du 10 octobre 2025,  pour parler des moussaillons de la flottille TikTok qu’Israël allait expulser.

Après avoir travaillé au corps la jeunesse occidentale, lui imputant l’héritage honteux de toutes les tragédies du passé et de tous les maux de la planète, il est très facile de mettre le feu aux poudres en lui présentant un groupe humain qui concentrerait en lui tous les péchés que l’Occident doit expier. Ils sont décrétés « blancs » (ce qui est déjà faux, mais qu’importe), donc racistes et coloniaux. Ils ont une bonne armée, donc ils sont virilistes et génocidaires. La figure du Juif bouc émissaire n’avait pas été aussi vivace depuis longtemps. Colonialisme, masculinisme, racisme, il y a une façon toute faussement progressiste de s’attaquer à Israël en tentant de lui faire porter tous les stigmates réactionnaires. Et pourtant.

Cachez cette modernité que je ne veux voir !

Service militaire obligatoire, apprentissage des arts martiaux, maniement des armes, l’humoriste Yohay Sponder déconseille aux touristes de draguer les Israéliennes : « Nos femmes sont les meilleures ! Elles sont fortes ! Elles vous défonceront au bras de fer ! » De fait, elles sont les plus libres du Moyen-Orient, peuvent accéder aux plus hautes fonctions, et personne ne les empêche de porter tenues légères et bikinis. Mais tout cela ne compte pas. Le raisonnement intersectionnel est aussi buté que de mauvaise foi : tout élément qui ne confirme pas le narratif est ignoré ou nié. Pire, il est parfois déformé. Ainsi, le progressisme israélien sur les questions LGBT est présenté comme une arme politique pour manipuler l’opinion ; c’est le fameux concept de pinkwashing.

Tout cet acharnement sur l’unique État juif du monde entraîne des répercussions directes sur la perception que l’on a des Juifs du monde entier. Car s’ils n’ont qu’un pays et que ce pays est l’incarnation du Mal, c’est bien la preuve qu’ils doivent être mauvais par nature. Après un ultime chapitre sur le parcours de la députée européenne Rima Hassan et son étrange et ancienne fascination pour Israël et le judaïsme, Nora Bussigny conclut son ouvrage « le cœur lourd », face à la taille du chantier qui se dessine : « Ceci n’est pas une conclusion mais un cri de désespoir ». Désespoir consolé par la conscience de s’être fait le porte-voix de victimes que l’on n’écoute plus, et le témoin de dangers que l’on refuse de voir. Une enquête à lire et à faire lire de toute urgence. 

Écrit par : Sarah Borensztein

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