Regards n°1115

Les origines juives du flipper

Madeleines de Proust des enfants du baby-boom, les flippers connaissent un regain de popularité après avoir été longtemps remisés dans les caves et les greniers. L’histoire juive du « pinball » demeure, quant à elle, largement méconnue…

Si vous avez grandi entre les années 1960 et 1980, il y a fort à parier que les sons métalliques caractéristiques du flipper vous reviennent telles des madeleines de Proust. Popularisé dans les années 1930, au moment où le krach boursier met sur le carreau des millions de travailleurs, le flipper sert aussitôt de divertissement bon marché permettant de troquer la grisaille économique pour des horizons ludiques et colorés.

Dans les années 1960 et 1970, à mesure que la jeunesse du baby-boom s’en empare, les parties s’enchainent à un rythme effréné. Entre tilt, bumpers et extraball, la machine vit alors son âge d’or et fascine au point de devenir un élément récurrent de la culture populaire. Oscillant entre objet de fascination et outil de rébellion, ses couleurs deviennent audacieuses, son graphisme plus attirant, parfois volontairement provoquant lorsqu’il affiche des pinups aux courbes érotisées.

De Renaud à Dutronc, des Who et leur fameux Pinball Wizard au groupe Téléphone chantant « On joue sa vie comme on joue au flipper / Déjà tout môme on flippe de bumper en bumper », toute la scène musicale de l’époque s’en empare allègrement. « Le flipper, c’est la recherche du fun et du high score, le fait de ne pas être sérieux auxquels il faut ajouter l’aspect technique qui permet de pouvoir tout démonter pour remettre en état la machine, avec minutie. En somme, un challenge au quotidien », explique Willy Sayad, collectionneur de flippers. A l’heure des écrans omniprésents, tablettes et autres smartphones nous enfermant dans des bulles étanches, le bon vieux flipper, signe un come-back remarqué. De retour dans les bars et les cafés, mis en avant comme par les start-ups qui veulent se donner l’air cool mais aussi et surtout chez les particuliers qui veulent retrouver le frisson de leur jeunesse, la machine surfe sur l’engouement pour l’esthétique rétro et l’effet de nostalgie.

Ce que l’on connaissait moins était son histoire juive, intrinsèquement liée à son développement et à son essor. Dans l’Amérique d’avant-guerre, l’industrie du jouet était encore relativement nouvelle, et exempte d’un quelconque cadre antisémite officiel ou officieux barrant la route de l’emploi aux travailleurs juifs contrairement à d’autres secteurs. À l’instar des industries naissantes du divertissement, dont le cinéma ou la BD, l’industrie du jeu et du jouet va attirer un nombre non négligeable d’ouvriers, de commerçants et d’artistes juifs saisissant l’opportunité d’y faire carrière. C’est notamment dans les villes du Nord, et en particulier autour de la ville de Chicago, que s’installera durablement cette industrie, en dépit des différentes interdictions prononcées par les autorités au nom de la morale puritaine et de la lutte contre le financement de la mafia, les flippers étant couramment assimilés à des machines à sous.

Les Gottlieb, les Stern, les Sharpe

Après-guerre, le secteur connait une croissance significative. L’empreinte laissée par quelques pionniers juifs sera dès lors indéniable. En premier lieu celle de David Gottlieb, fondateur de Gottlieb Pinball, qui permettra au secteur de faire un pas de géant en ajoutant les leviers permettant de mieux contrôler la trajectoire de la balle, les fameux flippers. Une évolution qui permettra à sa société de devenir leader sur le marché durant plusieurs décennies. Une première success story bientôt imitée par la famille Stern, père et fils. Actuel mastodonte du secteur grâce à son offre pléthorique et son vaste catalogue de franchises utilisant l’image de groupes de rock, de super-héros Marvel et autres blockbusters hollywoodiens, l’entreprise profite aujourd’hui pleinement du regain d’intérêt pour le flipper. A ses côtés, se tient la famille Sharpe, auréolée du titre de « Pinball Royal Jewish Family » par le média juif américain Tablet ! On doit à Roger, le père, et à ses deux fils, Josh et Zach, la création de l’International Flipper Pinball Association (IFPA), ligue recensant les joueurs du monde entier et organisant des tournois sur tous les continents. Aux dernières nouvelles, l’IFPA comptabilisait plus de 120 000 joueurs et plaçait en tête de son classement un jeune prodige du nom d’Escher Lefkoff, lui-même initié par son père Adam. Le flipper est décidément une affaire d’habileté et de transmission.

Écrit par : Laurent-David Samama

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Historienne spécialiste de la Shoah, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des archives depuis 2019,
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