En cause, vous vous en doutez sans doute les résultats des dernières élections israéliennes qui ont vu la victoire d’une coalition aux contours effrayants. Imaginez du peu une coalition où Netanyahou apparaît comme la personnalité la plus… progressiste. Oui, la plus progressiste tant ses associés sont situés à droite de l’échiquier politique, entre rabbins a-sionistes et leaders d’extrême droite protofascistes. Oui, je ne doute pas un seul instant que l’on me reprochera de taxer un élu du peuple de (proto)fasciste. Certes, je vous l’accorde cette affirmation m’aurait personnellement choqué compte-tenu des leçons d’Auschwitz et de cette formidable démocratie israélienne qui n’a jamais cessé de m’étonner. Comme vous, j’aime profondément Israël, les valeurs de ses pères fondateurs, largement inspirés des Lumières. Oui, le sionisme est un humanisme. A ses sources, en tout cas.
Aujourd’hui tout paraît bien plus confus. Avec Eva Illouz, une sociologue franco-israélienne et professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem (et nullement hostile à Israël), on ne voit pas comment l’on pourrait qualifier autrement que de « fasciste juif » Itamar Ben Gvir, le leader de la troisième force politique, « la Force juive » (Otzma Yehudit). Si Benjamin Netanyahou peut en effet être qualifié de populiste de droite à propension illibérale, le leader d’Otzma Yehudit se situe, lui, bien au-delà du populisme pour prôner, notamment, le recours à la violence au nom de la défense de « la terre, de la nation et de Dieu ». Ce politicien sait de quoi il parle : à plus d’une occasion, il n’a pas hésité à sortir son arme de poing et exhorté les agents de la police des frontières à tirer à balles réelles sur des Arabes qui jetaient des pierres. Dans un discours tout récent, initialement diffusé par erreur, Ben Gvir, qui revendiquait le ministère de la Sécurité intérieure (qu’il a d’ailleurs obtenu), a déclaré que Meir Kahane restait une source d’inspiration. Pas nazi, certes, mais bien protofasciste. Est-ce un hasard si notre homme, jugé trop séditieux, n’a pas été admis dans l’armée israélienne ; une première pour un homme politique israélien !
Les temps s’annoncent donc des plus sombres non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les citoyens israéliens de toute confession, juive comprise et ce, sans même parler des Juifs de diaspora. Dans sa vision racialiste du judaïsme (et donc contraire à sa lettre et son esprit), notre homme, à l’instar de son colistier Bezalel Smotrich, entend par exemple remettre en cause la « clause des petits-enfants », c’est-à-dire restreindre le droit au retour aux seules personnes nées de parents juifs. De même, voilà nos deux compères qui, dans un même élan, entendent voir annuler la décision de la Cour suprême de reconnaître aux Juifs convertis au sein des divers mouvements libéraux du judaïsme de bénéficier de la Loi du retour. Belle manière de diviser le peuple juif, de s’aliéner la judaïcité américaine et ex-soviétique ! Une enquête publiée par le bureau de recherche de la Knesset a révélé, en effet, que près de trois nouveaux immigrants sur quatre en provenance de l’ex-Union soviétique en 2020 n’étaient pas juifs selon la halakha. Nos deux leaders affichent ostensiblement un mépris ouvert pour les Juifs non orthodoxes, comme d’ailleurs pour les normes et institutions démocratiques. Leur objectif est clairement d’établir un Etat plus juif que démocratique. Preuve en est le souhait de la nouvelle coalition de porter les allocations mensuelles des étudiants en yeshiva à 1.300 shekels soit un montant supérieur à celui alloué aux soldats de Tsahal. Les partis ultra-orthodoxes qui ne sont pas en reste souhaitent pour leur part faire adopter une loi qui autoriserait la séparation entre les sexes lors d’événements financés par des fonds publics.
Le gouvernement que forme Netanyahou sera certainement le plus va-t-en-guerre de toute l’Histoire de l’Etat juif avec Ben Gvir et Smotrich, deux véritables fauves dont il a ôté les chaînes en toute connaissance de cause. Ben Gvir a obtenu le portefeuille de la Sécurité intérieure, qui supervise la police et la sécurité du territoire. Parmi les premières réformes envisagées par le leader de HaTzionout HaDatit (« sionistes religieux »), la mise en place d’un mécanisme qui permettrait à la Knesset de passer outre le droit de veto de la Haute cour face aux lois qu’elle estimerait inconstitutionnelles. Toujours à le suivre le gouvernement devrait « prendre des mesures » contre certaines organisations de défense des droits de l’homme lorsqu’il entrera en fonction, qualifiant ces groupes de « menace existentielle pour l’Etat d’Israël ».
Cela va être un « gouvernement sans précédent », prédit dans le Yediot Aharonot, la chroniqueuse politique Sima Kadmon. « La plupart des portefeuilles importants seront entre les mains de fanatiques (…) Tout le monde sait que si seulement une fraction de ce qui a été promis est mise en œuvre, cela va être un pays différent ». Plus je vieillis plus je me rends compte que la principale leçon de l’histoire est qu’on n’en tire aucune leçon. Par bêtise, par fanatisme, par peur, mais aussi par effet de ressentiment et de traumatismes anciens. Ben Gvir est un Juif d’origine d’Irak, désormais judenrein. Il n’y a plus qu’à espérer un miracle pour que le gouvernement de déséquilibrés qui s’annonce ne voie jamais le jour. Une certitude : nous allons vivre au CCLJ des moments bien difficiles avec une rue juive plus encline que jamais à défendre n’importe lequel des gouvernements israéliens. Même le pire des pires.