Regards n°1068

L’inanité de l’appropriation culturelle

Loin de contester la pertinence des analyses de tous les tenants de l’approche intersectionnelle, il faut malgré tout constater que la mouvance antiraciste qui s’en réclame se manifeste souvent par des outrances, des approximations et une grande confusion dans les concepts. Ce qui l’entraîne à marquer du sceau de l’infamie les opinions et les démarches différentes de la sienne. Le concept d’appropriation culturelle illustre bien ces excès.

Il y aurait appropriation culturelle lorsque des éléments d’une culture dite dominée ou racisée sont repris ou interprétés par des représentants d’une culture dite dominante. Ainsi, lorsqu’un grand couturier européen s’inspire de motifs africains ou amérindiens pour créer ses collections, ce serait de l’appropriation culturelle ; lorsqu’un romancier américain blanc publie une fiction dans laquelle il fait parler des personnages noirs sous la ségrégation, cela tomberait sous le coup de l’appropriation culturelle ; lorsqu’une troupe de théâtre ou de danse aborde dans un spectacle les oppressions ou les discriminations vécues par un groupe dominé sans qu’un de ses représentants ou descendants ne fasse partie de la troupe, il y aurait encore appropriation culturelle. L’appropriation culturelle ne serait donc qu’une spoliation de l’identité des « racisés ».

Peu importe si les artistes, les intellectuels ou les créateurs dénoncent une problématique d’oppression et y sensibilisent le public. Selon les tenants de l’appropriation culturelle, il appartient exclusivement au groupe dit dominé ou racisé à s’en saisir et à en parler lui-même. En d’autres termes, toute personne appartenant au groupe des « dominants » ne peut parler à la place des minorités racisées. Cette vision est dangereuse car elle crée des ghettos culturels et ignore les multiples sources dans lesquelles la création puise.

Ils se trompent également de cible. Loin de s’attaquer à des mouvements, des journaux et des personnalités réellement racistes, de nombreux collectifs antiracistes intersectionnels se référant au concept d’appropriation culturelle préfèrent lancer des campagnes aussi virulentes qu’injustes contre des artistes et des intellectuels soucieux du sort des victimes du racisme. Ces artistes et ces auteurs sensibles à la diversité et l’interculturalité, tremblent à l’idée qu’un collectif antiraciste lance contre eux l’accusation systématiquement infondée de racisme. Ce qui n’est absolument pas le cas des identitaires d’extrême droite qui n’hésitent pas à scander ouvertement des propos racistes, homophobes et sexistes qu’ils assument pleinement.

Dénoncer les dérives de ce nouvel antiracisme ne revient pas à remettre entièrement en cause ses combats. Nous serons toujours du côté de ces militants antiracistes lorsqu’il s’agit de mettre fin aux discriminations et aux discours haineux. En revanche, nous ne les suivrons pas lorsqu’ils trainent dans la boue des artistes et des intellectuels attachés au métissage et au dialogue des cultures.

Voilà pourquoi des assises de la lutte contre le racisme ne doivent pas être envisagée dans la seule perspective intersectionnelle. Il y a aussi de la place pour les tenants d’une conception universaliste de l’antiracisme. Loin de porter le faux nez de la domination occidentale « blanche », les universalistes défendent des valeurs d’émancipation que tous les combattants des luttes anticoloniales n’ont cessé de revendiquer.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
OK_Opinion

Esc pour fermer

22
Le kubbeh bamya : un ragoût d’okras avec des kubbeh
Carnet de cuisine Okra est le nom donné aux États-Unis à ce légume conique et iconique. Appelé aussi bamya au(...)
Michèle Baczynsky
Vie Juive
Visuel Utick 2024-2025 (11)
Retracer la mémoire invisible de la Shoah
L’exposition Archives du paysage s’efforce de redonner une existence aux victimes juives anonymes de la Shoah en Pologne, assassinées en(...)
Pierre Briand
Mémoire, Culture
13
Olivier Barrot, Portrait d’Itkine, Éditions Gallimard, 120 p.
Je lis, tu lis, ils écrivent par Henri Raczymow
Henri Raczymow
Culture
14
Jean-Claude Grumberg, Quand la terre était plate, Seuil, Éditions La librairie du XXIe siècle, 156 p.
Je lis, tu lis, ils écrivent par Henri Raczymow On ne présente plus cet auteur de célèbres pièces de théâtre,(...)
Henri Raczymow
Culture, Mémoire
2
Que faire des Juifs ?
Joann Sfar arpente l’histoire juive, l’antisémitisme et son propre héritage familial dans Que faire des Juifs ? (Éditions Les Arènes(...)
Roland Baumann
Antisémitisme, Culture
Visuel regards 2024-2025
Le livre de ma mère d’Henri Raczymow
Chroniqueur littéraire à Regards et auteur de romans, de récits et d’essais, Henri Raczymow a publié, fin 2024, Variations pour(...)
Régina Zylberberg
Culture