Regards n°1089

Mal raconter le passé n’éclaire pas le présent

Il est de notoriété publique que Menahem Begin fut un auditeur assidu de la BBC. C’est même en écoutant cette radio qu’il a appris l’anglais. Selon ses proches collaborateurs, il n’était pas rare de le voir interrompre une réunion pour écouter les bulletins d’information de midi ou de 18h. Il savait que la Beeb a toujours veillé à maintenir ses exigences très élevées en matière de fiabilité de l’information. Premier ministre du gouvernement israélien, il a pu le vérifier à ses dépens à l’occasion du massacre de Sabra et Chatila commis par les milices chrétiennes lorsque Tsahal prend le contrôle de Beyrouth-Ouest en septembre 1982 (Opération Paix en Galilée). C’est en effet en écoutant la BBC le 18 septembre, soit deux jours après le déclenchement du massacre, que Menahem Begin a appris que les Phalanges libanaises sont entrées dans ces deux camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth pour y tuer les civils. Information que lui avait dissimulée Ariel Sharon, alors ministre de la Défense. Cet exemple a contribué à élever la BBC, qui célèbre ce mois-ci le centenaire de sa création, au rang de référence suprême en matière d’exactitude et de fiabilité de l’information.

La Belgique peut-elle en dire autant de ses médias publics ? Autrement dit, s’il était encore parmi nous et s’il parlait français, Menahem Begin aurait-il été un auditeur fidèle et assidu des journaux de la RTBF en radio pour bien se tenir informé ? A priori, rien n’indique que les rédactions de cette radio de service public ne suivent pas scrupuleusement les exigences de la BBC. Il arrive toutefois qu’au hasard d’une chronique diffusée pour éclairer l’actualité, une information erronée et factuellement fausse soit diffusée.

 Un exemple vaut toujours mieux qu’une longue explication. Dans sa séquence l’Histoire continue diffusée le 8 septembre dernier sur Matin Première (la Première radio), une chroniqueuse revient sur le choc pétrolier de 1973 et l’instauration du premier dimanche sans voiture, deux événements censés éclairer la crise actuelle. Expliquant que la guerre du Kippour fut l’événement qui avait enrayé la machine économique mondiale à l’instar de la guerre en Ukraine aujourd’hui, la journaliste explique que « le 6 octobre 1973, l’armée israélienne attaque le Sinaï et le Golan occupés par les troupes égyptiennes et syriennes, la guerre du Kippour bouleverse les relations internationales, … » ! Si la BBC avait osé diffuser une information aussi fausse, Menahem Begin se serait senti trahi, non pas par le ministre de la Défense ou les généraux de Tsahal, mais par sa radio préférée puisqu’en réalité, ce sont les armées égyptiennes et syriennes, et non pas l’armée israélienne, qui lancent le 6 octobre 1973 une offensive surprise coordonnée contre Israël dans la zone du canal de Suez pour la première et sur le plateau du Golan pour la seconde. Ces deux territoires ayant été conquis par Israël six ans plus tôt lors de la guerre des Six jours.

 Certains y voient à tort une énième preuve d’une désinformation volontairement orchestrée par la RTBF afin de diaboliser Israël. Ils se trompent car la rédaction a rapidement reconnu et corrigé son erreur. La réalité, sûrement plus prosaïque et plus banale, présente toutes les caractéristiques d’un cocktail composé de trois ingrédients : un quart d’outrecuidance, un quart d’air du temps anti-israélien et enfin une bonne dose de méconnaissance historique. En mélangeant le tout, on obtient ce type d’erreur. Il n’y a évidemment pas mort d’homme mais pour un journaliste digne de ce nom, il s’agit d’une violation de l’article 1er du Code de déontologie journalistique en vertu duquel « les journalistes recherchent et respectent la vérité en raison du droit du public à connaître celle-ci. Ils ne diffusent que des informations dont l’origine leur est connue… ». Mais surtout, l’auteure de cette chronique passe à côté du noble objectif qu’elle s’est assignée en racontant le passé pour mieux éclairer le présent. C’est dommage car comme le soulignait très justement Marguerite Yourcenar, « Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait dit Racine, vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d’y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes et les problèmes qui diffèrent ».

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