Mémoire et transmission : le voyage en Pologne de la JJL

Chloé Van Lancker
Depuis 2011, tous les deux ans, la JJL offre à ses madrihim la possibilité de participer à un voyage de trois jours en Pologne. Durant ce week-end, ils ont l’occasion de visiter Cracovie et son ancien ghetto mais également Auschwitz-Birkenau.
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Ce projet de voyage mémoriel en Pologne fait partie intégrante du combat citoyen que mène notre mouvement de jeunesse contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, la discrimination et l’extrême droite. L’objectif est, ici, clairement défini : il s’agit, pour nous, de permettre à nos jeunes de mieux appréhender l’histoire et de comprendre les spécificités du crime de génocide. Il nous permet également d’amener la jeune génération à s’interroger quant au rôle qu’elle souhaite jouer en ce qui concerne la transmission historique de la Shoah.

Pour l’édition 2023, nous avons choisi de renforcer la préparation et le suivi du voyage afin de mieux outiller les madrihim (moniteurs) dans le cadre de ce travail mémoriel. Il ne s’agit plus « simplement » d’un voyage à Auschwitz mais bien d’un projet global, sur le long terme dont le week-end est une étape essentielle et la question de la transmission, le fil rouge.

C’est dès le mois d’août, lors du voyage en Israël que les jeunes ont approché le sujet. En effet, en allant visiter Yad Vashem, ils ont pu entamer leur réflexion par un angle commémoratif et très émotionnel. Pour la plupart d’entre eux, il s’agissait d’une première visite. Ils en sont ressortis émus et bouleversés. En début d’année scolaire, en compagnie des autres mouvements de jeunesse de la brith, ils ont eu l’occasion d’écouter les témoignages de deux enfants cachées, Régine Sluzny et Gisèle Flachs. Ils ont également pris part à la « marche de Malines » lors de laquelle un hommage particulier a été rendu aux résistants qui ont arrêté le 20e convoi le 19 avril 1943. La participation à ces évènements leur a permis de faire les premiers pas du processus mémoriel.

Il était temps d’entamer le projet proprement dit. La particularité de la JJL réside, entre autres, dans la mixité des familles des jeunes qui en font partie ainsi que dans la diversité des écoles qu’ils fréquentent. C’est ce qui explique qu’ils n’aient pas tous le même bagage historique. Leurs connaissances sont variées : limitées à l’essentiel pour certains, très poussées pour d’autres. Leur lien émotionnel à cette histoire est également très diversifié en fonction, souvent, de l’histoire familiale. Il nous paraissait donc pertinent de débuter par une séance de « mise à niveau ».  Les jeunes ont pu exprimer leurs attentes et leurs craintes relatives au futur voyage. Cette première rencontre a été l’occasion de donner une place à la dimension affective mais aussi de faire une première mise en contexte basée sur les faits historiques, tout en mettant l’accent sur la différence entre croyances et savoirs.

Meilleure compréhension historique du génocide

Peu de temps après, les jeunes ont pris part à la soirée commémorative organisée le 27 janvier 2023, par le CCLJ, dans le cadre de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah. Ils ont pu y découvrir l’histoire particulière de ces milliers de Juifs anversois qui ont trouvé refuge à Cuba dans les années 1940. C’est, ensuite, l’équipe du Centre d’éducation à la citoyenneté du CCLJ, « La haine, je dis NON ! » qui a pris le relais ! Grâce à cette intervention, les madrihim ont pu développer une meilleure compréhension historique de la Shoah et du sort des Juifs en Belgique entre 1940 et 1945. Un exposé historique, basé sur l’antisémitisme nazi, la vie des Juifs en Belgique et l’album d’Auschwitz, leur a été proposé de manière interactive. Ils ont également visionné des extraits de films : Paul et Sophie de Valentine Roels et Shoah de Claude Lanzmann. Les jeunes ont pu poser toutes les questions qu’ils souhaitaient, que celles-ci concernent l’aspect émotionnel des visites qui les attendaient ou celui purement factuel lié aux faits historiques et à la compréhension du processus qui a mené au crime de génocide.

Enfin, début mars, c’était le départ pour Cracovie. Les madrihim étaient accompagnés, pour ce voyage, de deux membres de la Maison de la Jeunesse Laïque Juive, d’un membre de l’équipe de « La haine, je dis NON ! » et de l’historienne Laurence Schram, responsable des recherches à Kazerne Dossin, mémorial, musée et centre de documentation sur la Shoah en Belgique. Dès l’arrivée, cette dernière a guidé le groupe dans les rues de Cracovie et particulièrement dans celles du ghetto de Podgorze. Cette visite interactive, ponctuée par la lecture de plusieurs témoignages, a permis aux jeunes de prendre conscience de ce qu’était la vie juive avant et après 1940, à Cracovie.

Le lendemain, nous avons pris la route pour nous rendre sur le site d’Auschwitz. Notre guide, Marta, nous a accompagné tout au long de la journée. La visite nous a menés à travers les différents bâtiments du camp. Beaucoup d’informations et d’explications ont été dispensées. Il n’a pas été simple, pour les membres de notre groupe de toutes les assimiler : beaucoup de faits, de chiffres, d’explications techniques, … Un moment particulier a été consacré à la visite du pavillon belge et aux histoires particulières de chaque convoi parti de Malines.

Nous sommes ensuite allés sur le site de la « Judenramp » à Birkenau. L’occasion de faire explicitement le lien entre la déportation de la communauté juive de Belgique et le complexe d’Auschwitz-Birkenau. Ce fut un moment très émouvant durant lequel certains ont eu une pensée particulière pour les membres de leur famille arrivés ici. Nous sommes enfin entrés sur le site de Birkenau. La visite des baraquements et des « sanitaires » ont marqué les esprits. Nous avions tous vu des images mais, sur les lieux, nous avons pu prendre conscience de ce que pouvaient être les conditions de vie au sein du camp. Nous avons, ensuite, marché le long de la rampe de sélection pour arriver aux ruines des chambres à gaz II et III. Ce fut un moment de silence et de recueillement. Sur le site du « Kanada », c’est l’immensité du lieu qui nous a laissé sans voix. Le nombre d’entrepôts nécessaires au stockage des biens appartenant aux personnes assassinées est très impressionnant.  En baissant les yeux vers le sol ici ou là, nous avons pu retrouver des objets ayant appartenus aux victimes : une fourchette, une cuillère, … que nous avons déposés auprès de ceux qui étaient exposés. Quatre-vingts ans plus tard, ces biens personnels ressortent encore de terre. Nous nous sommes rendus, après cela, au bord de ce petit lac rempli de cendres, à proximité des chambres à gaz IV et V. Il faut concéder que la plupart du groupe, à ce stade de la visite, était absorbé dans ses pensées et dans l’observation des lieux. Nous avons, sans doute, manqué, ici, certaines explications de notre guide mais nous ressentions, en nous, l’importance de vivre le moment et de se donner le temps de regarder, de sentir, de faire le lien avec les faits historiques que nous connaissions et d’assimiler. Finalement, nous avons visité le sauna et avons pu mettre des images sur ce lieu de déshumanisation en passant à travers chaque étape du processus.

Chacun en proie à des émotions différentes

Après cette journée éprouvante, nous avons repris le bus pour Cracovie. Nous étions silencieux, sous le choc. Chacun en proie à des émotions différentes. Colère, tristesse, désarroi, culpabilité, devoir, … Nous avons consacré un moment, dans la soirée, à une séance de débriefing lors de laquelle Laurence Schram a pu apporter des précisions historiques et répondre aux questions des jeunes. C’était également le moment d’échanger nos émotions et nos ressentis. Nous avons constaté que bien que chacun avait vécu les visites de manière très personnelle, un sentiment de frustration nous réunissait. Nous nous attendions à un véritable choc d’émotions, à être troublés, tristes, à être submergés. Ce ne fut pas le cas sur le moment et nous en ressentions une forte culpabilité. N’aurions-nous pas dû pleurer ? Qu’avons-nous raté ? L’avenir nous apprendra que les émotions viendraient quelques jours plus tard. Qu’en réalité, il est difficile de réfléchir et de pleurer en même temps et que l’objectif de nos guides étaient de nous faire réfléchir. Il y aura toujours un temps et de la place pour le ressenti. Le dimanche, avant de reprendre l’avion, nous avons consacré la matinée à la visite du centre de Cracovie. Les halles, le marché aux fleurs et surtout le trompettiste en haut du clocher.

Un mois après notre retour, nous avons revu Ina Van Looy, directrice du centre d’éducation à la citoyenneté « La haine, je dis NON ! » afin de faire le bilan de ce voyage et de s’interroger sur le rôle de chacun dans le cadre du travail de mémoire. Les jeunes ont pu prendre conscience que si, aujourd’hui, inévitablement, par leur savoir, leurs connaissances, leurs histoires, ils étaient devenus acteurs de la mémoire, c’était à eux de choisir le rôle qu’ils souhaitent y jouer. Il n’y pas d’obligation, pas de culpabilité à avoir si on ne sait pas comment transmettre. Quoi qu’il arrive, ils le feront, même sans s’en rendre compte. Peut-être pas aujourd’hui mais le moment viendra. L’équipe de la MJLJ a fait le choix de ne pas arrêter le projet au voyage. Plusieurs séances sont donc encore prévues avec l’objectif d’outiller nos madrihim en termes de transmission.

 

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