Reste un peu

Florence Lopes Cardozo
A l’heure où parler religion relève d’une affaire sensible, Gad Elmaleh présente un film intimiste qui touche à sa foi et à ses choix cruciaux. Au-delà de sa personne, son parcours spirituel interpelle. L’amour et la tolérance sont au rendez-vous.
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Tel l’enfant provident-ciel, Gad revient des Etats-Unis et sonne à la porte de ses parents. Sous prétexte de visiter famille et amis en France, l’artiste se donne rendez-vous avec lui-même. Les premières images du film nous plongent dans sa Casablanca natale, ville qui reflète les heures les plus prospères d’une Cordoue où Juifs, Musulmans et Chrétiens vivaient en toute harmonie ou presque. Alors qu’il n’était quand même pas encouragé à entrer dans les églises, Gad, enfant, s’y était glissé en douce et s’était laissé surprendre par la grâce et la beauté de la Vierge Marie : une image qui l’a accompagné de longues années au point de ne plus le quitter, une icône qui s’est muée une lumière lointaine et attirante vers laquelle il s’est frayé une voie. Un chemin qui le mène à Paris où, pas et cœurs légers, on le voit rejoindre Sœur Catherine et Père Barthélémy qui lui ouvrent grands leurs bras et les portes de leur église. Trois autres personnes s’engagent vers le baptême. L’œil du comédien brille, on le sent heureux, en communion.

Se convertir c’est trahir ?

Surpris la main dans le sac par sa mère – qui a quand même farfouillé dans sa valise et qui s’est trouvée nez à nez avec une statuette de la Vierge à l’enfant -, Gad, cinquante ans, bafouille. Ses parents tombent des nues. Un maillon de la chaîne serrée du judaïsme s’ouvre et fragilise tout ce qui semblait pérenne. S’ensuivent un chapelet de considérations d’appartenance, d’amour (au cube), de désarroi, de transmission, d’incompréhension et de tentatives de comprendre. Gad est en proie à une lutte complexe entre attirance irrépressible et freins affectifs, culturels et historiques.

Si le judaïsme et le christianisme incarnaient deux femmes, sa conversion signifierait-elle quitter l’une pour l’autre ? Il aime les deux. Une pourrait-elle être officielle et l’autre officieuse ? Laquelle ? Deviendrait-il le premier « marrane » à être officiellement Juif, tout en rejoignant Marie en cachette ? On érige devant ses grands yeux bleus le Cœur et la Raison. Avec quoi tu réfléchis ? Gad s’en va interroger différentes personnalités, Simone Weil (la philosophe), Henri Bergson ou le Cardinal Lustiger sont cités. « Peut-on revenir en arrière ? » demande-t-il au rabbin Delphine Horvilleur. Il semble, que comme la naissance ou la mort, il n’y ait point de période d’essai. One way ticket… Ce dont il rêve ? De l’accompagnement et de la bénédiction de ses parents dans cette nouvelle étape de sa vie. S’engage, par ailleurs, un insolite combat de mères, entre la belle Régine Elmaleh versus l’impassible Marie, toujours placée en hauteur de façon à être regardée le visage levé vers elle, en éternel enfant ou admirateur.

Film dépouillé

A l’image d’une retraite, Gad propose un film dépouillé : « J’ai conscience que ça peut être déroutant pour les spectateurs mais j’avais envie de faire tomber le masque et raconter ce que j’ai au fond du cœur, des doutes existentiels, et un véritable amour pour les religions et pour Marie en particulier » explique-t-il. Inspiré par les œuvres intimistes de Nanni Moretti, Woody Allen ou Alain Cavalier, le réalisateur a tourné avec un dispositif très léger, des décors réels et des êtres chers qui ne sont pas du métier. Ses parents et sa sœur se sont prêtés au jeu : « Je leur en ai parlé comme d’un film sur la crise de la cinquantaine. Ils ne savaient pas vraiment de quoi il était question. Je voulais capter leur surprise et leur trouble aussi. Je les ai un peu arnaqués » reconnaît-il. Au croisement du carnet intime et du documentaire, Reste un peu est un film touchant, émouvant et élégant, à l’image de tous les intervenants. « J’ai l’impression qu’avec ce film, je joue vraiment avec le feu, avec des notions sensibles comme le sacré, l’idolâtrie, la passion, la tentation. Parler de ma fascination pour Marie, moi qui suis Juif, d’une certaine manière, c’est un jeu interdit. C’est le péché ultime, l’idolâtrie, dans la religion juive ! » prévient-il. On imagine parfois des gags qui ne viennent pas et on accueille des sourires bienvenus. La musique chaleureuse et entraînante d’Amin Maalouf accompagne ce voyage existentiel comme un bon vin. Et, bien qu’il soit on ne peut plus autocentré, ce coming out, spirituel ou religieux, pourrait lui aussi, mais pour d’autres raisons que Chouchou, devenir un film culte. Oh, my Gad !

Reste un peu

Un film de Gad Elmaleh

Avec Gad Elmaleh, David Elmaleh, Régine Elmaleh, Judith Elmaleh, Roshdy Zem, Delphine Horvilleur, Benjamin Charbit, etc. Sortie en salles : le 16 novembre 2022

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