Regards n°1112

Retracer la mémoire invisible de la Shoah

L’exposition Archives du paysage s’efforce de redonner une existence aux victimes juives anonymes de la Shoah en Pologne, assassinées en dehors des camps d’extermination, souvent dans leur fuite ou dans leurs cachettes forestières. Ces disparus, reposant dans des sépultures oubliées au cœur des forêts, des champs ou des fossés à l’Est et 
au Sud de la Pologne, sont au centre d’un travail de mémoire et de réconciliation mené par la Fondation Zapomniane.

Le paysage, souvent perçu comme un cadre immuable, devient ici un témoin actif de l’Histoire. Pour les chercheurs, il regorge de traces qui racontent les violences du passé. L’exposition nous révèle comment ces espaces, en apparence neutres, sont en réalité chargés de mémoire. Les victimes qu’elle évoque ne sont ni celles de la « Shoah par balles » ni celles des centres d’extermination comme Auschwitz-Birkenau ou Treblinka, mais des hommes, des femmes et des enfants assassinés à proximité de leurs ghettos ou en pleine campagne.

La Fondation Zapomniane annonce avoir ainsi localisé environ 300 lieux de sépultures anonymes en Pologne, en a marqué 100 et a pu commémorer une douzaine de sites de manière durable. Ces chiffres impressionnants témoignent de l’ampleur du travail restant encore à accomplir. En rendant leur existence à ces victimes oubliées, l’exposition Archives du paysage dépasse le cadre du souvenir. Elle propose une véritable réconciliation avec l’Histoire, replacée dans le quotidien des paysages polonais. Elle interroge également notre responsabilité contemporaine face à ces crimes du passé : comment les commémorer sans effacer leur singularité ?

Une recherche respectueuse et innovante

Loin des méthodes intrusives de l’archéologie traditionnelle, la Fondation Zapomniane privilégie des techniques non invasives pour respecter les principes de la loi religieuse juive (halakha). L’analyse de l’imagerie satellite, les relevés topographiques par LIDAR, ou encore l’utilisation de géoradars permettent de localiser ces tombes sans perturber les sols sacrés. Ce travail rigoureux est complété par des photographies analogiques à haute résolution et des cartes géolocalisées qui rendent visible l’invisible. Aleksander Schwarz, photographe de l’équipe, capte ainsi la densité symbolique de ces lieux oubliés.

L’exposition ne se limite pas à une restitution scientifique. Elle interroge notre rapport collectif à la mémoire. La question des signalements, souvent initiés par des habitants non juifs, soulève celle de la transmission de l’histoire dans les populations locales. Souvent les témoins des meurtres ont conservé la mémoire de l’évènement et l’ont transmise à leurs enfants.

Ce travail de mémoire exige une immense sensibilité, car il touche à des zones de silence douloureux : les meurtriers incluaient parfois des « chasseurs de Juifs » polonais. Les témoignages proviennent souvent de témoins ou même de participants, rendant la transmission complexe et ambivalente. Comment ces communautés se réapproprient-elles ces lieux ?

Si dix stèles sur cent ont été dégradées ou volées, une partie des sites deviennent au contraire des lieux de commémoration informelle. Bougies, fleurs et gestes silencieux s’accumulent, créant des sortes d’autels spontanés. Ces actes, à la croisée du commémoratif, de l’expiatoire et du performatif, traduisent une démarche collective singulière qu’il reste à analyser d’un point de vue anthropologique.

L’histoire de la Shoah semble souvent résider dans de grandes dates ou des lieux emblématiques. Cette exposition souligne l’importance des traces presque effacées qui parsèment les paysages d’Europe centrale et orientale. En confrontant le visiteur à des traces fragiles mais indélébiles, Archives du paysage engage un dialogue essentiel dans le champ de la mémoire et de la transmission. En rendant leur sens à ces paysages et la dignité aux victimes qui y sont enterrées, Zapomniane participe ainsi à ce que le silence de ces lieux ne soit jamais synonyme d’oubli.  

Écrit par : Pierre Briand

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