Regards n°1113

Richard Malka : la liberté d’expression pour seul dieu

On ne présente plus Richard Malka. Mais pour les distraits, nous rappellerons qu’il est l’avocat de Charlie Hebdo et, dans une plus large mesure, l’avocat de la liberté d’expression, ferraillant sans cesse contre tous ceux qui, insidieusement, tentent de réhabiliter le délit de blasphème. Dans Après Dieu (Éditions Stock), il nous offre un très bel échange, hors du temps, avec l’un de ses modèles philosophiques : Voltaire.

L’avocat, scénariste de bandes dessinées, romancier et essayiste, Richard Malka, a été contacté par les Éditions Stock, pour qu’il intègre leur collection « Ma nuit au musée ».  Le concept ? On demande à un auteur dans quel musée il souhaiterait passer une nuit, les éditions organisent le bivouac, et l’intéressé leur livre ensuite le fruit littéraire de cette expérience en isolement choisi. L’avocat a demandé le Panthéon. Grandiose nuit qui ne s’offre pas à n’importe qui. On le suit dans ses déambulations nocturnes, ses allers-retours entre le sous-sol, où se trouve la crypte de Voltaire (et le lit de camp de Malka, qui a souhaité dormir à l’intérieur, juste à côté du sarcophage de son interlocuteur), et « là-haut », sous la coupole, majestueuse. Il parle à Marianne, s’allonge sur le marbre, fume, crie pour le plaisir de l’acte. La promenade est grisante. Le titre annonce le programme : Après Dieu.

Pourquoi passer la nuit dans un cimetière, si beau soit-il ? Pour pouvoir converser, toute la nuit durant, avec Voltaire (ainsi que quelques autres intervenants des tombes voisines, qui s’invitent dans le débat sans avoir été conviés) et imaginer ce qu’il aurait pensé de notre époque où le religieux revient en force, où l’hypersensibilité s’allie à la bigoterie et où, comble d’invraisemblance, la censure ne provient plus d’en haut, mais bien d’en bas. Ainsi il rappelle qu’à l’époque de François-Marie – puisqu’il l’appelle par son prénom – « la terreur était d’État et [sa] référence dans l’horreur, c’est le massacre de la Saint-Barthélemy, perpétré avec la bénédiction du roi, au moins dans un premier temps ». Aujourd’hui, observe Malka, sidéré de ce retournement de l’Histoire, c’est bien « l’État qui protège et le peuple qui demande des restrictions de la liberté d’expression ». Et d’ajouter une pique au philosophe qui avait, entre autres défauts, celui d’un élitisme naïf : « Tu as eu tort de réserver ta confiance en l’élite éclairée, car, en l’occurrence, c’est elle qui trahit, à longueur de tribunes d’universitaires sur les méfaits de la laïcité. »

Le point central du livre part d’une conversation que l’auteur avait eue avec un autre grand avocat : Robert Badinter. Ce dernier lui avait dit : « Vous ne pouvez pas demander au paysan du Sahel qui se brise le dos sur sa terre aride (…) de renoncer à une vie meilleure dans l’au-delà. [Il a] besoin de croire à un plus grand que soi, sinon c’est trop dur. » En substance, il est des malheurs et des misères en ce monde qui exigent de croire pour rendre la vie supportable. De cet échange avec Badinter, et de la thèse du sociologue Durkheim selon laquelle la religion est le propre de la condition humaine, Richard Malka extrait une question. Puisque l’être humain a un besoin irrépressible de transcendance, que l’on ne peut y échapper, et que la laïcité et la République se sont employées à chasser le religieux de la vie publique, par quoi pouvons-nous remplacer le divin ?

Combler le vide laissé par la religion

La nature a horreur du vide, nous avertit Malka, il faut donc trouver une réponse, et vite. Or, admet-il, la mythologie laïque, est insuffisante. Elle a échoué à compenser la chute du christianisme, et cela, malgré bon nombre de rites et de monuments conçus par la République. Les cérémonies, les chants, les devises, les slogans, et le Panthéon lui-même qui est, littéralement, un temple républicain (alors qu’il était censé devenir une église), rien de tout cela n’a suffi pour combler le vide laissé par la religion. Il est donc temps d’explorer d’autres pistes. Celle de notre auteur se porte sur la liberté et, plus précisément, sur sa meilleure arme contre le fanatisme : la liberté d’expression.

Penchons-nous, dès lors, sur le cas d’une nation qui, sur ce sujet précis, en imposait face à bien des pays : les États-Unis. Alors que l’Amérique démocrate s’est laissé dévorer par l’identitarisme intersectionnel et victimaire, le clan républicain, descendant de ceux qui ont combattu l’esclavage, a accouché d’un président soufflant sur toutes les braises imaginables… y compris religieuses. Et le pire, c’est que ça marche. Peu importe son langage fleuri ou ses histoires d’actrice porno, le voilà qui affirme, sans sourciller, que Dieu l’a sauvé pour qu’à son tour, il puisse sauver l’Amérique. Un syndrome de Jérusalem à Washington, fallait le faire ! Mais on aurait pu le voir venir. Pour rappel, ce syndrome concernerait un phénomène d’ordre psychiatrique qui toucherait des visiteurs de la Ville Sainte. À force de côtoyer tant de lieux de cultes, symboles ou chants religieux, les sujets, comme frappés d’une fièvre, se prendraient soudain pour le Messie. Au pays de l’Oncle Sam, où la plupart des présidents jurent sur la Bible et concluent leur serment par « So help me God » (« Que Dieu me vienne en aide »), et où des élèves récitent à l’école le fameux « A nation under God », les références religieuses sont nombreuses.

Les États-Unis vivent un retour de bâton conservateur qui n’hésite pas à flatter la bigoterie chrétienne. Le corps des femmes, le sort des minorités, tout ne semble tenir qu’à un fil, alors que le président annonce la création d’un groupe de travail pour combattre la christianophobie. On rétorquera donc que le pays de la liberté et, en particulier, de la liberté d’expression, n’a pas été immunisé face à la folie populiste. C’est un fait. Mais il faudrait avoir passé les dernières années dans une grotte pour n’avoir pas remarqué l’invasion de la cancel culture dans la société américaine, le polissage abrutissant de ses productions grand public et leur moralisme insupportable et étouffant. Il y a quelques années encore, cette terre était connue pour n’avoir pratiquement aucune entrave à la parole et ce, quelles que soient les horreurs débitées. Que l’on y adhère ou pas, ce refus de compromission d’une valeur nationale faisait la fierté du peuple américain. Passer de cet univers de pensée à celui où une chanteuse pop doit s’excuser, larmoyante, d’avoir osé porter des tresses alors qu’elle est blanche… ça ne pouvait que mal finir. Interdire de s’exprimer à des citoyens, parfois même à des enseignants, au motif qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau ou le bon sexe, ça ne pouvait que mal finir.

Mauvais mikado de l’édifice

La liberté de l’individu et son corollaire, la liberté d’expression, ont un pouvoir consolant dans l’adversité. Et ce pays, antithèse de l’État nounou, avait consolidé son patriotisme là-dessus : la terre « de tous les possibles » qui vous garantit de rester libre. En s’attaquant à ces piliers, l’Amérique progressiste, qu’elle soit académique ou hollywoodienne, a tiré sur le mauvais mikado de l’édifice. Ce n’est pas un hasard si les deux zigotos de la Maison-Blanche n’ont que les mots « woke » et « liberté d’expression » à la bouche : ils savent, malgré leurs outrances, grossièreté et délires mégalos, ce que l’identité nationale américaine a perdu. Par conséquent, ils savent sur quelle ficelle tirer. On constate, d’ailleurs, que des entreprises qui s’étaient inventées parangons des cortèges de réclamations communautaires, reculent à présent sur une série de mesures internes. Fin des quotas, fin des mentions précédant un dessin animé pour avertir d’un contenu supposé « offensant ». Jusque-là, ce ne sont pas forcément des mauvaises nouvelles. Retrouver de la liberté managériale et la liberté de création dans un pays pour qui le libéralisme est une seconde nature ne semble pas absurde. Mais ce ne sont là que symboles faciles et, connaissant les énergumènes aux commandes de la première puissance mondiale, la suite risque d’être bien moins plaisante. Cela aurait-il pu être évité si la liberté d’expression n’avait pas été corsetée ? C’est probable. À tout le moins, Donald Trump aurait manqué d’un levier colossal pour se faire élire : se présenter comme le preux chevalier de libertés confisquées.

Et l’universel, dans tout ça ?

Nous disons donc : un point pour Richard Malka ! Mais cela peut-il s’appliquer ailleurs ? L’Iran semble nous dire que oui. Au prix de sa vie, le peuple iranien veut arracher le droit de chanter, de danser, de secouer ses cheveux au vent. La liberté comme besoin humain universel. Mais pour celle qui concerne l’expression, qu’en serait-il ? Quand on brise les chaînes de la religion, on comprend vite que devoir le « respect » à cette dernière, c’est déjà réarmer les maillons suivants. Alors oui, il y a fort à parier que la liberté se fera verbe. C’est en tout cas ce qu’appelle de ses vœux Richard Malka, qui, ne s’y trompant pas, titre un de ses chapitres « l’espoir perse ». L’avocat comprend que l’être humain a besoin « d’un plus grand que soi », mais qui parle à tous, et que les grands hommes et les grandes phrases, c’est cosmétique mais insuffisant. Il faut quelque chose qui parle aux tripes et au cœur, quel que soit le milieu social, la géographie ou le parcours. Et savoir que l’on ne sera jamais que ce que l’on aura envie de dire, que cette envie sera un droit et que ce droit sera sans limite, ça pourrait ressembler… à un début de transcendance. 

Écrit par : Sarah Borensztein

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