Regards n°1116

Trump et Netanyahou : la grande désillusion

En étant le premier dirigeant à se rendre à la Maison Blanche après l’annonce des tarifs douaniers américains, début avril, le Premier ministre israélien pensait avoir les faveurs de Donald Trump. Il revenait dans le bureau ovale où, deux mois plus tôt, le président en avait fait le tout premier dirigeant invité à le rencontrer après son investiture. Assis à ses côtés, face aux caméras et dans le crépitement flashs d’appareils photos, Benjamin Netanyahou a non seulement échoué à obtenir une baisse des droits de douane pour Israël, mais il a subi une série de claques diplomatiques particulièrement humiliantes.

Sur les Houthis du Yémen, tout d’abord, puisque les Etats-Unis venaient de signer un accord de cessez-le-feu sans en avertir Israël et sans prendre en compte la menace pesant sur l’état juif. Les rebelles Houthis ont d’ailleurs lancé depuis plusieurs missiles balistiques contre Israël, dont un est tombé aux abords des pistes de l’aéroport Ben Gourion. Sur le Hamas ensuite, puisque l’administration américaine cherchait déjà à contourner Israël pour négocier directement avec le Hamas sans passer par le Qatar ou l’Egypte. Trump devait ainsi obtenir quelques semaines plus tard la libération d’Edan Alexander, dernier otage israélo-américain encore vivant à Gaza. Sur l’Iran, ensuite, Trump a totalement pris de court Netanyahou en annonçant devant les caméras que les Américains étaient en train de négocier un accord nucléaire directement avec le régime des mollahs. On sait aujourd’hui que les exigences américaines ont été rabaissées, la Maison Blanche étant pressée de parvenir au moins à un accord intermédiaire, même si l’option militaire reste sur la table. Enfin Trump n’a pas tari d’éloges sur Erdoğan, la bête noire de Netanyahou, dont il parle comme d’un « ami », un « gars très intelligent et très dur », tout en insistant sur le fait que « la Turquie va tenir les clés de la situation en Syrie ». Un cauchemar pour Israël qui ne s’est pas débarrassé de la menace du Hezbollah pour le voir remplacé par le grand rival turc. C’est pourtant Tsahal qui, avec l’opération bippers au Liban, a permis de faire tomber le domino du Hezbollah, lequel a entrainé la chute d’Assad à Damas. Une refondation de la région dont les Israéliens espéraient recueillir les fruits. Mais depuis Trump a flatté le nouveau chef de Damas Ahmed el-Charaa malgré son passé de djihadiste et levé les sanctions économiques contre la Syrie.

Tous ces revers, Netanyahou a dû les encaisser sans broncher, pris au piège de Trump dans ce bureau ovale où il avait peu avant humilié publiquement Zelensky. Faut-il y voir un changement stratégique profond ou de simples décisions erratiques venant d’un dirigeant brutal et imprévisible ? On se souvient qu’au moment de recevoir Netanyahou à l’aube de son second mandat, en février, Trump l’avait sidéré en dévoilant son plan fantasque visant à transformer Gaza en « côte d’Azur du Moyen-Orient ». Un plan qui a choqué le monde entier et dont il n’avait pas même averti son « meilleur allié ».

La fin d’une bromance ?

« Vous êtes le plus grand allié qu’Israël n’ait jamais eu à la Maison Blanche », avait déclaré Netanyahou lors d’une visite à Washington durant son premier mandat. Il est vrai que Trump avait alors fait une série de gestes spectaculaires en faveur de l’Etat juif : retrait unilatéral de l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA), reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan et transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnue comme capitale d’Israël. Sa réélection a électrisé la droite israélienne, qui voit en lui une sorte de Messie devant lui ouvrir la voie vers l’annexion de la Cisjordanie et pourquoi pas le retour des colonies dans la bande de Gaza. Netanyahou pouvait s’attendre à un réchauffement de la relation bilatérale, si abimée sous Biden, avec un dirigeant puissant dont il apprécie l’amitié virile. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Ils partagent des liens quasi familiaux : Netanyahou est très proche de Jared Kushner, le beau-fils du président, et de son père Charles, un donateur historique du Likoud chez qui il séjourne lorsqu’il est en déplacement aux états-Unis, que Trump vient de nommer ambassadeur à Paris.

Cependant, les relations entre ces deux bêtes politiques n’ont jamais été simples. Trump n’a pas supporté que Netanyahou ait l’outrecuidance de féliciter son successeur Joe Biden : « Bibi, l’homme pour qui j’ai fait plus que pour n’importe quelle autre personne à qui j’ai eu affaire… Bibi aurait pu se taire. Il a commis une grave erreur », a déclaré Trump au journaliste israélien Barak Ravid, avant de lâcher un violent « Fuck him ! » à y voir de plus près, même l’épisode le plus fort de cette relation bilatérale, qu’on croit être l’acmé de leur amitié, est entaché de reproches : 28 janvier 2020, Trump dévoile à la Maison Blanche son plan de paix israélo-palestinien présenté comme le « deal du siècle ». Netanyahou en profite pour saluer en lui « le premier dirigeant mondial à reconnaître la souveraineté d’Israël sur des zones de Judée et de Samarie ». Jared Kushner relate dans ses mémoires que le président lui a confié à ce moment-là : « Bibi a prononcé un discours de campagne. Je me sens sale. »

America First

Revenu aux affaires, Trump n’a qu’une obsession : se délester des dossiers épineux comme la guerre en Ukraine ou la crise avec l’Iran, au risque de promouvoir des accords boiteux, pour se consacrer à sa rivalité économique avec la Chine. Le choix de son premier voyage à l’étranger en mai est éclairant : les puissantes et richissimes monarchies du Golfe avec lesquelles il a pu engager la diplomatie transactionnelle dont il a toujours rêvé. Les contrats signés avec Riyad (pour près de 600 milliards d’euros), Doha (240 milliards) et Abu Dhabi (200 milliards) le consacrent comme le président businessman de « l’art du deal ». Avec l’Arabie saoudite, il a également évoqué la signature d’un accord de défense et une coopération sur le nucléaire civil, sans plus les lier à un accord de normalisation avec Israël. De même, alors que le Royaume s’est engagé à acheter du matériel de défense américain à hauteur de 125 milliards d’euros, les responsables américains auraient discuté de la possibilité de vendre des F-35 à Riyad ; un avion de combat qu’Israël est jusqu’à présent le seul à posséder dans la région.

C’est peu dire que cette visite a encore marginalisé la position d’Israël. D’autant plus que Trump a refusé de s’arrêter à Jérusalem malgré les demandes pressantes du cabinet Netanyahou. La visite du vice-président américain prévue la semaine suivante en Israël devait faire oublier cette déception, mais celui-ci a annulé sa venue au tout dernier moment, officiellement pour des raisons logistiques. En réalité J.D. Vance ne voulait pas cautionner la nouvelle offensive israélienne à Gaza.

Netanyahou, fragilisé

Non seulement Trump n’aime pas les guerres qui se prolongent inutilement, au détriment du business, mais ils n’aiment pas les perdants. Son estime ne va qu’à des hommes autoritaires comme les monarques du Golfe ou Erdoğan. Or avec la guerre à Gaza qui s’embourbe depuis des mois et une nouvelle offensive décidée sans autre stratégie que d’assurer la survie politique de Netanyahou, le Premier ministre israélien fait à ses yeux figure de looser. Son obstination à refuser un cessez-le-feu global qui permettrait la libération de tous les otages, mais dont on sait qu’il précéderait sa chute politique, en fait un encombrant partenaire. D’où la décision de Trump de traiter directement avec le Hamas. Au grand dam d’Israël. « Je comprends la consternation et l’inquiétude », avait admis sur CNN l’envoyé américain pour les otages Adam Boehler, « en même temps nous sommes les Etats-Unis. Nous ne sommes pas un agent d’Israël. »

On peut craindre que le président américain ne perde patience et en vienne à tordre le bras de Netanyahou pour l’obliger à accepter de mettre fin à la guerre à Gaza. D’une certaine façon c’est là que réside le dernier espoir de l’opposition israélienne. Car après avoir fait d’Israël un Etat paria, mis au ban des nations, en proie aux sanctions de l’Union européenne, Netanyahou, qui n’écoute que les Américains, sera bien obligé de céder aux pressions de son « grand ami » Trump.

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Écrit par : Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris
Frédérique Schillo

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Annette Wieviorka
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Historienne spécialiste de la Shoah, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des archives depuis 2019,
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