Face à la dernière flambée de violences au Moyen-Orient, des femmes, venues des quatre coins de Bruxelles ont choisi de se réunir afin de surmonter ensemble les idées préconçues et soutenir deux mouvements, l’un israélien, Women Wage Peace, et l’autre palestinien, Women of the Sun, qui œuvrent sans relâche pour construire une paix, souvent jugée insaisissable.
Le conflit israélo-palestinien est l’un des rares qui provoque, bien au-delà de ses frontières, des tensions bien réelles atteignant les écoles, les universités, les lieux de culte et les familles. Depuis octobre 2023, cette polarisation s’exprime avec une intensité rarement observée, fracturant le tissu social bien au-delà des frontières du conflit. C’est précisément pour faire contrepoids à cette fracture qu’un petit groupe de femmes, à Bruxelles, a décidé de non pas ajouter de l’huile sur les feux de la haine, ravivée depuis le déclenchement de la guerre, mais de montrer qu’une autre voie est possible, en soutenant celles qui appellent à la paix. Non pas une paix abstraite, mais une paix portée par des femmes qui vivent le conflit au quotidien et refusent de n’être que des victimes ou des symboles.
Omniprésentes dans les récits de guerre, mères en pleurs, corps effondrés, enfants dans les bras, les femmes figurent souvent en première ligne, mais rarement autour de la table des négociations. Dans les conflits contemporains, elles paient un lourd tribut, violences sexuelles, déplacements, deuils. Beaucoup deviennent les seuls soutiens de famille. Et pourtant, elles restent largement sous-représentées – à peine 13 % – dans les processus politiques censés mettre fin à ces guerres. Le conflit israélo-palestinien ne fait pas exception. Il instrumentalise les femmes dans les narratifs opposés : victimes idéales, mères héroïques ou matrices démographiques. Pourtant, ce sont souvent elles qui, à distance du pouvoir officiel, s’organisent, assurent la continuité du quotidien, prennent en charge les plus vulnérables et maintiennent le lien social. C’est précisément ce que Women Wage Peace et Women of the Sun ont choisi de rendre visible.
Et elles ne sont pas seules. Selon plusieurs études, la participation des femmes augmente de 20 % la probabilité qu’un accord de paix dure au moins deux ans, et de 35 % celle qu’il dure quinze ans. En outre, la participation de groupes de la société civile, y compris des organisations de femmes, réduit de 64 % le risque d’échec d’un accord de paix. Leur contribution ne repose pas sur une logique de rapport de force, mais sur des priorités souvent absentes des discussions traditionnelles : reconstruction sociale, justice, réconciliation. Leur présence élargit l’agenda, intègre les besoins des civils, et renforce la stabilité des accords sur le long terme. Il ne s’agit pas de prétendre que les femmes sont naturellement pacifistes. Il s’agit de reconnaître qu’elles apportent d’autres priorités, d’autres récits, d’autres formes de légitimité. Elles élargissent le cadre, redéfinissent les enjeux, et font de la paix non pas une reddition, mais une construction.
Deux mouvements, une vision commune
C’est pour soutenir leur action que le groupe bruxellois s’est formé. Women Wage Peace, côté israélien, et Women of the Sun, côté palestinien, sont nées à des moments différents, mais toutes deux portées par un même refus : celui d’être des spectatrices de la guerre. Women Wage Peace a été créé en 2014, à la suite de la guerre de Gaza. Aujourd’hui, le mouvement compte plus de 50.000 femmes, de toutes confessions et de tous horizons politiques. Elles réclament un processus politique sérieux pour mettre fin au conflit, et veiller à ce que les femmes soient présentes à tous les niveaux des négociations. En Israël, où les lignes de fracture sont profondes, leur présence dans l’espace public est déjà perçue comme un acte politique.
Women of the Sun, fondé en 2021 par des Palestiniennes de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est, agit à la fois sur les plans politique et social. Le mouvement accompagne les femmes victimes de guerre, renforce leur rôle dans la vie publique, et revendique une résolution non violente du conflit. Malgré les obstacles logistiques, juridiques et sécuritaires, ses membres poursuivent leur travail de terrain, avec une énergie remarquable. Depuis 2022, les deux mouvements unissent leurs efforts dans le cadre d’un appel commun : le Mothers’ Call. Elles y demandent une paix fondée sur la liberté, la justice, les droits et la sécurité pour les deux peuples. Leur méthode est à la fois simple et radicale : no shame, no blame. Ne pas effacer les douleurs de l’autre, mais refuser de s’y enfermer. Ne pas se figer dans le passé, mais à l’image des surfeurs qui fixent un même horizon, œuvrer ensemble pour la paix. Leur parole n’est pas consensuelle. Elle dérange parfois, y compris chez celles et ceux qui les soutiennent. Mais c’est justement ce qui fait leur force. Et c’est cette voix-là que le groupe belge s’attache à faire entendre.

Un petit groupe belge, des débats féconds, et un rôle clair
Le groupe belge qui s’est constitué pour les soutenir n’est ni uniforme ni unanime. Le comité d’organisation est composé de sept femmes aux trajectoires très diverses : certaines ont un lien personnel ou familial avec la région, d’autres s’y intéressent depuis longtemps par conviction, par engagement professionnel, ou tout simplement parce qu’elles n’ont pas pu faire autrement, après le 7- Octobre. Toutes partagent une chose : le refus de la simplification. Dans un groupe WhatsApp devenu lieu d’échange quotidien, les mots reviennent souvent : « sortir de la haine », « refuser l’assignation identitaire », « ne plus tolérer qu’on réduise les femmes à des fonctions symboliques ». L’une évoque Levinas et le visage de l’Autre, qu’il faut regarder pour ne pas détester. Une autre raconte « avoir pris un thé à la menthe avec un homme propalestinien » pendant une manifestation. Une troisième explique que voir ces femmes israéliennes et palestiniennes marcher ensemble à travers leur pays lui a redonné de l’espoir : « les marches [en Israël] défigent cette région. » Les réunions sont à l’image du groupe : vivantes, parfois chaotiques. « C’est comme une synagogue… en pire », sourit l’une. C’est sept femmes, qui gèrent les opérations de Bruxelles, mais dix-huit avis et une volonté partagée de faire quelque chose. Pas pour imposer une vérité. Mais pour maintenir un espace. Poser des questions. Relayer une voix.
Bruxelles offre un contexte propice. Capitale européenne, elle concentre des institutions, des ONG et des médias internationaux qui favorisent les échanges. Le groupe belge ne prétend pas jouer un rôle diplomatique, mais il peut faire le lien : transmettre, relayer, et rendre audible ce qui ne l’est pas toujours. Et c’est justement cette position, ni distante ni partisane, qui fait sa force. Ce sont des femmes concernées, mais pas prises dans les enjeux locaux. Elles peuvent servir de pont entre les voix de terrain et les espaces de pouvoir. Et dans un monde saturé de récits manichéens, cela fait toute la différence.
Redire la paix, autrement
Depuis sa création à l’automne 2024, le groupe belge a multiplié les actions, avec les moyens du bord, mais une détermination constante. Deux projections suivies de débats, à Amazone en janvier 2025, puis à l’Hôtel de ville de Bruxelles en avril dernier, ont permis de faire découvrir les mouvements israélien et palestinien à un public plus large. Des membres du groupe ont pris la parole dans les médias, notamment sur la RTBF et dans le Standaard. Une interview croisée de militantes de Women Wage Peace et Women of the Sun a été publiée dans une newsletter professionnelle. Un article de fond a également été publié dans la revue Graspe.
Sur le plan diplomatique, le groupe a noué des contacts avec plusieurs représentantes et représentants des institutions européennes. Il a également contribué à faire circuler un appel à soutien financier en faveur des deux mouvements, relayé à l’échelle européenne. Mais surtout, ce groupe a permis à des personnes de se retrouver, d’oser agir, de dire « ce n’est pas assez », sans forcément savoir comment faire, mais en le faisant quand même. Même l’annulation de la visite des militantes israéliennes et palestiniennes en avril 2024, pour cause de missiles iraniens, n’a pas entamé leur volonté, et la projection prévue a bien eu lieu suivie de débats en ligne, et jetant ainsi le premier pavé du groupe de soutien belge. Elles savent que la paix, aujourd’hui, a mauvaise presse. Le mot semble vidé de sa substance. C’est devenu une pancarte, une étiquette. Il faut donc recommencer. Le réexpliquer. Le rendre sexy. « On a réussi à faire porter les mêmes baskets à des millions de gens, et manger les mêmes hamburgers-frites partout dans le monde. Alors, pourquoi pas rendre la paix tendance aussi ? »
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