Un an après le 7 octobre… Antisionisme, antisémitisme, critique d’Israël : de quoi parlons-nous ?

On connaît le mot de Caroline Gennez du Parti socialiste flamand (Vooruit) : « Amis allemands : allez-vous vraiment vous retrouver deux fois du mauvais côté de l’histoire ? » La « nazification » de l’Etat juif se déploie comme une musique de fond. Cela fait maintenant vingt ans que l’humoriste français Dieudonné s’écriait « Israël » accompagné par un geste du bras ressemblant étonnement à un salut fasciste ou hitlérien. Le journaliste belge Olivier Mukuna, qui le premier prit la défense de Dieudonné, se réjouit aujourd’hui de la plainte déposée par l’Afrique du Sud qui vise à faire condamner l’Etat d’Israël pour génocide, au diapason du reste d’une bonne partie de la classe politique belge, la Vice-Première Ministre, Petra de Sutter, ayant émis le souhait que la Belgique se joigne à l’Afrique du Sud. Contempteur du sionisme dépeint en idéologie de l’épuration ethnique, et dont la Nakba aurait constitué la mise en pratique, Ilan Pappé est aujourd’hui édité en Belgique par Michel Collon, soutien revendiqué du régime de Bachar Al-Assad et de la Russie de Vladimir Poutine. Précisément, l’idée chemine dans les esprits que l’Occident pratiquerait la politique du « deux poids deux mesures » en faveur Israël et au désavantage du reste du monde. Mais force est aussi de constater que l’idée chemine dans les esprits, bien au-delà d’une famille politique en particulier.

Début janvier 2024, l’historien français Vincent Lemire pointe du doigt par exemple « les diplomaties occidentales, plus enclines à se mobiliser pour les quelque 10.000 civils ukrainiens tués en deux ans que pour les 23.000 civils palestiniens tués en deux mois ». Le chiffre de 23.000 est le nombre de tués annoncés par le ministère de la santé du Hamas tandis qu’à la date où paraît cet article les autorités israéliennes font état d’environ 9.000 combattants du Hamas tués à Gaza. Fait significatif, le Hamas ne distingue pas les civils des combattants dans les chiffres des morts palestiniens, ce qui se traduit par le fait que tous les morts palestiniens sont présumés « civils ». L’essayiste belge Michel Collon ne dit d’ailleurs pas autre chose : « Ce n’est pas une guerre contre le Hamas mais contre les Palestiniens. Pour un « terroriste » touché, plus de dix civils sont éliminés. Un massacre innommable, un nettoyage ethnique »( Twitter 22 décembre 2023)

À aucun moment, ces auteurs ne mentionnent l’utilisation de la population gazaouie comme « bouclier humain », pratique qui semble, pour ainsi dire, n’avoir jamais existé sinon dans les récits de la propagande israélienne. Si les morts à Gaza ne sont que des civils, cela dit deux choses. La première est que la guerre menée au Hamas et à ses capacités militaires est un prétexte fallacieux, l’armée israélienne cherchant prioritairement à s’en prendre aux civils et plus particulièrement aux femmes et aux enfants. La deuxième, qui en découle, est que la conduite de l’Etat juif reflète finalement assez bien la lâcheté que les clichés judéophobes prêtent aux Juifs. Cette couardise absolue devant la virilité des guerriers musulmans se double d’une cruauté insigne à l’endroit des plus faibles. L’ombre de Shylock ressurgit sous l’uniforme de Tsahal. Le plus édifiant est de constater que le mouvement islamiste palestinien dispose de suffisamment de crédit pour que des journalistes ou des universitaires prennent pour argent comptant les chiffres d’une organisation qui n’a jamais fait mystère par ailleurs de son négationnisme[1].

Brandie en guise de preuve ultime des intentions génocidaires d’Israël est l’extrait d’une déclaration du ministre de la Défense israélien qui aurait parlé d’« animaux humains » à propos des habitants de la bande de Gaza. Dans le verbatim de sa conférence de presse prononcée le 9 octobre 2023, soit deux jours seulement après la découverte du massacre (autrement dit dans un contexte à tout le moins traumatique) Yoav Galant parle de « Khayot Adam », expression de la langue hébraïque qui correspond au français « bêtes sauvages » que l’on utilise à propos d’individus sanguinaires. Faute d’une connaissance sérieuse de l’hébreu, d’aucuns l’ont traduit littéralement par « animaux humains », manière de suggérer que Galant voit les Palestiniens comme les nazis voyaient les Juifs. Le propos est pourtant incompréhensible si on le détache de son contexte, l’attaque du Hamas aidé de civils palestiniens. L’écrivain David Grossman fait d’ailleurs allusion au propos de Yoav Galant lorsqu’il écrit que « quand on voit comment ils les rabattent, les pourchassent comme du gibier et les exécutent avec des hurlements de joie… Je ne sais s’il faut les traiter de « bêtes sauvages », mais, sans nul doute, ceux-là ont perdu figure humaine. »

L’accusation de « génocide » portée contre Israël signifie pour beaucoup de personnes la fin de sa « légitimité » : si ce qui est censé être un « refuge » imite ce contre quoi il doit protéger, son existence n’a tout simplement plus lieu d’être. Cette bataille autour de la représentation de la nation israélienne au sein des « opinions publiques » occidentales est déterminante pour l’avenir. Sur le long terme, l’enjeu consiste à briser le soutien à Israël, au premier chef celui des Etats-Unis. Pour que le prochain « 7 octobre » lui soit fatal et que puisse enfin disparaître de la surface de la terre l’Etat proclamé par David Ben Gourion le 14 mai 1948.

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[1] Cf. Références données en bibliographie de l’étude

Écrit par : Olivier Douman

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