Bien sûr qu’il parlait de lui en filigrane à travers ses films mais la disparition de ses parents, une urgence suscitée par le Covid et une belle complicité avec son coscénariste, Tony Kushner, ont poussé Spielberg, 76 ans, à s’épancher sur ses jeunes années. Et voilà le bébé : un beau film d’émancipation où Steven décrit, avec maestria et sensibilité, son univers familial et ses conflits de loyauté pour vivre sa passion et s’épanouir dans son métier.
Les premières images et notes de musique soulèvent nos sièges pour nous projeter à Cincinnati, au cœur des années 1950, où le petit Sam est emmené pour la première fois au cinéma par ses parents. Mise en abîme réussie. Confronté à l’obscurité et à une explosion d’images aussi violentes que spectaculaires, le garçon sort de la séance interdit. Alors que son père le bombarde d’explications technologiques, sa mère l’éclaire sur la magie du septième art. Et voilà les termes du profond dilemme de Sam : ne pas décevoir papa, brillant scientifique, visionnaire concepteur d’ordinateurs, et plaire à maman, musicienne de talent, artiste passionnée, amoureuse de la vie.
Obnubilé par les scènes du film, Sam les reconstitue dans sa chambre jusqu’au jour où, petite caméra au poing, effets spéciaux home made, banc de montage sous la main, il filme l’action. Ses parents sont ses premiers spectateurs avant de devenir ses premiers acteurs. Ses amis scouts, puis ses collègues de lycée sont ensuite sollicités. Dans un très beau moment de direction d’acteur, on voit Sam transmettre ses propres émotions à l’interprète. Puis, au fur et à mesure de ses expérimentations, l’adolescent découvrira l’effet de ses plans et de ses montages, débordera de créativité et palpera le pouvoir de ses images sur son public, hilare, surpris ou ému. Mais c’est aussi sur sa pellicule qu’une douloureuse vérité lui sera révélée
La lumière de Hanoucca et le moelleux de la challah
Imprégné de tradition juive ashkénaze, Spielberg égrène tout au long de son récit, la lumière de Hanoucca, le moelleux de la challah, les rites de deuil, l’exhortation à sa réussite – ses sœurs semblent moins concernées – et une langue anglaise truffée de mots yiddish. Et puis une séquence sera amenée à devenir culte : l’apparition poignante du grand-oncle de Sam est juste extraordinaire.
Trêve de cocon familial, Spielberg ne mâche pas son scénario en nous donnant à voir la violence de l’antisémitisme auquel il a été confronté au collège dans l’Arizona. Agressé moralement et physiquement, Steven/Sam vomit ce monde hostile, avec dignité et soumission, intelligence et endurance. Sa candeur et son ouverture demeurent touchantes.
Sur la toile, comme dans tous « les Spielberg », la machine est nickel, rien n’est laissé au hasard. Des décors extérieurs aux garde-robes, des mimiques des parents aux reproductions de bibelots familiers, tout a minutieusement été reconstitué. Quant aux acteurs, tous magnifiques, ils ont également entrepris un méticuleux travail de documentation pour nous emmener, tout en sensibilité, au cœur de leur personnage. Les hésitations, les regards, les gestes, l’espoir, la gêne, les douleurs et les joies traversent les corps et les visages de Sam et de ses parents, de Bennie Loewy et de l’Oncle Boris, en particulier.
Le cinéaste a ainsi dépeint, avec de grands moyens, et en même temps de petits riens, un portrait de famille où, tels des vases communicants, la réalisation de l’un empêche l’accomplissement de l’autre. Avec beaucoup d’humanité, Spielberg raconte les épreuves et obstacles de la vie mais surtout la force, la volonté et le courage qu’il faut pour se réaliser. Prendre sa vie en main demande de lâcher celles qui nous protègent et nous retiennent. Voilà ce que, celui qui a été multi oscarisé, celui qui a essuyé des échecs, celui qui a plusieurs fois explosé le box-office, celui qui pilote des productions colossales, celui qui a créé, en 1994, la Shoah Foundation, celui qui a gardé un regard clair et pétillant et qui étonnamment, sur toutes les photos, esquisse un sourire désarmant, nous dit en substance : l’école de la vie est rude, solitaire et palpitante.
The Fabelmans
Un film réalisé par Steven Spielberg
Sortie en salles : le 22 février 2023
Durée : 2h30 (V.O. st FR/NL)