La Ghriba, la fête des Juifs tunisiens finit dans le sang

Roland Baumann
Fête emblématique du judaïsme tunisien, le pèlerinage de la Ghriba à Djerba s’est terminé par une fusillade le 9 mai dernier. La Ghriba était déjà la cible d’attentats en 1985 et 2002.
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Invité par l’office national du tourisme tunisien (ONTT) à voir la fête de la Ghriba, j’étais à Djerba du 6 au 9 mai 2023. Il était près de minuit lorsque nous sommes arrivés en voiture de Tunis au ferry assurant la traversée du détroit qui sépare l’île du continent. Le contrôle policier avant l’embarquement signalait l’entrée en zone de contrôle sécuritaire renforcé. Aux checkpoints policiers et gardes nationaux contrôlent les accès à l’île de Djerba, ses routes intérieures, la zone touristique, les quartiers juifs… À l’entrée du sanctuaire de la Ghriba, blindés et commandos cagoulés surarmés renforcent ce vaste déploiement policier. Tous nos déplacements contrôlés par l’ONTT, nous circulons au sein de cet imposant dispositif sécuritaire. Comme nous, les pèlerins logent dans les grands hôtels de la zone touristique, sous haute protection, et se déplacent en car, escortés par la police.

Les publications touristiques mettent en valeur l’histoire multiculturelle de Djerba, haut-lieu de l’Ibadisme, ce courant égalitaire de l’Islam, et du vieux fonds berbère de l’Afrique du Nord. Le 7 mai nous visitons le massif montagneux du Dahar, une région connue pour ses villages fortifiés où les Berbères résistèrent longtemps à l’arabisation. Le matin suivant, nous visitons deux écoles juives à Hara Kbira. Nous passons l’après-midi à la fête de la Ghriba où nous retournons aussi le mardi, jour du Lag Ba’omer. Tous les véhicules doivent se garer à l’extérieur du périmètre de la Ghriba où les visiteurs se rendent à pied après avoir passé un portique de sécurité, un contrôle d’identité et une fouille. L’affluence est très forte le lundi avec la présence d’autorités tunisiennes et du corps diplomatique. Deborah Lipstadt, envoyée spéciale du président américain pour lutter contre l’antisémitisme exprime sa joie d’assister à cette fête juive qui témoigne des siècles de vie commune entre Juifs et Arabes et célèbre le passé pour construire le futur !

Fête tunisienne, fête œcuménique

On voit aussi à la Ghriba des femmes musulmanes déposer dans la « grotte des miracles » les œufs crus sur lequel elles ont inscrit des vœux, avec l’espoir de les voir exaucés dans l’année. C’est ce qu’a fait en 2018, lors de sa première visite à la Ghriba, Habiba Y., Tunisienne vivant à Bruxelles. Cette fois elle découvre la Ghriba dans ses conversations avec des Juifs tunisiens dont elle comprend les déchirements de l’exil et la nostalgie pour la terre ancestrale. Elle goûte les produits de la cuisine juive tunisienne, à la Ghriba et dans les échoppes du quartier de Hara Kbira où elle visite aussi des synagogues. Pour elle, « La Ghriba fait partie de notre patrimoine culturel. C’est une fête de la Tunisie, pays d’accueil, de tolérance et du vivre ensemble ». Djerbien, émigré à Paris en 1976, Gabriel Kabla organise depuis 1999, en collaboration avec l’ONTT, des voyages de presse à la Ghriba, visites « œcuméniques » de lieux de culte, d’écoles, valorisant le vivre ensemble basé sur le respect. Soulignant la singularité de cette fête juive, célébrée en Tunisie, où se trouve la 4e ville sainte de l’Islam, Kairouan, il rappelle que « la majorité des Juifs djerbiens vivent aujourd’hui en Israël et en France. Ceux qui habitent l’île sont moins d’un millier… mais ils ne veulent pas partir et treize synagogues sont en activité à Hara Kbira, où ils se concentrent ». Selon Moïse Uzan, secrétaire du grand-rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, « La Ghriba favorise le retour en Tunisie de Juifs tunisiens des deuxième et troisième générations. C’est une fête familiale. On mange, on chante et on danse ensemble dans la joie des retrouvailles. Et comme des gens viennent du monde entier à la Ghriba, cette fête est vue par les Tunisiens comme l’événement dont la réussite garantit le succès de la saison touristique ».

Mardi 9 mai, après 21 heures, l’avion de Djerba atterrit à Tunis. Aussitôt de nombreux passagers s’agitent sur leurs téléphones ! Une femme gémit et crie ! D’autres se parlent, cherchent à se rassurer. Nous étions tous à la Ghriba et sommes bouleversés par la nouvelle de l’attentat, survenu peu après notre départ de la fête vers l’aéroport. Soudain, le futur du pèlerinage juif de Djerba semble incertain, en tant que grand symbole du « vivre ensemble » dans la paix et la fraternité.

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