Déconfinnement

Ce dimanche 18 octobre, Israël et sorti de son deuxième confinement – je dis bien deuxième et non second, car il n’est pas du tout certain que n’aurons pas un troisième. Certes, cette fois le gouvernement a pris ses précautions en mettant au point une sortie graduelle, à rebours de celle, précipitée et totalement irresponsable, qui a mis fin au premier enfermement.
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Mais la discipline sociale est moins que jamais au rendez-vous, et ce que je disais le mois dernier à propos de l’autonomie insurrectionnelle des haredim reste valable pour ce coup-ci. Moshé Gafni, chef du parti ultra-orthodoxe « lituanien » Degel Hatorah et par ailleurs président de la puissante commission des finances de la Knesset, l’a dit sans ambages au Premier ministre : chez nous, il n’y a pas de transgression de la loi ; la loi, ce sont nos rabbins qui la font. Il a raison, cet homme.

Depuis que, à la veille de la proclamation de l’Etat, David Ben Gourion a envoyé au parti ultra-orthodoxe Agoudat Israël sa fameuse lettre sur le statu quo religieux, les autorités de l’Etat juif ont permis aux ultra-orthodoxes de vivre à l’intérieur d’une bulle autonome, financée par l’Etat mais non soumise à ses lois. Pourquoi y dérogeraient-ils aujourd’hui ? A cause d’un misérable virus ? Allons donc. Alors, que leur taux de contaminations soit dix fois supérieur à celui du reste de la population, que, faisant fi des règlements, ils ouvrent leurs écoles et leurs yeshivot et organisent des funérailles et des célébrations monstres, et que, ce faisant, ils mettent en danger non seulement eux-mêmes mais l’ensemble de la société, ils s’en soucient comme d’une guigne. Et ce n’est pas Netanyahou, dont la survie dépend de leur soutien, qui y mettra bon ordre.

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Justement, celui-ci semble avoir décidé d’entraîner le pays dans une quatrième élection en moins de deux ans. C’est pour cela qu’il refuse de faire voter un budget pour l’année en cours comme pour l’exercice suivant, au mépris de l’accord de coalition qu’il a lui-même signé avec le Kahol Lavan de Benny Gantz. En effet, faute d’un vote du parlement sur la loi du budget avant la date butoir du 21 décembre, le gouvernement tombera automatiquement, des élections pour la nouvelle Knesset seront fixées au mois de juin suivant, et lui, débarrassé de son encombrant partenaire, restera premier ministre en exercice. Certes, organiser des élections en pleine crise sanitaire et économique n’est pas très confortable. Sa situation politique n’est pas reluisante. Les Israéliens sont fatigués de sa gestion erratique de l’épidémie – dès la fin du confinement, les manifestations devant sa résidence ont repris de plus belle –, le Likoud baisse dans les sondages et Bennett, son rival d’extrême-droite, fait presque jeu égal avec lui. Mais tout vaut mieux que d’avoir à affronter les juges en janvier prochain, et il peut encore espérer une victoire de son camp qui lui permettrait de repousser l’échéance, sinon de légiférer pour l’annuler tout à fait.

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Cependant, c’est à Washington que se prépare le coup le plus dur. Pour Netanyahou, une défaite de Donald Trump à la présidentielle du 3 novembre ne serait rien moins qu’une catastrophe politique et morale. D’un coup, il perdrait non seulement la Maison Blanche, et peut-être le Sénat, mais aussi sa base la plus fidèle, les évangéliques, désormais réduits à de stériles gesticulations. Non que Joe Biden soit un ami d’Israël moins fidèle que Trump, il l’est assurément davantage. Mais justement, c’est un ami d’Israël, pas de Netanyahou et du Likoud. Quant au parti démocrate, il en a gros sur le cœur du comportement de Bibi et de ses séides, et brûle d’en découdre. Si les sondages se confirment, il sera bon de contempler la tête de ces derniers ; par les temps qui courent, un peu de Schadenfreude ne nous fera pas de mal.

Ce qui est pénible est que l’angoisse qui étreint le gouvernement de Jérusalem est largement partagée par l’immense majorité des Israéliens. Israël est l’un des rares pays de par le vaste monde, et la seule démocratie, où Trump est populaire. Je vous fais grâce des chiffres, ils sont accablants. Si, en démocratie, on a toujours le gouvernement qu’on mérite, on a aussi les amis qu’on mérite.

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Alexandria Ocasio-Cortez est une étoile montante du parti démocrate. Le 15 septembre, cette jeune et brillante personne a accepté une invitation de l’organisation juive Americans for Peace Now pour participer à un événement virtuel en honneur de Yitzhak Rabin à l’occasion du 25e anniversaire de son assassinat. Dix jours plus tard, elle se ravisait sous le prétexte fallacieux que « sa participation [aurait été] présentée à son équipe différemment de la manière dont elle est désormais promue » Bullshit, comme disent vulgairement nos amis américains. En fait, elle a cédé aux pressions de l’extrême gauche, notamment d’une journaliste du journal « progressiste » Jewish Currents. Si elle refuse de commémorer l’assassinat d’un homme qui a donné sa vie pour la cause de la paix, à l’invitation d’une organisation comme La Paix Maintenant, autant reconnaître que le Parti démocrate américain abrite désormais des éléments franchement infréquentables même par les franges les pluslibérales du judaïsme américain, comme de la gauche sioniste israélienne.

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Au sein de cette gauche, sur les deux rives de l’Atlantique, une petite musique entêtante se fait entendre de plus en plus : la solution à deux Etats étant désormais hors d’atteinte, il conviendrait de se convertir à la seule solution de remplacement : l’Etat unitaire binational. Pis, le désenchantement s’insinue dans les chancelleries, où, dans la foulée des accords d’Abraham entre Israël et les Etats du Golfe, il est dorénavant de bon ton d’enregistrer les « nouvelles réalités sur le terrain » et de ne plus rabâcher des slogans prétendument obsolètes. Voici ce que j’en disais dans Le Point du 7 octobre (« Israël-Palestine, la fin de la solution à deux États ? Vraiment ? ») : « Comme on sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Au Proche-Orient plus qu’ailleurs, un Etat binational d’« Isratine » est certain de rassembler à l’Irak, à la Syrie ou au Liban plutôt qu’à la Suisse, ou même à la Belgique, laquelle ne fournit pourtant pas l’exemple d’une cohabitation intercommunautaire heureuse. Ceux qui aspirent à la guerre civile, ou à un régime brutal d’apartheid, sont invités à poursuivre cette chimère. Mais pas de crainte, cela n’arrivera jamais, pour la bonne raison que les Israéliens, à l’exception d’une minorité infime de rêveurs, n’en voudront jamais […] Que l’on me pardonne de rappeler ce truisme : lorsque deux peuples se battent pour un même bout de terre, la seule issue raisonnable est le partage […] Qu’elle n’ait pas encore abouti ne signifie pas qu’elle ne soit pas la bonne ; cela signifie simplement que nous lui avons failli. Je le dis […] avec toute la force dont je suis capable : n’abandonnez pas la solution à deux Etats, car il n’y en a pas d’autre ».

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La bonne nouvelle du mois : sous l’égide de l’ONU, Israël et le Liban ont entamé à Naqoura, en territoire libanais, des négociations pour la délimitation de leurs zones maritimes respectives. L’exploitation des gros gisements de gaz que recèle ce coin de la Méditerranée orientale est d’une telle importance, et la situation économique du Liban est tellement désespérée, surtout après l’explosion du 4 août au port de Beyrouth, que même le Hezbollah a dû se résoudre à ces négociations directes avec l’ennemi sioniste. Certes, il s’agit d’une affaire essentiellement technique, et tout le monde a pris soin de souligner qu’elle ne devrait pas déboucher sur quelque normalisation que ce soit. Il n’empêche, lorsqu’on commence à se parler il est difficile de prévoir sur quoi cela peut déboucher. Par exemple sur un règlement du contentieux terrestre entre les deux voisins. En attendant mieux.

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