Le métissage des corps permet le métissage des idées

Nicolas Zomersztajn
Sam Touzani est un artiste polymorphe, un électron libre. Depuis 25 ans, ses spectacles abordent sans tabou les questions de l’identité, la sexualité, la religion, la laïcité. A l’occasion de la publication de son livre Dis, c’est quoi l’identité, il a discuté de cette notion essentielle avec Benjamin Beeckmans, président du CCLJ.
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Qu’est-ce qui vous a conduit à mener cette réflexion sur l’identité au point d’y consacrer un livre, Dis, c’est quoi l’identité ? (éd. Renaissance du livre) que vous publiez ce mois-ci ?

Sam Touzani : Au fil du temps, j’ai compris que l’identité a la force de ses faiblesses et la faiblesse de ses forces : elle est magnifique tant qu’elle est au pluriel, qu’elle est mutiple. Dès qu’elle est réduite à une seule chose, elle est foutue. En écrivant le livre Dis, c’est quoi l’identité, j’ai effectué un véritable parcours intérieur car la question de l’identité sous-tend une autre question, celle de la connaissance de soi. Si on n’est jamais mieux servi que par soi-même pour se connaitre, on n’est jamais mieux sévi que par soi-même. Au lieu d’élargir notre horizon pour assumer ses identités multiples, on se braque sur une identité exclusive à cause des traditions qui enferment, des dogmes religieux, des idéologies, etc. Autant de notions qui nivellent vers le bas et nous empêchent de développer notre universalité.

Benjamin Beeckmans : Les fondamentalistes et les fanatiques, quels qu’ils soient, détestent les identités multiples. Ils passent leur temps à nous réduire à une identité exclusive et à une vérité unique qu’ils détiennent et au nom de laquelle ils se permettent de faire violence. Or, nous sommes tous le produit d’identités multiples et chacune de celles-ci ont leur part de vérité. Nous avons tous la possibilité de nous livrer à notre propre synthèse. Je m’appelle Benjamin Beeckmans. Mon père est belge et catholique et ma mère est née dans une famille juive polonaise où il y avait des rabbins et des militants communistes. Mais ce qui permet de couper l’herbe sous le pied des fondamentalistes, c’est d’affirmer que nous pouvons trouver plusieurs sources à ce qui guide notre vie. Un homme très lucide a écrit qu’il faut se méfier de l’homme d’un seul livre. Dans la tradition juive, on retrouve cette idée dans la Makhloket, c’est-à-dire le débat talmudique qui est la forme d’étude des textes en binôme. A travers le pilpoul, cette gymnastique intellectuelle qui intègre les contradictions et les différents avis émis par les maîtres du Talmud, les étudiants confrontent face à face leur interprétation et leur critique du texte. Ce qui signifie qu’ils se construisent dans l’échange d’idées. Personne ne dit qui a raison, ils sont d’accord de ne pas être d’accord. La base de leur réflexion réside dans l’écoute, la remise en question et l’idée qu’il peut y avoir des vérités qui coexistent par rapport au même texte. La responsabilité de l’individu est d’y trouver son propre chemin. Cela vaut pour les identités et j’imagine sans peine que tout cela est terrorisant pour un fanatique.

Sam Touzani : Je me sens de culture berbéro-arabo-musulmane par mes parents, de culture judéo-chrétienne par ma femme et je pourrais même ajouter que par l’Histoire de l’humanité, je me sens juif de cœur. Mais je dois reconnaitre que cette faculté que permet le judaïsme de critiquer et d’interpréter les textes est inexistante dans l’islam. On y voit plutôt de la violence. Et il ne faut pas être un militant de la laïcité ni un caricaturiste pour la subir. Il suffit d’avoir un frère un peu obtus ou une mentalité collective archaïque comme on l’a vu récemment à Liège avec cette fille syrienne tuée par son frère pour laver l’honneur de la famille. Ce qui donne un poids écrasant et étouffant au collectif sur l’individu. C’est bien là que se situe la différence entre le judaïsme et l’islam même si je ne cherche pas à idéaliser le judaïsme ni le peuple juif. Il est comme les autres, avec ses prix Nobel et ses voyous. Mais surtout, là où le judaïsme place la vie (Haï) au-dessus de tout, j’ai l’impression que l’islam regarde le monde avec les yeux de la mort. Bien évidemment que des courants humanistes et rationalistes ont existé au sein de l’islam mais le problème, c’est que depuis des siècles, il n’y en a plus. Cela fait au moins six siècles que les musulmans n’ont rien créé ni contribué au progrès à l’humanité. Cela crée d’énormes frustrations. Avec 100% de dictatures dans le monde arabo-musulman, je ne pense pas que le monde musulman puisse créer. Dans une dictature, il n’est pas possible que la pensée et les corps se libèrent.

Benjamin Beeckmans : J’entends bien ce que Sam Touzani exprime avec sincérité mais je pense qu’en tant que Juif, je n’ai pas envie de m’ériger en modèle à suivre en affirmant combien nous sommes les plus beaux et les plus intelligents. Nous n’avons pas de prétention à nous imposer comme les meilleurs élèves de classe pour devenir la référence ultime. La question est plutôt de savoir ce que le collectif définit comme norme. Si elle est archaïque et englobante, c’est évidemment un problème mais si elle n’enferme pas l’individu dans une prison identitaire, elle peut offrir des potentiels intéressants.

Vous partagez tous les deux un attachement à la laïcité. Quelle est son importance dans votre cheminement identitaire ?

Sam Touzani : La laïcité fait partie intégrante de mon identité. Elle m’apporte un mode opératoire avec en point de mire la liberté. La laïcité n’est pas une opinion mais la liberté d’en avoir une. Tout est dit dans cette phrase. Les gens ont tendance à oublier, et surtout les religieux, que la laïcité est le garant de la liberté religieuse. La laïcité est donc le plus beau concept inventé par l’homme. Elle protège les gens dans leurs croyances et aussi dans leur incroyance. La laïcité m’a donc tout apporté. Même s’il n’était pas un grand visionnaire mais plutôt un bon gars, mon père m’a un jour dit une chose fondamentale : « Ecoute mon fils. A la maison, tu es musulman, rifain et berbère. Dès que tu passes la porte, tu es belge ». En une seule phrase, il m’a défini sans en avoir conscience ce qu’est la laïcité en me rappelant que la religion appartient à la sphère privée. Entretemps, j’ai dû le décevoir car j’ai bazardé l’islam mais pas sa civilisation ni ce qu’elle m’a apporté.

Benjamin Beeckmans : Cela me fait sourire car ce que Sam Touzani dit à propos de son père entre en résonance avec ce que ma grand-mère me racontait. Après son arrivée en Belgique durant l’entre-deux-guerres, elle m’expliquait qu’ils parlaient yiddish et mangeaient cacher à la maison mais il fallait que les enfants « sachent » le français, même mieux que les Belges ! C’est aussi une manière de séparer les deux sphères comme le fait la laïcité. C’est pourquoi la laïcité est fondamentale. Ce n’est pas seulement la liberté de croire ou de ne pas croire, c’est aussi accepter qu’il existe des vérités multiples et que seul le bien commun ou l’intérêt général doit guider notre société. Ce n’est pas la loi d’un petit groupe, une communauté en l’occurrence, qui définit la norme de ce petit groupe, et qui peut même l’imposer à tous si on n’y prend pas garde. Cela s’appelle le communautarisme. Il faut donc une loi commune qui s’applique à tous. Et pour cela, le Juif que je suis n’oublie jamais la maxime juive Dina malkhouta dina (la loi du royaume est la loi). Ce n’est que de cette manière que nous pouvons faire société dans un environnement marqué par la diversité religieuse et culturelle.

Sam Touzani : Je suis évidemment d’accord avec le propos nuancé de Benjamin Beeckmans. Car la nuance est importante. Rien n’est 100% pur, hallal ou cacher. C’est pour cela que j’aime ceux qu’on décrit comme des bâtards ou des zinneke. Mais le terme métissage est plus beau. Le métissage des corps permet le métissage des idées, et inversement.

Benjamin Beeckmans : Dans sa chanson Lily, Pierre Perret évoque le métissage avec tendresse et justesse : « Mais dans ton combat quotidien Lily, tu connaîtras un type bien Lily, Et l´enfant qui naîtra un jour aura la couleur de l´amour ». Ce qui montre qu’en dépit des regards malveillants, nous ne devons pas avoir peur du métissage. Il faut trouver la nuance et les outils pour transmettre le métissage sans culpabilité mais avec du plaisir pour qu’on cesse d’utiliser ce mot affreux de bâtard. Car en réalité un bâtard est celui qui ne connait pas son père. Or, les enfants de couples mixtes ne sont pas des bâtards. Ils connaissent leur père et leur mère et vivent avec eux des moments extraordinaires d’amour.

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Nicolas Zomersztajn
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