Jusqu’ici, tout lui avait réussi. De brillantes études, une ascension professionnelle rare, plusieurs postes prestigieux, une relation de couple démultipliant ses possibilités et, cerise sur le gâteau, un portefeuille ministériel qui lui ouvrait grand les portes du pouvoir politique. Agnès Buzyn avait toutes les cartes en mains pour devenir la nouvelle égérie de la Macronie, jusqu’à l’effondrement, sur fond de crise du coronavirus. La voilà désormais esseulée. Pour la première fois de sa vie peut-être, « celle à qui tout réussit » s’est inclinée. Or, il y a plusieurs manières de faire face à l’échec. On peut accuser le coup, tout laisser tomber. Ou bien alors reprendre les armes et repartir au combat. Malgré la rigueur des attaques, notamment sur la toile, et leur dérive vers toujours plus d’antisémitisme, on parierait bien sur un retour spectaculaire d’Agnès Buzyn. Car tout dans son parcours et son histoire familiale plaide pour le rebond. C’est ainsi qu’en 2011, dans un portrait pour Libération, le journaliste Eric Faverau racontait de quelle manière Agnès Buzyn a triomphé de l’adversité en faisant son internat à l’hôpital Necker de Paris, « le plus brillant, le plus mandarinal de France aussi, et le plus macho ». Découle du texte un sentiment de force à toute épreuve : « Plus rien ne me fait peur ! ». Buzyn explique surtout : « J’ai tenu, parce que je travaillais. Cela a toujours été ma façon de me battre : travailler plus. Claquer la porte ? Non, cela ne me vient jamais à l’esprit. Mon père est rentré vivant d’Auschwitz à 15 ans, ce serait franchement indécent de ma part de baisser les bras ».
« Chez les Buzyn, on ne traîne pas, on réussit »
On ne peut comprendre l’itinéraire d’Agnès Buzyn sans se plonger dans sa riche histoire familiale. Se décrivant elle-même comme une « immigrée de la première génération », l’hématologue devenue politicienne est née d’un père polonais, Elie, déporté à l’âge de 12 ans à Auschwitz et arrivé à Paris après un détour par la Palestine mandataire, et d’une mère juive polonaise, Etty Wrobel, née juste avant la guerre. D’abord modeste, le foyer va s’élever socialement à mesure de la réussite d’un père accédant au statut de chirurgien orthopédique reconnu et d’une mère, analyste de renom, devenue proche de Françoise Dolto. L’aisance permettra aux trois enfants du foyer de se former dans les meilleures écoles de la capitale, notamment la prestigieuse Ecole Alsacienne. « Chez les Buzyn, on ne traîne pas, on réussit », écrit Favereau dans Libé. Tour à tour responsable de l’Unité de soins intensifs d’hématologie et de greffe de mœlle à l’hôpital Necker, puis Professeure en immunologie, Agnès Buzyn accèdera par la suite à des postes à responsabilité, la rapprochant petit à petit des arcanes du pouvoir. En 2008, on la retrouve à la tête du conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Une expérience qui lui permet de se familiariser avec les médias, tandis que la catastrophe de Fukushima effraie le monde, du Japon jusqu’en Europe. Buzyn transforme alors l’essai de fort belle manière. La professeure de médecine impose déjà son recul, sa connaissance impeccable des dossiers et peut-être aussi un peu de froideur. En 2011, nouvelle étape franchie : en devenant présidente de l’Institut national du cancer, Buzyn témoigne d’une véritable conscience de gauche, mais aussi de ténacité. On lui prédit un avenir de ministre. Il lui faudra attendre l’avènement d’un nouveau monde politique pour lui permettre de franchir -enfin !- le cap de la politique.
L’ombre de Simone Veil
La victoire d’Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2017 constituera un tournant. « A 14h56, mercredi 17 mai, Agnès Buzyn, d’un SMS, invite ses parents à regarder l’annonce du gouvernement à la télévision », lit-on dans Le Monde. Le médecin touche au but : elle vient d’être nommée ministre. « Aie une pensée pour mon oncle Perel, ta grand-mère et Simone Veil », lui répond son père quelques minutes plus tard. La référence à son emblématique prédécesseur au ministère de la Santé ne sort pas de nulle part. Au-delà de leur ressemblance physique frappante, les deux femmes partagent des liens pour l’heure inconnus du grand public. Durant huit ans, Simone Veil fut en effet la belle-mère d’Agnès Buzyn, avant que cette dernière ne quitte Pierre-François Veil, avec qui elle aura deux garçons, pour vivre une histoire d’amour avec Yves Lévy. Alors même que le lien de parenté entre les deux ministres s’avère rompu depuis de longues années, l’empreinte demeure. Buzyn déclare avoir vécu son entrée en fonction « comme un passage de relais » avec son ex-belle-mère. Les observateurs sont, quant à eux, moins indulgents. « On savait qu’elle avait un problème avec Simone Veil, qu’elle était écrasée par cet héritage, mais on pensait que sa façon de le régler, c’était d’essayer de faire mieux que la grande Simone », déclare, dans le JDD, un mystérieux ami du Président Macron. Les premiers temps au ministère de la Santé seront néanmoins placés sous le signe de l’efficacité. Buzyn combat ardemment. Elle obtient le passage à plus de 10 euros du paquet de cigarettes (une de ses grandes croisades personnelles), entreprend de réformer et d’étendre les campagnes de vaccinations infantiles, tient bon sur le déremboursement de l’homéopathie et ne recule pas devant les pressions du puissant lobby du vin. Le bilan est positif.
Ministre de l’année 2018
A l’issue de l’année 2018, Agnès Buzyn peut jubiler : elle est désignée « ministre de l’année » par le jury du Trombinoscope. Pourtant, de sombres nuages peuplent déjà l’horizon. Le monde de la Santé fulmine contre les baisses de crédit. Pire, les attaques ne sont plus simplement cantonnées au champ politique. La rumeur fait état d’un conflit d’intérêts persistant autour du poste occupé par le mari d’Agnès Buzyn à l’INSERM. Face à la pression de l’opposition, Yves Lévy renonce alors à briguer un second mandat à la tête de l’institution qu’il dirigeait jusque-là. Troublée à l’idée de freiner la brillante carrière de son conjoint, la ministre se serait, aux dires de plusieurs journalistes, démenée pour obtenir des compensations. Les adversaires lâchent leurs premiers coups. La situation change du tout au tout. L’irruption du coronavirus déstabilisera davantage encore la ministre. Juste avant de quitter son poste pour briguer la mairie de Paris, déroutant son monde, Agnès Buzyn enchainera les déclarations sur le mode de la langue de bois -« En quittant le ministère, j’ai réglé de nombreux dossiers : le dossier hôpital était derrière moi et, concernant le coronavirus, j’ai anticipé l’épidémie en préparant le système de soins »-, avant d’accuser son propre camp d’avoir minimisé la crise sanitaire que l’on connaît – « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu ». Voilà que nerfs lâchent.
Traversée du désert
Crédit politique, soutiens à l’intérieur de la Macronie : en quittant son poste de ministre pour combattre dans une élection perdue d’avance, Agnès Buzyn a (presque) tout perdu. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, voilà que les réseaux sociaux se déchainent. Il suffit de quelques clics sur Twitter pour se rendre compte de l’ampleur de l’antisémitisme qui frappe quotidiennement l’ancienne ministre. « Depuis quelques jours », note l’essayiste Rudy Reichstadt, « on assiste au partage massif de posts accusant Agnès Buzyn, son époux Yves Lévy ou encore l’actuel directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, d’avoir une responsabilité majeure dans l’épidémie de coronavirus actuelle quand on ne leur reproche pas carrément d’avoir comploté pour l’aggraver ou même de l’avoir créée de toutes pièces. Des montages violemment antisémites accompagnent cette fièvre inquisitrice ». La dénonciation complotiste s’accompagne ici d’une incrimination de complicité dans une opération criminelle. De là à y voir une forme dérivée de l’accusation de meurtre rituel… Pour se sortir de l’ornière, Agnès Buzyn est revenue aux fondamentaux. Elle s’est replongée dans le travail. Armée de sa tenue scaphandre, protégée de la tête aux pieds, la voilà loin de ses proches, en poste à l’hôpital militaire de Percy-Clamart, dans une cellule Covid-19. « Je bosse. Je suis à fond à l’hôpital pour me rendre utile. Je ne fais que ça », aurait-elle confié à ses amis. Ainsi commence la traversée du désert…