Cyriel Verschaeve ou l’hypermnésie flamande sur la collaboration

Nicolas Zomersztajn
Dans le sillage d’une séance académique coorganisée avec les autorités communales d’Alveringem, des responsables associatifs ont honoré la mémoire de Cyriel Verschaeve, ce prêtre nazi et collaborateur de l’occupant allemand ayant vécu dans cette commune. Cet hommage problématique met non seulement en exergue la banalisation et la minimisation de la Collaboration en Flandre, mais aussi l’omniprésence d’une vision encore mythifiée de celle-ci dans la conscience collective flamande.
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Imaginez un instant qu’en 2023, dans une bourgade rurale d’Allemagne, les participants d’une séance académique en hommage à un historien du nazisme profitent de l’occasion et se rendent ensuite au cimetière de la paroisse locale pour fleurir la tombe d’un des idéologues les plus virulents du nazisme. Rassurez-vous, concernant l’Allemagne, ce n’est évidemment qu’une vue de l’esprit. Personne n’oserait faire cela dans ce pays qui a eu le courage de regarder en face son passé nazi. En Flandre, en revanche, cette scène n’a rien d’une fiction. Elle est hélas bien réelle.

Ainsi, la commune d’Alveringem (Flandre occidentale) et l’asbl Kapelaan Verschaeve ont organisé, le 10 septembre dernier, une séance académique en l’honneur de Romain Vanlandschoot, historien du Mouvement flamand, directeur adjoint de cette asbl et auteur d’une biographie de Cyriel Verschaeve (1874-1949), vicaire de la paroisse d’Alveringem entre 1912 et 1939, mais surtout nationaliste flamand, nazi convaincu et collaborateur enthousiaste de l’occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale.

Si cette séance académique était consacrée à son biographe, elle a dès le départ pris une tournure mémorielle douteuse en se focalisant sur la personne de Verschaeve. En effet, cette séance était intitulée « Un demi-siècle plus tard », en référence à l’action commando, menée en 1973 par les militants du groupuscule néo-nazi flamand VMO (Vlaamse Militanten Orde), pour exhumer la dépouille de Cyriel Verschaeve en Autriche et l’inhumer clandestinement au cimetière d’Alveringem. Même si les conférences n’étaient pas dépourvues d’esprit critique, cet intitulé confère une légitimité à une organisation criminelle d’extrême droite néo-nazie dissoute par la justice en 1983. Ce qui était dans l’air avant le 10 septembre se précisa lorsque, avant d’entamer la séance académique organisée au Kapelijn Alveringem (la chapelle où vécut le vicaire jusqu’en 1939), les responsables de l’asbl Kapelaan Verschaeve se sont rendus au cimetière entourant l’église du village pour fleurir la tombe de Cyriel Verschaeve, et honorer ainsi sa mémoire. L’inscription figurant sur le ruban de la gerbe ne laisser planer aucun doute : VZW Kapelaan Verschaeve 1973-2023. Cela en dit même beaucoup sur ceux qui ont inscrit ces mots.

Pedigree nazi de Verschaeve

Une manifestation censée alimenter les gazettes locales, au même titre que la kermesse aux boudins ou la course cycliste du dimanche, a très vite pris une dimension nationale en suscitant l’indignation d’historiens flamands spécialistes du Mouvement flamand et de la Collaboration. « Franchement, je trouve cela choquant », a réagi, dans les colonnes de l’hebdomadaire Knack, Marnix Beyen, historien à l’Université d’Anvers : « Ce programme donne un cachet académique à quelque chose qui ne peut être considéré que comme une sorte d’hommage à Cyriel Verschaeve. » Et de préciser ensuite le pedigree fasciste et nazi de Cyriel Verschaeve : « Avant même la Première Guerre mondiale, il flirtait avec l’idée que tous les peuples germaniques devaient vivre dans un seul empire. Dans les années 1920, il s’est explicitement déclaré hostile à la démocratie et, dans les années 1930, il s’est très vite engagé dans le nazisme. Verschaeve ne s’est pas contenté de suivre le mouvement pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a, par exemple, ouvertement défendu tout le système des camps de concentration et s’est efforcé d’exclure de la société les personnes souffrant d’un handicap mental qu’il nommait les “idiots incurables”. En outre, il n’a jamais pris ses distances avec ces idées et n’a jamais fait de mea culpa. »  (Talitha Dehaene, « ‘’Ronduit choquerend” : Alveringem herdenkt collaborateur Cyriel Verschaeve », Knack, 8 septembre 202)

Nationaliste fanatique, le vicaire d’Alveringem s’est rapidement écarté du sillon tracé par les Évangiles. Loin des « Aimons-nous les uns les autres » et « Dieu est amour », son combat pour l’émancipation du peuple flamand a en effet pris les contours de la haine de l’Autre, de l’affirmation de la supériorité de la race et d’une adhésion jamais démentie ni regrettée au nazisme. C’est donc très naturellement que Cyriel Verschaeve fut nommé Président du Conseil culturel néerlandais par l’occupant allemand. Partageant le pangermanisme de l’organisation flamande nazie et collaborationniste DeVlag, il ne cessa d’œuvrer au recrutement de combattants flamands pour lutter contre « le bolchévisme satanique » sur le front de l’Est. Il tenta même, en juillet 1944, de persuader Heinrich Himmler de débarrasser le nazisme de ses références au paganisme en fusionnant nazisme et christianisme. Enfin, en août 1944, lorsque la libération se précise, Cyriel Verschaeve fuit la Belgique pour se réfugier en Allemagne où il siège comme conseiller du Gouvernement flamand en exil, dirigé par le Vlaams Landsleider Jef Van de Wiele, chef de DeVlag. Condamné à mort par contumace en 1945, Cyriel Verschaeve trouvera refuge en Autriche jusqu’à sa mort, en 1949.

Vu de la Belgique francophone, cet hommage rendu à ce prêtre nazi suscite évidemment l’incompréhension tellement il est impensable de poser un tel acte. Pourtant, à Alveringem et dans les environs de ce village du Westhoek, cela ne semble pas perturber le cours de la vie. Pire, la mémoire de Cyriel Verschaeve est omniprésente dans ce village. Une stèle surmontée de son portrait sculpté a été érigée dans le jardin devant la chapelle où il vécut entre 1912 et 1939. Une plaque a été posée sur le mur de la maison dans laquelle il a habité entre 1939 et 1943 et, cerise sur le gâteau depuis 1973, sa dépouille repose dans le cimetière de l’église située au cœur du village, où des panneaux de signalisation indiquent précisément où se trouve cette tombe abondamment fleurie. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que Cyriel Verschaeve occupe une place centrale dans la mémoire de ce village, mais aussi dans son village natal d’Ardooie où une plaque indique qu’il fut « le plus grand poète et penseur de Flandre ».

Perception tronquée de la Collaboration

Cette vision tronquée de la réalité est encore largement diffuse en Flandre alors que, durant ces trente dernières années, la recherche scientifique flamande a établi unanimement dans quelle mesure la fascisation du nationalisme flamand a été cruciale en tant que cause de la collaboration. L’affaire récente de l’hommage à Cyriel Verschaeve a le mérite de mettre en exergue une singularité flamande : le travail historiographique et la prise de conscience de nombreux intellectuels flamands n’ont pas réussi à percoler la mémoire collective flamande. Comment expliquer ce phénomène ? « Dès le départ, la Collaboration n’a pas été perçue de la même manière en Flandre et en Belgique francophone », souligne Alain Colignon, historien et chercheur au Centre d’Étude Guerre et Société (CegeSoma), dans un entretien qu’il nous accordé. « Pour des raisons tactiques et idéologiques, une partie importante du Mouvement flamand a estimé pouvoir utiliser la présence de l’occupant allemand pour obtenir les droits que la Belgique lui refuse. Mais côté francophone, l’occupant allemand est perçu comme un véritable ennemi dont il faut se débarrasser. C’est ainsi que dans la conscience collective flamande, les collaborateurs n’ont jamais été considérés comme des traîtres ni des salauds. On leur trouve des excuses et on estime qu’il faut faire preuve de clémence à leur égard. Au pire, il ne s’agirait que d’une erreur de jeunesse, d’un excès d’idéalisme ou d’une forme de moindre mal pour sauver les Flamands de périls plus importants jamais réellement définis. Cette perception tronquée permet de faire l’impasse sur le degré d’implication des intellectuels flamands ayant activement collaboré, mais aussi de ne jamais s’interroger sur les conséquences de cette collaboration, ni sur la caution morale qu’ils ont ainsi donnée à l’occupation allemande et au nazisme. »

C’est précisément cette vision mythique que s’efforcent de perpétuer les organisateurs de cette commémoration du 10 septembre. La réaction du bourgmestre d’Alveringem ne fait que confirmer cette minimisation de la Collaboration à travers le culte du « plus grand penseur flamand » ayant eu des errements durant sa vieillesse. « Nous comprenons qu’il s’agit d’un personnage controversé, mais il est dommage que l’on présente toujours une image aussi partiale de l’homme. Après tout, mis à part ce petit bout d’histoire de collaboration qui existait bien sûr, il ne faut pas se voiler la face, le vicaire d’Alveringem était bien plus que cela. N’oublions pas que Cyriel Verschaeve a également fait de très bonnes choses pendant la Première Guerre mondiale. Par exemple, il a été l’un des fondateurs du Frontpartij »[1], justifie très sérieusement Gerard Liefhooghe, en omettant que ce parti a enfanté toutes les formations de l’extrême droite flamande, et qu’il fut le point de passage et de formation de toute une série de figures majeures de la Collaboration en Flandre.

Loin de faire preuve d’amnésie sur la Collaboration, la mémoire collective flamande se singularise plutôt par une hypermnésie tronquée par l’idée victimaire selon laquelle les collaborateurs ont lutté pour l’émancipation de la Flandre, ont été trompés par les Allemands et ont fait l’objet d’une répression injuste après la guerre. Si la Collaboration ne cesse d’être discutée en Flandre, il n’est pas inutile d’observer que la Résistance, quant à elle, fait l’objet d’une réelle impasse. Comme s’il n’y avait pas eu de résistants en Flandre. Dénonçant la glorification des collaborateurs flamands, l’historien Dany Neudt a créé l’asbl Helden van het Verzet (Les Héros de la Résistance) pour sortir les résistants flamands de l’anonymat et de faire connaître leur combat aux jeunes générations. « La Résistance est sortie victorieuse de la guerre, mais elle est devenue la grande perdante de la bataille de la mémoire en Flandre après la guerre », regrette Dany Neudt. « Il s’agit avant tout d’une question de justice. Il est en effet injuste qu’en Flandre nous ayons complètement oublié les milliers de résistants qui ont donné leur vie pour notre liberté. Ils ont déjà été sévèrement punis de leur vivant, mais le plus grand châtiment n’est venu qu’après leur mort : nous les avons mis dans une profonde fosse d’oubli. Nous devons les en sortir le plus rapidement possible. Ces personnes et leurs proches, qui ont également souffert de manière incroyable, méritent que l’on se souvienne d’eux pour toujours. »

Transmettre aussi la mémoire de la Résistance

En cherchant à sensibiliser la jeunesse à l’importance d’honorer la mémoire des résistants flamands, Dany Neudt a pris conscience que cette transmission doit se faire en ne négligeant pas les modes de consommation culturelle de cette jeunesse. « La mémoire de la Résistance doit se débarrasser de son image étouffante », estime à juste titre Dany Neudt. « Les commémorations traditionnelles, plutôt protocolaires, sont importantes, mais il faut aller beaucoup plus loin. Nous devons nous concentrer davantage sur le pouvoir des histoires inspirantes et de l’expression culturelle. Ce n’est que si nous parvenons à pénétrer la culture mainstream que la résistance trouvera sa place dans l’esprit des gens. C’est pourquoi le récit et le narratif sont très importants dans notre action. Chaque jour, je publie sur les réseaux sociaux des posts qui touchent de nombreuses personnes. Le week-end du 8 mai dernier, nous avons organisé un marathon de lecture de 48 heures au Fort de Breendonk avec de nombreux Belges connus et moins connus. L’événement a été retransmis en continu et projeté à la fin dans les salles combles de dix centres culturels en Flandre et à Bruxelles. Rien qu’au théâtre Bourla d’Anvers, plus de 500 personnes sont restées bouche bée à regarder et à écouter. Pour moi, c’est la voie à suivre. L’objectif de notre asbl est que chaque Flamand connaisse au moins un héros de la Résistance d’ici 2030. La route est encore longue, mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un rêve réaliste, surtout quand j’apprends que des stars mondiales comme Michaël Roskam et Matthias Schoenaerts tournent un film sur Le Faux Soir. L’acteur Kevin Janssens, très populaire en Flandre, écrit actuellement le scénario d’une série prestigieuse sur le Fort Breendonk et Netflix diffusera un film sur l’attaque du 20e convoi en avril 1943. »

Tout démocrate qui se respecte ne peut que soutenir l’initiative de cet historien flamand conscient du danger de la perpétuation d’une mémoire glorifiant la Collaboration flamande tout en la minimisant à la fois. Cette perversion mémorielle dure depuis trop longtemps pour pouvoir être banalisée. Un responsable politique ou un militant associatif qui fleurit la tombe d’un homme comme Cyriel Verschaeve ne pose pas un acte neutre. C’est un choix politique et éthique réfléchi d’honorer la mémoire d’un nazi et d’un criminel, mais c’est aussi une omission lourdement symbolique de ne jamais évoquer la mémoire des résistants flamands ayant lutté au nom de la liberté contre un occupant féroce.

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Bart Haers
Bart Haers
1 année il y a

Okay, Cyriel Verschaeve, un souvenir malsain pour les quelques un qui s’en souviennent, le plus par des Flamands de ma génération – °1963 – s’en soussient trèes peu. On connaît son nom, aussie sa positiion dans la collaboration, peut-être, mais c’est du passé.
En même temps, il y a des groupes qui semblent apte à vénerer l’ancien vicaire du pays de Furnes. Pendant la première guerre monidiale, ce curé a influencé hardiement les jeunes flamands intellectuels au front. Il s’est d’ailleurs fortement opposé aux plans de Frans van Cauwelaert qui se voulait un autre chef de fil pour ces flamands intellectuels, qui excerçait aussi son influence.
C’est présiment là le probl§me de la commération des guerres en Flandres, c’est à dire que ce sont surtout les extrèmes qui attirent l’attention, pas toujours ceux qui ont élboré des plans dans le cadre parlementaire. On ne peut pas nier les actions de Verschaeve, mais il y avaient d’autres voix aussi, que l’on ne peut nier non plus.
La politique eugénitique que Verschaeve a soutenu, ne s’est pas inséré dans la mémoire collective, en plus, je ne pense pas que l’on en parle encore souvent. Un livre de Didier van Cauwelaert, La femme de nos vies, n’a pas eu même un succès des critiques, et ceux qui se sont opposés contre le programme T4, un projet eugénétique qui a aboutià une meurtre en masses des personnes handicapés ou atteint d’une maladie mentale. Mais, soyons honnète; partout on a consideré la politique ‘eugénetiqu” comme une nécessité, aussi dans les milieux académiques.

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