Israël a désespérément besoin d’un État palestinien

Daniel Rodenstein
Israël ne peut s’assurer un avenir pacifique et démocratique qu’en signant la paix avec une Palestine enfin reconnue. Un avenir que seule la solution des deux États peut garantir.
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Israël est un État démocratique. La Syrie aussi. Mais ces deux démocraties ne se ressemblent pas. En Israël il y a une justice indépendante, capable aussi bien de limiter les pouvoirs de l’exécutif et de contrôler les décisions du Parlement que de juger (et condamner si besoin) le Premier ministre. En Israël, la presse est libre et ne se prive pas d’exercer cette liberté. La liberté de manifester est quasi totale. Rien de tout cela en Syrie (ou en Iran, Afghanistan, Liban, Irak…) ; au mieux, juste des élections démocratiques avec des résultats connus d’avance.

Mais tout cela pourrait changer. Non pas que la Syrie organiserait la séparation des pouvoirs et la liberté d’expression ; plutôt que le gouvernement israélien sorti des urnes le 29 décembre 2022 cherche à affaiblir cette défense de la démocratie en s’attaquant au pouvoir judiciaire. De janvier 2023 jusqu’au 7 octobre de la même année, des dizaines puis des centaines de milliers d’Israéliens ont manifesté semaine après semaine pour défendre une démocratie entière. Pendant que la société israélienne se divisait autour de la démocratie, les agressions contre les Palestiniens de Cisjordanie de la part de l’extrême droite israélienne s’intensifiaient et des colonies se créaient, nécessitant de renforcer la protection de ces extrémistes, ce qui impliquait de déplacer l’armée en Cisjordanie, en dégarnissant la frontière avec Gaza. C’est dans ce climat de division profonde de la société, où chacun est concentré sur ses positions, obnubilé par ce climat délétère, que la hiérarchie militaire a refusé de voir l’évidence que les troupes faisaient remonter inutilement. Quelque chose allait se passer. Et quelque chose s’est passé. Ce 7 octobre 2023 est un épisode de plus de la guerre qu’Israël subit depuis sa création. Toutes ces guerres, ou tous les épisodes de cette guerre, posent les mêmes questions : est-ce que les Juifs peuvent prétendre à un État juif dans les terres de Canaan ? À un moment donné de l’histoire, les puissances ont décidé de répondre par l’affirmative, et l’État a été créé. Mais la terre de Canaan, la terre des Juifs, était devenue terre romaine polythéiste pendant quelques siècles, puis terre chrétienne pendant d’autres siècles, puis terre musulmane pendant douze siècles. Et s’il y a toujours eu des Juifs vivant à Canaan, ils étaient tolérés, comme dhimmis, comme moins que rien. Alors qu’à la fin de l’Empire ottoman les Juifs qui s’y sont implantés étaient d’une autre trempe, refusant qu’on fît d’eux des êtres inférieurs. Pour les habitants de Canaan, les Palestiniens, ces Juifs sûrs d’eux-mêmes représentaient une rupture, c’était violent, c’était inacceptable. Ils ne l’ont pas accepté. La guerre a commencé alors, avant la naissance de l’État d’Israël en 1948.

Le plan de partage de 1947

L’adoption du plan de partage par les Nations Unies en 1947 permit que l’État d’Israël fût créé. Démocratique à l’occidentale. Avec un parlement, un gouvernement, une justice indépendante, des libertés de penser et de s’exprimer, de publier et de lire, de partir et revenir. Mais avec quelques limitations, comme le fait que seuls des rabbins, non l’État, pouvaient reconnaître un mariage. Contre cet État juif, les États arabes alentour se sont joints à la guerre. Israël survécut, plus grand que ce qu’on lui avait proposé. À l’intérieur des lignes d’armistice (car il n’y eut pas de paix), Israël s’est développé. Israël a pu absorber et intégrer 700.000 Juifs expulsés des pays arabes. Et un million de Juifs soviétiques, partis d’URSS dès que les portes furent ouvertes. À l’extérieur de ces lignes d’armistice, il n’y eut pas d’état de Palestine. Personne n’en a voulu. Mais cela n’a pas mis fin à la guerre. Lors de l’épisode de 1967, Israël s’étendit davantage, occupant la Cisjordanie et le Sinaï. Après l’épisode de 1973, un premier traité de paix avec l’Égypte permit la dévolution du Sinaï mais cet État ne réclama pas la bande de Gaza. La Jordanie signa à son tour la paix avec Israël en 1994, mais ne réclama pas la Cisjordanie qu’elle avait occupée en 1948. Deux voisins signant la paix. Mais, entretemps, un Iran est devenu une théocratie assoiffée d’étendre son influence dans le monde shiite et au-delà en utilisant Israël comme épouvantail.

Depuis la signature de ces deux traités de paix, Israël devint une puissance occupante de la Cisjordanie (et de la bande de Gaza), qu’elle n’a jamais annexée. C’est le nœud du problème. L’annexer eut signifié incorporer deux millions et demi de Palestiniens comme citoyens israéliens. L’occuper a signifié empoisonner les dizaines de milliers de jeunes Israéliens qui ont servi dans l’armée année après année, transformés non en soldats mais en gardiens armés d’une population hostile. Non pas défendant les frontières de leur patrie, mais surveillant une population qui les voyait comme une armée d’occupation. Non pas fondus dans le peuple, mais corps étrangers irritants déclenchant par leur seule présence une violence contenue ou ouverte. Les mêmes termes s’appliquent à Gaza jusqu’au retrait de 2005. Et à chaque explosion de violence venant de Gaza depuis lors.

Deux phénomènes sociologiques vont se développer. Dans le camp israélien, la tentation messianique des fous de dieu, et la diffusion d’une pensée réactionnaire et totalitaire rêvant d’un Israël débarrassé de ses Arabes. Dans le camp palestinien, le souhait d’un islamisme radicalement islamiste, d’un retour au VIIe siècle fantasmé, siècle d’expansion et de (re)conquête. Avec l’apparition d’un courant fondamentaliste religieux, totalitaire, refusant la démocratie, refusant les Lumières de l’Occident, les droits de la femme, les droits du citoyen, et se guidant par leur seule interprétation de la Charia, rêvant d’une Palestine débarrassée de ses Juifs.

Niant aux Palestiniens le statut de citoyens de leur propre état, Israël a transformé ses soldats et son armée en forces d’occupation. En répudiant et essayant de détruire la charpente démocratique de l’État, le gouvernement Netanyahou a appelé sur Israël le malheur de la division et de l’affrontement. Ces deux phénomènes sont liés. Car quand les jeunes soldats qui ont servi comme gardes dans une Palestine occupée quittent l’armée, ils emportent avec eux la vision de deux sortes d’hommes, eux et les autres, les autres impuissants mais dont il faut se méfier et qu’il faut garder à l’œil. Et cela n’est pas bon, n’est pas bien, n’est pas juste. Et cela a mené, je crois, à l’affrontement suicidaire dans lequel Israël était embarqué lorsque, le 7 octobre 2023, le Hamas a réveillé les Israéliens. Et avec eux, les Juifs du monde.

Si je ne me trompe pas, Israël ne peut sortir de ce malheur qu’en signant la paix avec un État de Palestine. Israël a désespérément besoin d’un État palestinien. Mais pas de n’importe quel État palestinien. Israël a besoin d’un État palestinien soucieux de l’avenir de ses citoyens palestiniens. Non d’un État du Hamas prêt à sacrifier des dizaines de milliers de Palestiniens pour la gloire d’Allah. Non d’une Palestine « from the river to the sea », mais d’une Palestine limitée à la Cisjordanie et à Gaza. Israël a besoin d’un État palestinien qui souhaite la paix pour les Palestiniens, et qui dès lors souhaite la paix pour les Israéliens. Israël ne peut se garantir un avenir pacifique, que j’espère démocratique, qu’en signant la paix avec une Palestine enfin reconnue.

Des Israéliens et des Palestiniens prêts au dialogue

Israël garde un admirable ressort démocratique, ce qui explique qu’en pleine guerre, les manifestations contre ce gouvernement et sa façon de mener cette guerre aient repris de plus belle avec des dizaines de milliers de manifestants. Je crois qu’à la fin de cet épisode guerrier il y aura encore en Israël des gens soucieux de reconnaître le voisin palestinien. Des gens prêts au dialogue, à la discussion, à la reconnaissance des droits et des devoirs, des torts et des responsabilités de part et d’autre. Des gens disposés, malgré l’inquiétude, les craintes et la peur, à aller contre ce que l’expérience amère du passé leur dicte et à parier pour un voisinage civilisé. J’ose espérer qu’on trouvera des Palestiniens de la même trempe. J’ose espérer que les pays influents pousseront autant qu’il faudra les deux parties, et pas seulement les Israéliens, à se rencontrer. Israël a besoin de la Palestine autant que les Palestiniens. Il faudra que les Palestiniens choisissent une Palestine possible à côté d’Israël, et non une Palestine fantasmée qui ne sera qu’une Palestine fantasme. Autrement, la guerre continuera et les générations répèteront sans répit les gestes de deuil et de malheur.

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