Un monument négationniste à démanteler

Nicolas Zomersztajn
La commune a décidé de retirer la plaque présentant les SS lettons internés à Zedelgem entre 1945 et 1946 comme des combattants de la liberté et de débaptiser la Brivibaplein (place de liberté). Le monument érigé en mémoire de ces combattants SS est toujours en place même si son démantèlement s’impose comme la seule issue possible.
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Depuis que le scandale du monument de « la liberté » de Zedelgem érigé en 2018 en mémoire des combattants SS lettons internés dans le site militaire du Vloethemveld entre 1945 et 1946 a été révélé au printemps dernier par la presse, les autorités de cette commune proche de Bruges n’ont cessé de faire le gros dos : hors de question d’envisager le démantèlement de ce monument insultant la mémoire des victimes du nazisme. Le retrait de la plaque glorifiant ces 16.000 SS lettons érigés en symbole de liberté et la débaptisation de la Brivibaplein (place de liberté) sont les seules concessions que la commune a bien voulu lâchées fin juillet. Depuis lors, tout semble bloqué et la question du destin de ce monument n’est toujours pas à l’ordre du jour des réunions du conseil communal.

Sollicité par la commune pour mener la recontextualisation du monument, Pieter Lagrou, professeur d’histoire contemporaine à l’Université libre de Bruxelles (ULB) a rencontré les autorités communales de Zedelgem. Publiquement, cet historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale s’est montré très critique à l’égard du processus qui a conduit à la mise en place de ce monument même si initialement il était plutôt favorable au maintien du monument moyennant l’intervention d’un artiste qui puisse le détourner et lui donner une toute autre signification en y ajoutant d’autres éléments. « Ce n’était pas jouable », reconnait-il. « Mais c’était une position tactique pour engager le dialogue avec les autorités communales en vue d’aboutir au démantèlement du monument qui est naturellement la seule issue possible ». Mais l’historien bruxellois demeure convaincu qu’il faut amener la population de Zedelgem à se rallier à cette solution.

« Une fosse septique »

Lors d’une conférence publique que Pieter Lagrou a donnée le 9 septembre dernier à Zedelgem sur la mémoire du camp de prisonnier du Vloethemveld, il a fait preuve de prudence dans son propos. Après un long exposé sur le contexte historique global, Pieter Lagrou a conclu en se demandant si « le projet du Vloethemveld n’est pas trop important et trop beau pour être compromis par un monument insuffisamment pensé ». Pourquoi ne pas poser explicitement la question du démantèlement du monument ? « Je ne pouvais pas venir en leur disant qu’ils sont tous une bande de salauds, de néonazis et qu’ils doivent enlever ce monument tout de suite », réagit Pieter Lagrou. « Cela n’aurait pas marché du tout. Je fais le pari de la pédagogie pour qu’ils puissent se rallier au principe du démantèlement du monument ». Il s’est toutefois montré plus direct au moment du débat lorsqu’il a comparé le monument à une « fosse septique » et qualifié de faute inacceptable l’érection de ce monument.

Parmi les habitants de Zedelgem venus écouter l’historien bruxellois, certains reconnaissent avoir été piégés et sont prêts à en tirer les conséquences. Il semble que c’est surtout du côté du collège des bourgmestre et échevins que cela coince pour une question de fierté mal placée : démanteler le monument reviendrait à perdre la face car ce serait reconnaitre avoir commis une faute. En dépit de son exaspération, Pieter Lagrou maintient le dialogue avec les autorités communales de Zedelgem parce qu’il demeure convaincu que l’enjeu mémoriel réside dans le réaménagement du site Vloethemveld. « Les responsables de ce site sont favorables au démantèlement du monument de Zedelgem parce que cela compromet sérieusement le projet de développement qu’ils comptent concrétiser », déclare-t-il. C’est notamment la raison pour laquelle Pieter Lagrou a accepté de constituer un panel d’historiens, majoritairement lettons, pour émettre des recommandations concernant le maintien ou non du monument de la « ruche ». « Il s’agit d’une opération sanitaire délicate à entreprendre pour que la majorité des personnes de cette commune soit convaincue qu’il faut débarrasser de ce monument », estime Pieter Lagrou qui ajoute que les autorités communales se sont engagés oralement à plusieurs reprises à suivre les recommandations d’un panel d’historiens.

On peut légitimement craindre que ce panel d’historiens ne soit qu’une mesure supplémentaire pour éviter d’aborder la question politique et mémorielle que pose l’existence d’un tel monument. « Cette panel d’historiens n’est pas une perte de temps dans la mesure où ils se sont engagés oralement à suivre les recommandations de la commission d’historiens qui seront rendues en décembre 2021 », fait valoir Pieter Lagrou. « Il faut que cette recommandation ait du poids et soit incontournable. Mais c’est aussi une question de perspective car je n’ignore pas que les autorités lettones font le forcing pour que ce monument ne soit pas démantelé. Nous devons donc contrer le récit et les arguments avancés par les Lettons, notamment lorsqu’ils affirment que ces SS lettons étaient dans leur grande majorité des conscrits ou qu’ils tendent à blanchir les SS lettons. Je pense qu’il y a un travail historiographique intéressant à accomplir ».

Un problème politique, pas historique

Il n’empêche que le scandale de ce monument n’est pas une question historique mais un problème politique. « Dans ce panel, ce sont de bons historiens, certes, souvent d’origine balte, mais peu ou prou spécialisés sur la Shoah. Aucun historien juif, évidemment. Mais surtout pourquoi une commission d’historiens pour un problème d’ordre politique ? », s’interroge à juste titre Joël Kotek, historien spécialiste des génocides, professeur à l’ULB et ancien directeur de la formation au Mémorial de la Shoah de Paris. « La question est de savoir si l’on se doit vraiment d’honorer des auxiliaires de l’Etat nazi et ce, quand bien même ils ne furent pas tous des génocidaires et/ou criminels de guerre. Quel message veut-on donner en célébrant le “malheur” de ces combattants engagés dans la lutte contre le judéo-bolchévisme ? Qu’ils furent des victimes de la Seconde guerre mondiale au même titre que les résistants fusillés, les Juifs gazés, les otages civils assassinés ? Surtout si l’on songe qu’ils survécurent à leur captivité, eux, et qu’ils ne furent pas livrés aux Soviétiques, eux. Bref, qu’ils ont été accueillis en Europe occidentale et en Amérique du Nord où ils ont pu reconstruire leur vie, eux ».

L’idée n’est évidemment pas de se focaliser sur ces combattants lettons qui ont été internés plus d’un an puis libérés sans procès malgré leurs crimes mais de refuser qu’on consacre un monument à des combattants SS. « A-t-on besoin de trois, quatre, voire 10.000 historiens belges, letton, américains, voire martiens pour réaliser que ce monument est totalement incongru, insensé, sinon négationniste, cette maladie fasciste qui ressort aussi du politique et non de l’histoire Personne n’a besoin de commission internationale d’historiens pour se convaincre de la portée négationniste de ce monument, pas besoin d’être un historien d’origine lettone, juive, ou martienne pour le saisir. Il suffit d’être doté d’un simple cerveau de citoyen et de cinq minutes de … réflexion. Le fait que les Lettons aient souffert de l’occupation soviétique, et c’est le cas, n’autorise en rien à célébrer les troupes SS lettones qui épaulèrent les Nazis… Alors pourquoi pas un monument français à Laval et Doriot ? Un autre monument belge à Degrelle, « héros » de la bataille de Tcherkassy ? », fustige Joël Kotek.

Une stèle démantelée en Moselle

Alors que le Centre d’art anversois De Singel a retiré de son toit la sculpture dorée « L’homme qui mesure les nuages » réalisée en 1998 par l’artiste anversois Jan Fabre renvoyé en mars 2022 devant le tribunal correctionnel d’Anvers pour répondre des accusations d’actes de violences et d’harcèlement sexuel, il est difficile d’admettre que des faiseurs d’opinion et des responsables politiques flamands se taisent ou s’interrogent encore avec fausse naïveté sur l’opportunité de maintenir un monument à la gloire de la SS lettone. Par ailleurs, les exemples de démantèlement de monuments récents à gloire de nazis ne manquent pas. Ainsi, en Moselle (France), une stèle à la gloire de combattants de la 17e division SS Panzergrenadier, avait été érigée sur une propriété privée dans la commune de Volmunster (Moselle) en octobre 2017. Semblable à un monument aux morts, elle contenait plusieurs mentions en allemands : « En l’honneur des soldats tués appartenant à la 17e Division-Panzer SS », suivi de la devise de cette unité « Drauf, dran und durch !» (En avant, dessus et à travers). Suite à sa découverte en janvier 2018 par un promeneur choqué, la stèle de 600 kilos et 80 cm sur 60 cm a été déterrée et saisie par les gendarmes le 4 janvier 2018 comme pièce à conviction. Renvoyé devant le tribunal correctionnel de Sarreguemines, le propriétaire du terrain, un ressortissant allemand, sera condamné le 23 mars 2020 à 18 mois de prison, dont 9 avec sursis, pour apologie de crime de guerre et apologie de crime contre l’Humanité. Ayant interjeté appel de cette décision, il sera jugé par la cour d’appel de Metz qui confirmera le 3 mai 2021 la décision du tribunal correctionnel en le condamnant à 18 mois de prison avec sursis et 10.000 € d’amende. Un détail qui a son importance au regard des tergiversations flandriennes : la stèle de Volmunster a été détruite ! L’exemple mosellan a donc le mérite de rappeler à tous les protagonistes de l’affaire de Zedelgem qu’à défaut de réaction politique appropriée, une intervention judiciaire est une option à ne pas exclure si rien ne bouge dans des délais raisonnables.

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