Articulée en cinq sections thématiques à la chronologie élastique, l’exposition « Super Heroes Never Die » commence avec la « première génération de dessinateurs d’origine juive » dont les bandes dessinées publiées dans presse yiddish, mais aussi dans les grands quotidiens américains témoigne des efforts d’intégration et d’ascension sociale d’auteurs qui, tels Milt Gross ou Harry Hershfield, s’adressent prioritairement au public américain. La BD humoristique Abie the Agent, dessinée en 1914-1940 par Hershfield et diffusée dans la presse américaine par le King Features Syndicate, contribue à une révolution graphique de la représentation du Juif auprès du public américain.
Reliant l’histoire au présent, l’exposition privilégie la naissance des super-héros tels Superman, Batman, Captain American, les X-Men, etc. et met en valeur quelques précieux comics du Golden Age et du Silver Age, ou des planches originales par exemple du célèbre Jack Kirby. Will Eisner, constitue à lui seul la troisième étape de l’exposition. Créateur du Spirit, puis pionnier du roman graphique documentant la vie juive new-yorkaise, Eisner occupe une place majeure au panthéon des Juifs américains dont la place est si centrale dans l’histoire de la BD américaine. Une quatrième section évoque la naissance d’une culture graphique plus adulte, avec le magazine MAD d’Harvey Kurtzman, puis l’essor d’un courant de narration mémorielle inspiré par Art Spiegelman, associé à la presse underground avant de réaliser Maus.
Enfin, le dernier volet de l’exposition nous introduit à la pérennité du super-héros dans nos cultures contemporaines, livrant de « nouveaux combats, portés par d’autres minorités en lutte contre les inégalités de genre, d’ethnie ou de sexualité ».
Le rôle crucial des grands éditeurs
Rassemblant des œuvres originales ou des facsimilés de planches et de couvertures de comics significatifs, cette nouvelle exposition du MJB incite à découvrir une histoire de la BD américaine encore méconnue du grand public.
Mais cette exposition, qui nous présente de célèbres auteurs et dessinateurs juifs américains, néglige le rôle crucial de grands éditeurs et hommes d’affaires avisés, fondateurs de publications novatrices. Tel Harry Donenfeld, Juif roumain immigré dans le Lower East Side, « un mauvais garçon » qui dans les années 1920 participe au trafic d’alcool canadien tout en se lançant dans l’édition de récits d’aventures imprimée sur du papier à bon marché (les Pulps) et où les illustrations en couverture montrent de jolies filles en péril, plus ou moins dévêtues…
Associé à un comptable talentueux, Jack Liebowitz, immigré juif d’Ukraine, Donenfeld publie en 1938 le premier numéro d’Action Comics dans lequel figurent les aventures de Superman de Joe Shuster et Jerry Siegel. Max Gaines (alias Max Ginzberg) invente le comic book, constitué tout d’abord de BD (strips) parues auparavant dans la presse quotidienne, puis très vite composé de séries originales et créées pour ce nouveau modèle de périodique concentré sur la bande dessinée (Famous Funnies, 1933-34).
Tout comme Donenfeld et Liebowitz, Gaines est un des pères fondateurs de l’histoire éditoriale menant à la création de DC Comics. Il crée EC Comics, qui, une fois repris par son fils Bill, génère une culture BD novatrice destinée à un lectorat adolescent et adulte. L’essor d’EC Comics se voit arrêté brutalement par la censure de la Comics Code Authority mise en place suite aux enquêtes d’une commission d’enquête du Sénat, constituée sur base des publications alarmistes du psychiatre Fredric Wertham, alias Friedrich Wertheimer, Juif allemand, dont les études scientifiques suggèrent que la lecture des comics pousse les jeunes à la violence et au crime. Ainsi, Nights of Horror, série de comic books clandestins, dessinés par Joe Shuster, co-créateur de Superman, aurait inspiré le meurtre d’un clochard commis par un gang de jeunes Juifs à Brooklyn l’été 1954 ! Géant de la BD américaine, Al Capp, alias Alfred G. Caplin (1909-1979), créa la mémorable série satirique Li’l Abner, dont les héros, Hillbillies, d’un village fictif du Kentucky, suscitaient les rires du public américain et canadien amusés par ces « péquenauds » du Sud rural, tout en se livrant à un travail de critique et de parodie subtile des actualités sociales et politiques en cours du moment, de 1934 à 1977 ! Succès populaire remarquable pour un Juif letton, immigré de la seconde génération !
Exposition : “Superheroes Never Die. Comics and Jewish Memories”
Jusqu’au 26 avril 2020
Musée Juif de Belgique, 21 rue des Minimes, 1000 Bruxelles (lu.-ve. 10h-17h, sa.-di. : 10h-18h)
Infos : www.mbj-jmb.org