Le 24 avril dernier, un vent de stupeur souffle sur Aix-en-Provence. Dans cette ville cossue du Sud de la France, aussi bourgeoise que Marseille peut-être vibrionnante, les badauds se réveillent avec la promesse d’un nouvel horizon : pendant la nuit, une gigantesque affiche « Zemmour 2022 » a été montée sur un échafaudage donnant sur le cours Mirabeau, une des principales artères de la ville. Aussitôt, la nouvelle se propage, bien aidée en cela par les réseaux sociaux qui abreuvent Twitter et Facebook de clichés. On voudrait lancer une campagne présidentielle que l’on ne s’y prendrait pas autrement !
Quelques semaines plus tard, Eric Zemmour, jamais avare d’une polémique, remettra plusieurs pièces dans le jukebox. Le voilà quittant d’abord, avec pertes et fracas, son éditeur historique, Albin Michel, ce dernier ne souhaitant plus publier l’auteur de best-sellers réactionnaires. Un divorce rocambolesque entrainant, dans son sillage, son cortège de procédures judiciaires et de démissions. Au cœur de l’été, rebelote ! Cette fois, c’est le compte Instagram de l’ex compère d’Eric Naulleau qui se trouve être effacé par Instagram. Cris d’orfraie et protestations. Le réseau social fait finalement machine arrière et remet en ligne le compte du polémiste. Une page qui ressemble, à s’y méprendre, à celle d’un candidat déjà en campagne… Pourtant, officiellement, rien ne se passe. Alors pourquoi ses lecteurs-supporters se mettent-ils à rêver tout haut de la candidature romantique de leur héros ? Peut-être parce que certains signaux permettent d’entretenir savamment le doute.
CNews comme rampe de lancement
Première étape : faire monter la mayonnaise. Force est de reconnaitre qu’Eric Zemmour le fait avec une maestria rare. Au fil du temps, ce dernier est ainsi devenu le héros d’une droite radicale et patriote qui n’aime rien tant que lorsque son porte-voix parle fort et ne mâche pas ses mots, quitte à devenir un habitué des cours de justice. Préférence nationale, repli autarcique, Eurabia et théorie du grand remplacement, tout promet d’y passer dans l’hypothèse de desseins présidentiels, et ce « plus vite, plus fort, plus franchement et plus clairement qu’avec d’autres candidats à droite, y compris Marine Le Pen » déclarent, en off, des électeurs d’ores et déjà séduits. Grand habitué des pages du Figaro où il officie depuis de longues années, « le Z » comme le surnomment ses admirateurs, a toujours été un bon client. Reste que son aisance face caméra se trouve aujourd’hui propulsée à un niveau jamais vu grâce au soutien de poids de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. En faisant de son puissant groupe médiatique un influent bastion réactionnaire, l’industriel, 14e fortune française, offre en effet à Eric Zemmour une visibilité idéale pour 2022. Et surtout plusieurs canaux de diffusion de ses idées à grande échelle : CNews et Canal + en tête. Sur la première, récemment transformée en Fox News à la française, Eric Zemmour bat d’ailleurs des records d’audience, tous les soirs de semaine dans l’émission Face à l’info. Le principe est simple : autour de la journaliste Christine Kelly, des invités viennent confronter leurs idées à la pensée de l’éditorialiste. On aurait pu penser que ce talk-show où l’on traite en priorité de sujets passéistes et anxiogènes (insécurité, immigration, terrorisme) n’aurait attiré que des intellectuels has been et des seconds couteaux. Il n’en est rien ! « De nombreux ministres se sont succédé sur le plateau de CNews afin d’affronter Eric Zemmour », rapporte ainsi Olivier Faye, dans les colonnes du Monde. Et ce dernier de noter : « L’opération aura davantage contribué à le légitimer plutôt que de le convaincre de ranger les gants ». Même conséquences avec ces philosophes qui, de Michel Onfray à Raphaël Enthoven en passant par Bernard-Henri Lévy, ont jugé judicieux de se frotter au maître des lieux. Plutôt que de terrasser leur hôte ultra-conservateur, tous sont repartis la queue entre les jambes, dépassés par la rhétorique ultra-efficace et la mécanique d’une émission conçue pour mettre en valeur Eric Zemmour, et lui seul. Autant de succès répétés qui enthousiasment un nombre croissant de supporters et permettent d’installer la voix d’Eric Zemmour dans le débat public.
Les audiences télé fabriquent-elles des électeurs ? Zemmour (comme d’ailleurs Cyril Hanouna et même Patrick Sébastien en son temps) est tenté de le croire. Et contre toute attente, ses fans déclarés ne répondent pas forcément au profil type du spectateur habituel de Face à l’Info. Les nouveaux venus sont ainsi jeunes et déterminés à défendre le principe même d’une ambition présidentielle zemmourienne, aussi hardie soit-elle. Les voilà donc réunis sous plusieurs bannières. Parmi celles-ci : « Génération Z ». A la tête de l’association, on trouve Stanislas Rigault, un jeune militant catholique, également fondateur d’un mensuel baptisé L’Etudiant libre et passé par les bancs de l’Institut de formation politique (IFP), organisme « libéral-conservateur » autour duquel fraient Philippe de Villiers, Charles Millon, Elisabeth Levy ou encore Robert Ménard. Au Monde, Rigault explique : « Il y a des profils très variés, des néo-militants qui ne s’étaient jamais intéressés à la politique mais aussi des jeunes issus des Républicains [LR] ou de l’UNI [syndicat étudiant de droite] qui ne se retrouvent pas dans l’offre actuelle ». A l’origine constitué en club virtuel, Génération Z s’évertue désormais à fédérer les énergies sur le terrain. Récemment, 500 militants ont collé 10 000 affiches pro-Zemmour dans 86 départements de l’Hexagone. Un petit monde qui a coutume de se retrouver, dans chaque région, autour de rendez-vous baptisés « Zapéros » au cours desquels on boit un verre en regardant Face à l’info, le rendez-vous quotidien d’Eric Zemmour sur la chaîne CNews.
Aussi puissante soit-elle, la télévision ne fait pas tout. Encore faut-il créer une structure, mettre en place une équipe de campagne, trouver des locaux et lever des fonds pour espérer transformer l’effervescence médiatique en promesse électorale. « La force de frappe médiatique de Zemmour peut lui permettre de s’ouvrir des portes que l’on pensait impossibles à ouvrir pour un petit candidat, pour un outsider. Reste à voir comment s’organisera, concrètement, sa campagne. On sait que l’exercice est difficile. Connaissant l’homme, il doit certainement être fasciné par cette phrase de de Gaulle : « l’intendance suivra », explique Gabriel Robin, journaliste au magazine l’Incorrect. On touche là au cœur de la stratégie Zemmour : créer une émulation, susciter une envie ». Robin poursuit : « La droite bonapartiste, celle de Zemmour ou de Le Pen, a un caractère plébiscitaire. Elle refuse le jeu des primaires. Elle est animée d’un certain sens du romantisme. Cette droite-là se dit qu’un grand homme est appelé par la foule. Voire même que la foule le précédera, comme l’écrivait Bonaparte dans ses mémoires de Sainte-Hélène ».
Menace ou aide pour Marine Le Pen ?
Fasciné par une lecture héroïque de l’histoire de France, Zemmour rêve d’un consensus large autour de sa personne aux allures de plébiscite. Pour l’heure, les premiers sondages ne le créditent que de 5,5% d’intentions de vote, un chiffre trop bas pour espérer jouer les trouble-fêtes d’une élection que d’aucuns disent jouée d’avance. Si même dans ses rêves les plus fous, Eric Zemmour sait qu’il ne pourra vraisemblablement espérer troubler le duel annoncé Macron – Le Pen, il chercherait néanmoins à faire un score honorable. En off, certains proches observateurs du candidat putatif nous indiquent « qu’en étant testé à 7 ou 8% dans les sondages de rentrée, il pourrait vraiment se prendre au jeu d’une campagne ». Si la marche parait haute, les signaux, eux, sont au vert. Selon une étude menée par l’IFOP pour Livre noir (media d’extrême droite), réalisée auprès d’un échantillon de 1000 personnes du 15 au 16 juin, 18 % des Français se disent prêts à aller voter pour le polémiste s’il était candidat (dont 13 % « probablement » et 5 % « certainement »). Soit une progression de 5 points depuis un même sondage, réalisé pour Valeurs Actuelles, en février 2021. Ces chiffres-là sont des indicateurs. Des indicateurs qui, sans prédire l’avenir, prouvent d’ores et déjà deux choses. D’abord, la radicalité du candidat Zemmour – entretenue à longueur de tweet, d’entretiens, de déclarations aux accents populistes, plait. Ensuite, cette radicalité, alors même qu’elle aurait pu faire de l’ombre au Rassemblement National de Marine Le Pen, empiète plutôt sur les plates-bandes de la droite républicaine. On comprend alors mieux l’utilité d’une candidature Zemmour, chargée de polariser le débat, de droitiser à outrance l’opinion, d’affaiblir le candidat de la droite républicaine en le faisant passer pour mièvre. Un scénario dans lequel, au fond, il ne pourra y avoir qu’une grande bénéficiaire : Marine Le Pen.