Israël, nouvelle puissance sportive ?

Laurent-David Samama
Bien aidé par une série d’investissements spectaculaires dans le football, la Formule 1, le baseball et désormais le cyclisme, Israël serait-il en passe de s’imposer comme une puissance sportive ? Éléments de réponse sur la route du Tour de France.
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L’histoire est rocambolesque et tiendrait presque de la fable du surfeur islandais, du sauteur à ski britannique ou de l’équipe jamaïcaine de bobsleigh. Une équipe israélienne sur le Tour de France : qui l’eût cru ? Et pourtant, en l’espace de quelques années seulement, le rêve fou de quelques passionnés bien décidés à repousser les frontières du monde du cyclisme a pris corps.

Disons même que leur volonté a payé ! La preuve : durant tout le mois de septembre, les maillots bleu ciel et blanc de l’équipe Israel Start-Up Nation se sont illustrés sur les 3.470 km du tracé de la Grande Boucle, entre Nice et Paris, d’échappées en sprint et jusqu’au cœur du peloton. Une grande première aux airs de petite révolution. Car même si la petite reine conquiert régulièrement de nouveaux horizons depuis plusieurs décennies -s’implantant d’abord aux Etats-Unis puis en Océanie, en Amérique du Sud et sur le continent africain-, la voir devenir un outil permettant à d’Israël de parfaire sa stature internationale semblait inconcevable.

C’était compter sans l’acharnement de Ran Margaliot tout d’abord. Sportif hors-pair, champion d’Israël de cyclisme au tournant des années 2000, ce dernier réussit à faire carrière jusqu’à atteindre le Pro Tour, ultime échelon professionnel, en intégrant l’équipe Tinkoff-Saxo, en 2012. Malheureusement, l’aventure tournera court pour l’athlète qui gamin, « rêvait de devenir le premier coureur israélien à remporter le Tour de France ». Echouant à se hisser aux exigences du très haut-niveau, Margaliot va se blesser lourdement au cours d’un entrainement et devra abandonner prématurément sa carrière professionnelle. Les mois qui suivirent cette pause forcée furent complexes à gérer, incertains. Le jeune retraité se cherche alors. Il s’occupe comme il peut, tente de renouer avec une vie normale : « Cette période après 2012 a été très dure, je n’avais pas de plan B du tout. J’ai travaillé dans la finance, mais sans envie, sans talent car ma seule passion était véritablement le vélo. J’ai alors commencé à coacher quelques coureurs de différents niveaux ».

Alors qu’il reprend pied, Margaliot fait une rencontre providentielle. Journaliste au quotidien L’Equipe et fondateur de Chronique du Vélo, Robin Wattraint raconte la suite : « Margaliot fait alors la rencontre de Ron Baron, milliardaire américain aux racines juives. L’homme d’affaire met un million de dollars sur la table et un projet prend forme. La Cycling Academy (son ancien nom, jusqu’à ce que l’équipe choisisse la dénomination Israel Start-Up Nation) voit le jour en Continental, la troisième division mondiale. Elle fait ses premiers pas au Tour de San Luis, début 2015, avec une équipe hétéroclite. Les Israéliens sont au cœur du projet, bien sûr. Mais les Polonais et les Slovaques sont aussi fortement représentés ». Les débuts sont forcément balbutiants. « La première saison a valeur de test », relate Wattraint. « Tout se fait dans des conditions parfois ubuesques. Ron Baron recrute qui il peut » Quelques vieux briscards viennent ainsi encadrer des jeunes pousses israéliennes. La Cycling Academy évolue alors dans l’ombre, engrange de l’expérience et avale les kilomètres en s’alignant au départ de courses mineures.

Hasbara par le sport

La nouvelle de l’existence d’une équipe israélienne dans l’antichambre du circuit international ne tarde pas à se répandre, jusqu’à arriver aux oreilles d’un mécène passionné, le canadien Sylvan Adams. Âgé de 61 ans, cet homme d’affaires israélien flamboyant ayant fait fortune dans l’immobilier a décidé de mettre sa surface financière au service de l’image d’Israël. Sa stratégie ? Celle de la « diplomatie du ping-pong », autrement dit la tactique du soft power s’appuyant sur toute l’attention médiatique portée sur le sport. Un schéma reproduit partout, des Etats-Unis à la Russie, du Qatar au Rwanda et jusqu’à Cuba. Une gigantesque campagne de séduction à destination des passionnés de sport. Mais revenons à Adams ! Habitué des épreuves cyclistes « senior » des Maccabiades, ce dernier ne va pas hésiter à sortir le carnet des chèques pour construire une équipe capable de briller sur le circuit international. Pour aligner son équipe au calendrier World Tour, il rachète donc la licence de l’équipe Katusha, embauche ses meilleurs coureurs, y intègre les espoirs de la Cycling Academy et rebaptise l’attelage Israel Start-Up Nation. Un nom qui claque comme un slogan, manière de signer toute l’ambition sportive mais aussi politique de ce projet. « Cette équipe est plus qu’une équipe », explique Sylvan Adams. « C’est un projet et nous sommes en mission ! D’un côté, nous devons promouvoir le cyclisme en Israël. De l’autre, comme nous portons nos couleurs nationales bleu et blanc avec le nom d’Israël fièrement inscrit en grandes lettres sur notre maillot, nous devons promouvoir notre pays pour montrer le vrai visage d’Israël, qui est tellement mal compris à cause d’une couverture médiatique à sens unique. Nous sommes un pays merveilleux, intéressant, divers, ouvert, tolérant, démocratique et plus important que tout, un pays sûr ».

Messi, Froome, Madonna et… La conquête spatiale !

Adams n’en est pas à son coup d’essai. En 2018, il était déjà à l’origine d’un coup de communication retentissant : la délocalisation des trois premières étapes du Tour d’Italie à Jérusalem, Tel Aviv et Eilat. Ce faisant, le Giro devenait alors le premier grand tour européen à démarrer hors du continent européen. Résultat de l’opération : de belles images et des dizaines de milliers de mention d’Israël dans les médias du monde entier, loin des habituels compte-rendu des flambées de violence aux frontières israélo-palestiniennes. Quelques mois plus tard, en 2019, l’homme d’affaires décide de remettre le couvert : en alignant les millions de dollars, il réussit à faire jouer un match de football amical de prestige sur le sol israélien, entre l’Argentine de Lionel Messi et l’Uruguay d’Edinson Cavani. Là encore, euphorie médiatique et buzz planétaire. La stratégie du coup d’éclat permanent va bientôt s’étendre au-delà du champ sportif : rien ne semble plus résister à Sylvan Adams, ni la chanteuse Madonna, qu’il (sur)paie pour venir se produire à Tel-Aviv dans le cadre du concours de l’Eurovision, ni le lancement de la sonde spatiale Bereshit, qu’il parraine avec ses largesses habituelles, en tant que mécène. Ses derniers chantiers en date ? Le débauchage de la superstar du cyclisme Chris Froome, pour la saison 2021 et le soutien sonnant et trébuchant au pilote automobile Roy Nissany, de l’équipe de Williams F1.

Si Sylvan Adams fait bel et bien feu de tout bois pour « améliorer l’image d’Israël », une question demeure : sa stratégie est-elle payante ? « Jusqu’ici, le cyclisme n’était pas une activité très populaire en Israël, et le suivi de ses compétitions majeures une rareté parmi la population », relève Uzi Dann, rédacteur en chef des pages sports du quotidien Haaretz que nous avons interrogé. « Et voilà que tout a changé en un rien de temps, grâce à quelques doux rêveurs. Le changement est perceptible : depuis l’organisation en Israël des étapes du Giro, on voit désormais ici des cyclistes partout. En termes de communication, le coup réalisé par Sylvan Adams a été couronné de succès. Force est donc de constater que la volonté de ce dernier de montrer « le bon côté d’Israël » fonctionne. Tout cela a un coût mais au bout du compte, les résultats sont là. Et le fait de voir une équipe israélienne s’aligner au départ de la course cycliste la plus suivie dans le monde est perçu, ici, comme une vraie source de fierté ». A quand le prochain coup d’éclat ? 

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