Je lis, tu lis, ils écrivent… Léa Veinstein, J’irai chercher Kafka. Une enquête littéraire, Éditions Flammarion, 317 p.

Henri Raczymow
Je lis, tu lis, ils écrivent par Henri Raczymow
Partagez cette publication >

On s’apprête à commémorer le centenaire de la mort, en juin 1924, à l’âge de quarante ans, du grand écrivain tchèque de langue allemande Franz Kafka. Il vit à Berlin, dans la proximité amoureuse de Dora Diamant. La tuberculose le fait souffrir, il ne peut presque plus parler ni rien avaler. Mais il continue d’écrire jusqu’au bout, et de plus en plus. Dernier texte en date : Joséphine la cantatrice. C’est à compter de ce moment que l’histoire de ses manuscrits débute. On le sait, Kafka avait laissé dans un tiroir ses dernières volontés les concernant : que la plupart d’entre eux soient brulés. C’est son fidèle ami Max Brod qui reçoit ces mots griffonnés, et qui passe outre, trahissant les volontés testamentaires de celui qu’il a toujours tenu pour un immense écrivain. Trahissant et tout à la fois sauvant Kafka. Alors commence cet incroyable « roman » des manuscrits rescapés et l’enquête passionnante de Léa Veinstein, à Tel-Aviv et à Jérusalem. Celle aussi, de l’ami Max Brod qui, dès l’été 1924, auprès des parents de Franz à Prague, de Dora à Berlin, de Milena Jesenska, l’autre femme tant aimée (147 lettres de Kafka), va faire l’impossible pour récupérer les moindres papiers, manuscrits, journaux, lettres, brouillons inachevés, etc. Tous les manuscrits que Brod a pu réunir et sauver, il les enfourne dans une valise et, le 14 mars 1939, dans une Europe déjà largement nazifiée, il passe la frontière avec sa femme, s’embarque dans un port roumain pour Tel-Aviv, Palestine. Quelques décennies plus tard, Léa Veinstein va suivre cette valise, ou plutôt son contenu, déposé désormais à la Bibliothèque nationale à Jérusalem. Mais avant cela, elle se rend rue Spinoza, à Tel-Aviv, pour voir l’immeuble où vivaient la collaboratrice de Max Brod, Esther Hoffe, étrange femme qui lui était dévouée, et sa fille Eva, qui ne voulut rien lâcher des trésors « kafkaiens » qu’elle détenait, légués par Brod à sa mère, tout cela au milieu de dizaines de chats et d’odeurs pestilentielles. Mais Brod avait déjà dispersé de nombreux manuscrits à Zurich, à Oxford…

Après la mort de Max Brod, les dames Hoffe, un peu zinzins et fort cupides vont, depuis leur sordide rez-de-chaussée de la rue Spinoza, se défaire de leur trésor, pièce après pièce, au cours de ventes à l’étranger. Il faut bien vivre. S’ensuivront maints procès très médiatiques des dames Hoffe versus l’État d’Israël, lequel, à tort ou à raison, tenait les papiers de Kafka comme appartenant au patrimoine juif universel et devant légitimement être abrités par la Bibliothèque nationale de Jérusalem. L’enquête que mène Léa Veinstein est exemplaire à plus d’un titre. Comme toute enquête, elle est surtout une enquête sur soi.

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Découvrez des articles similaires

Le Dibbouk. Fantôme du monde disparu

Dans une foisonnante exposition mêlant théâtre, cinéma, musique, littérature, et culture populaire, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris (MAHJ) explore la thématique du Dibbouk, ce mauvais esprit ou cette âme errante qui prend possession d’un vivant, selon une croyance qui s’est développée en Europe orientale à partir du XVIIIe siècle.

Lire la suite »