Le prédicateur islamiste et le rabbin messianique unis par le coronavirus

Nicolas Zomersztajn
Qu’ils soient juifs ou musulmans, les fondamentalistes religieux ont tendance à réagir de manière irrationnelle et grotesque face à la propagation du coronavirus. Punition divine frappant ceux qui se livrent à des turpitudes pour les uns, signe de la venue du Messie pour les autres, autant d’explications primaires traduisant une pensée au ras des pâquerettes.
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Ils sont tous les deux religieux et très pratiquants. A bien des égards, ils se ressemblent terriblement. C’est troublant. Physiquement d’abord, plus ou moins le même âge et la même apparence : ils sont barbus, portent des lunettes plus ou moins identiques et sont vêtus d’habits ternes. On ne risque pas de les croiser à la Fashion Week de Paris ou de Milan.

Si l’un parle de manière monotone et monocorde et l’autre s’agite avec un accent franco-israélien prononcé, ces deux hommes distillent une vision fondamentaliste et littéraliste de la religion.

On pourrait même croire que ces deux Suisses sont frères ou cousins. Et pourtant ce n’est pas le cas. L’un est musulman et se nomme Hani Ramadan (oui, le frère de Tariq) et l’autre est juif et son nom est Ron Chaya.

Ce sont les rois du prêche. Internet est leur espace privilégié, Youtube est leur royaume. Ils inondent ce site web de leurs sermons et de leurs réponses à des questions absurdes se résumant à savoir si ceci est licite ou cela est illicite. Mais nos deux hommes en profitent aussi pour commenter l’actualité à la lumière de leurs connaissances religieuses. Et bien souvent, ces frères ennemis de l’intolérance disent la même chose même si leur perception respective de la religion de l’autre est marquée par la détestation. La crise du coronavirus en est l’illustration la plus explicite.

Dans une vidéo sermon, on peut entendre Hani Ramadan expliquer que l’une des causes des maladies nouvelles, et aujourd’hui du coronavirus, « est le fait que les hommes se livrent ouvertement à la turpitude, comme la fornication et l’adultère, ce qui déclenche des maladies et des épidémies nouvelles ». Il s’agit donc d’une punition divine qui frappe les pécheurs.

Pour Ron Chaya, c’est aussi un phénomène qui s’abat contre les ennemis de Dieu mais sa justification trouve sa source dans la tradition juive. Il se réjouit du coronavirus qu’il interprète comme un signe annonçant des temps messianiques. Il en est convaincu puisqu’il a lu un « midrash extraordinaire » qui « annonce une grande épidémie dans le monde juste avant la venue du Mashiah » !

Un nombre considérable d’êtres humains sont en train de mourir et Rav Chaya jubile à l’idée de la venue du Mashiah (Messie). « Il semblerait qu’on est très proche de la fin. Je peux me tromper mais ça sent très fort… Il faut donc se renforcer en joie, être joyeux. Et cette joie en elle-même est notre meilleur atout contre la maladie Béézrat Hachem (avec l’aide de Dieu) ».

La maladie s’abattra comme une punition sur les ennemis de Dieu et du peuple juif. Il y inclut les laïques ou ceux qui veulent gouverner Israël avec l’appui des partis arabes. Apparemment, ce grand admirateur de Netanyahou (qu’il nomme Bibi) est très préoccupé par la participation de ses concitoyens arabes à la vie politique d’Israël. Mais grâce au coronavirus, tout sera résolu. C’est ce qu’il souligne lorsqu’il affirme : « La maladie n’éradiquera du monde que le mal mauvais, c’est ce que nous voulons Béézrat Hachem ».

Et si certains ne le croient pas, il sort sa botte secrète : la valeur numérique en hébreu du mot coronavirus. Elle est égale à celle de « Ketoret », le mélange d’encens qui était offert au Temple de Jérusalem et considéré par les Sages comme une barrière efficace face aux épidémies et autres fléaux. Et le mot « Ketoret » comprend 11 fois le nom de Dieu ! « C’est une réalité céleste mauvaise mais Dieu l’utilise très bien contre l’Iran où le virus tue 12% de la population. La Perse va disparaître juste avant l’arrivée du Mashiah », s’exclame avec joie Ron Chaya.

Que préconisent ces deux messagers de la parole divine pour traverser la crise du coronavirus ? Ils encouragent leurs ouailles à renforcer leur lien avec Dieu. Pour ce faire, une recette identique : prier et étudier les textes sacrés, et surtout regarder sans modération leurs vidéos sur internet. « Il s’agit d’utiliser les réseaux pour écouter une exhortation, un cours ou un sermon. Je vous renvoie aux sermons du vendredi disponibles sur le site du Centre islamique de Genève (dirigé par Hani Ramadan). C’est important d’écouter ces sermons qui nous ramènent aux sources du coran », insiste Hani Ramadan.

Ron Chaya rappelle aussi avec insistance qu’il est temps de consulter toutes ses vidéos sur un site internet qu’il vient d’ailleurs de renouveler. Et de rappeler sans cesse que le Mashiah va arriver prochainement. « Renforçons-nous dans l’amour entre nous, récitons les bonnes Midoot (les attributs de la miséricorde par lesquels l’action divine est accessible à la compréhension humaine), ne pas se mettre en colère, cela ne sert à rien de se bagarrer car c’est la fin, bientôt il n’y aura plus rien. Il n’y aura que l’amour et le bonheur. Cela doit beaucoup nous réjouir. Nous aurons la joie de voir Mashiah, amen ».

Pour compléter la misère intellectuelle et spirituelle de ces discours intégristes, il ne reste plus qu’à trouver un fanatique chrétien qui proclamera « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » pour faire face à l’épidémie de coronavirus.

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