Ainsi, sur une chaîne de télévision irakienne, un politologue explique doctement que le coronavirus est un complot juif américain visant à réduire la population mondiale. On peut aussi entendre ce même type d’accusation sur les antennes des télévisions turques, où certains « experts » expliquent que « Les Juifs, les sionistes, ont conçu le nouveau coronavirus comme une arme biologique, comme la grippe aviaire… pour soumettre le monde, s’emparer de pays et stériliser la population mondiale ».
A grand renfort de citations fausses et de phrases détournées de leur contexte, des sites conspirationnistes font dire à des personnalités juives toutes les horreurs qu’ils leur attribuent depuis des années. L’économiste et essayiste français Jacques Attali, bête noire des conspirationnistes toutes tendances confondues, est ainsi désigné comme l’éminence grise de cette pandémie afin de réduire la population mondiale et d’instaurer ensuite un gouvernement mondial.
Certains vont jusqu’à pointer les recherches des laboratoires israéliens pour obtenir un vaccin contre le coronavirus comme preuve de l’implication d’Israël dans la propagation du virus. « Aider à développer le virus expliquerait également comment les scientifiques israéliens ont pu prétendre réussir à créer un vaccin si rapidement, peut-être parce que le virus et son traitement ont été développés simultanément », peut-on lire dans un article intitulé « D’où vient le coronavirus ? De Chine, des Etats-Unis… ou d’Israël ? » et publié le 11 mars 2020 sur Egalité & Réconciliation.
Dans toutes ces accusations, on retrouve les contours de la causalité diabolique forgée par Léon Poliakov, le grand historien de l’antisémitisme, c’est-à-dire « l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve la ruine du genre humain ».
L’idée que les Juifs utilisent une épidémie pour accroître leur domination n’est évidemment pas neuve. Elle nous renvoie à l’accusation médiévale d’empoisonnement des puits, des fontaines et des rivières lancée contre les Juifs lors de l’épidémie de peste qui a frappé l’Europe entre 1348 et 1350. Dans ce contexte de mortalité élevée et d’angoisse énorme, des mouvements se développent à travers l’Europe pour y répandre leurs idées haineuses et fanatiques. C’est le cas des flagellants. Cette secte mystique pense que la pratique de la pénitence et, surtout, de la flagellation permettra à ses adeptes d’expier les péchés et d’acquérir la pureté qui les mettra à l’abri de la peste. Durant les rassemblements qu’ils organisent dans les villes et les bourgades, ces fanatiques excitent les populations et massacrent les Juifs accusés d’être responsables de la peste.
Des flagellants d’un genre nouveau sévissent aujourd’hui, même s’ils n’ont pas encore organisé la moindre procession ni exhorté l’opinion à commettre un pogrom sur les Juifs. La nuisance des flagellants du 21e siècle est surtout virtuelle. Ils lancent en toute impunité leurs accusations antisémites sur des chaînes de télévision de pays musulmans, des sites conspirationnistes d’extrême droite et des réseaux sociaux. Il n’est pas question de dramatiser la situation, mais de prendre conscience de la survivance de vieux mythes dont la particularité réside dans cette terrible faculté de muter et de s’adapter à des circonstances nouvelles et différentes.
En dépit de cette sombre actualité, nous tenons malgré tout à vous souhaiter une bonne fête de Pessah, et ce, même si nous ne pourrons pas nous réunir en famille au complet pour la célébration du Seder.