L’histoire ne servirait-elle à rien ? On ne le répétera jamais assez, la vérité est la première des victimes de tout conflit. Pour preuve, la diatribe du Premier ministre polonais à l’encontre d’Emmanuel Macron : « Monsieur le président Macron, combien de fois avez-vous négocié avec Poutine, qu’avez-vous obtenu ? Est-ce que vous négocieriez avec Hitler … ? Personne n’a négocié avec Hitler ». Vraiment M. Morawiecki ? Devrais-je lui rappeler que la Pologne fut le premier Etat européen à conclure dès janvier 1934 un pacte de non-agression avec le chef d’Etat nazi ? Et souligner qu’à l’instar des Allemands, les Polonais n’eurent d’autre souci durant les années trente que d’exclure les Juifs de la communauté nationale (cf. plan Madagascar polonais). Qui se souvient qu’en décembre 1922, le premier président élu de l’Etat polonais, Gabriel Narutowicz fut assassiné cinq jours seulement après son entrée en fonction parce soupçonné d’être à la solde des minorités nationales, donc juive ; la droite nationaliste lui reprochant d’être « l’ami des Juifs » (« Szydowski Vitek »). « Comment les Juifs ont-ils osé imposer leur président à la Pologne ? » écrivait l’abbé Lutoslawski dans la Gazeta Poranna, cependant que dans les rues de Varsovie, rapporte l’historien Paul Zawadzki, les discussions allaient bon train pour savoir si cet aristocrate catholique était juif ou non. C’est sûr, la Pologne ne verra pas de sitôt un Zelensky à sa tête.
La mémoire historique n’est souvent d’aucune utilité. Prenons cette fois-ci le cas de cet Etat que nous aimons tant, Israël. Ses instituts de recherches sur la Shoah comme ses dirigeants n’ont de cesse (et avec raison) de dénoncer l’apathie des démocraties libérales vis-à-vis d’Hitler comme de ces millions de Juifs qui tentaient de fuir l’enfer nazi. Et voilà, ce même Etat, frileux quant à l’accueil des réfugiés ukrainiens (non-juifs et plus ou moins juifs) et réfléchir à deux fois avant de condamner Poutine et ce, naturellement, au nom d’intérêts nationaux bien compris. Pas évident d’être un Etat, confronté à son tour au dilemme « éthique de conviction » versus « éthique de responsabilité ». Quand donc l’Etat refuge des rescapés de la Shoah franchira-t-il le pas de la reconnaissance formelle du génocide des Arméniens au risque, il est vrai, de représailles musclées du Grand Turc ?
Oui, l’histoire semble de peu d’utilité si l’on songe encore au refus imbécile d’une certaine gauche à appeler à voter pour Emmanuel Macron. À les lire, Macron et Le Pen ne seraient que les deux faces d’une même médaille, celle d’une dictature dans laquelle serait déjà tombée la France. Ce refus de soutenir Macron rejoint celui des communistes allemands opposés aux sociaux-démocrates dans les dernières années de la République de Weimar. On en connaît la terrible conséquence ! Cette cécité criminelle explique encore le soi-disant pacifisme des communistes jusqu’à la rupture du pacte germano-soviétique. Jusqu’à cette date, les thuriféraires de Staline se réfugièrent derrière le slogan « Ni soldats de l’Angleterre avec de Gaulle et ni soldats de l’Allemagne avec Pétain ». L’opération Barbarossa remit évidemment les pendules à l’heure de la Résistance. Mais à quel prix !
Et comme si de rien n’était, comme si l’Histoire n’était plus enseignée en Sorbonne, l’on découvre, tagué sur ses illustres murs, des slogans empreints de cette même irréflexion : « Pas de Justice. Pas de Paix. Ni Macron ni Le Pen ».
Le seul point rassurant de ces cécités coupables est qu’elles sont le plus souvent corrélées. L’écrasante majorité de ceux qui tirent un trait d’égalité entre Macron et Le Pen se révèle pro-russes et prochinois, antivax, anti-Giec et par-dessus tout antisionistes rabiques. Forts d’une vision complotiste, tout leur semble lié : haine du libéralisme, donc de Macron, du Big Pharma, des Rothschild, des Etats-Unis et d’Israël ; haine de l’Occident bourgeois donc de l’Ukraine démocratique. Pour s’en assurer, il suffit de compulser les pages Facebook d’un Piccinin de Prata, le « crétin de Gembloux » à croire Jonathan Littell, d’un Michel Collon, plus poutinien que nature et, bien sûr, de mon antisioniste radical préféré, Me Jean-Marie Dermagne, cet ex-bâtonnier, ex-directeur de recherches à l’UCL et ex-avocat de la Ligue des Droits humains qui ne cesse de m’amuser. Quelques perles choisies de ce militant progressiste qui n’hésita pas à poster une caricature de la fachosphère qui posait les Rothschild en contrôle des banques centrales mondiales: « Macron et Le Pen … c’est peste brune contre brune peste », sur le massacre de Boutcha « depuis Timisoara, je ne crois plus en rien » ; « Il est très compliqué de pouvoir être certain que c’est bien l’armée russe » ; « pour résoudre les soucis des Russes et des Ukrainiens et de quelques autres peuples, recréons l’URSS », « En République populaire de Chine ça fonctionne plus ou moins bien avec près de 56 ethnies, une dizaine de langues et 145.000.000 d’habitants. »; « Personnellement je ne crois pas plus au Dieu vaccin Pfizer et Moderna qu’à n’importe quels rédempteur et prometteur de salut. » « Un vaccin anti-covid en aérosol, ils sont forts ces Chinois ». « Fin mai tous les occupants israéliens de la Palestine seront vaccinés. Pas les Palestiniens. Un nouvel apartheid qui ne semble choquer personne » ; « Les vrais maîtres du monde, ce sont les Israéliens. Trump, le sinistre fanfaron, n’est (comme ses prédécesseurs) que leur marionnette armée. Ce sont eux qui tirent. » Oui, il y a de la cohérence dans le délire obsessionnel.
Ps. Ouf, Macron est élu !