Olivier Weber : “Massoud était un démocrate, modéré et tolérant”

Laurent-David Samama
Ecrivain-voyageur, lauréat du Prix Joseph-Kessel et du Prix Albert-Londres, Olivier Weber a couvert de nombreux conflits, de l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Syrie. Dans Massoud, le rebelle assassiné (éd. de l’Aube), il dresse le portrait du légendaire commandant qui avait pour son pays un projet à rebours de celui des Talibans.
Massoud, le rebelle assassiné
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De son vivant et plus encore depuis sa mort, Massoud est perçu comme un héros romantique. A quoi tient la fascination qu’il exerce en Occident ?

Au-delà de l’icône, il y a, je crois une réalité tangible sur le terrain, celle du stratège d’une part, celle d’un résistant pour la liberté et contre le totalitarisme, d’autre part. Je raconte un homme pourvu d’un charisme de simplicité. Max Weber différenciait trois formes d’autorité : l’autorité paternelle, l’autorité tyrannique et la charismatique. On pourrait y ajouter l’autorité de simplicité. Tout en étant le chef, Massoud entretenait en effet une réelle proximité avec ses hommes. Plus largement, ce qui a fasciné l’Occident, c’est l’accueil fait aux humanitaires, et le fait que sa vallée du Panshir était gérée comme une province, avec non seulement cet aspect militaire mais également l’administration civile, l’administration sanitaire, l’administration éducative, l’accès aux soins pour les femmes. C’est cela qui a surtout fasciné les écrivains, reporters et humanitaires.

Depuis son « bastion montagneux », Massoud dessinait les contours d’une « contre-société ». Concrètement, en quoi son Afghanistan à lui ressemblait à un laboratoire pour l’Islam des Lumières ?

Il était partisan de l’Islam des Lumières, c’est-à-dire d’un Islam démocrate, modéré, de tolérance, d’acceptation de l’autre mais qui est aussi issu d’une sorte d’exégèse. Par ailleurs, Massoud adorait la poésie soufie, il était imprégné de la poésie persane en général et il avait introduit cette poésie d’un Islam de tolérance dans le daulat (laboratoire islamique dans la Panshir, avec des humanitaires, des étrangers).

Vous avez cette formidable formule dans votre livre lorsque vous évoquez le “rêve à la Nietzsche” de Massoud “désapprendre à faire la guerre”…

Il y a toute une génération d’Afghans qui n’a connu que la guerre et j’ai toujours été étonné de voir que dans les vallées tenues par Massoud, émergeait une génération de jeunes commandants, de jeunes lieutenants, de 20 ans, 25 ans ou 30 ans qui, à travers l’administration du Panshir, savaient gérer le pays des années plus tard. Ils avaient une sorte de vision étatique, de stratégie de l’administration. Tout le génie insufflé par Massoud était là. Il était certes un combattant mais également un visionnaire pour son pays et pour l’ensemble du monde musulman. Il fallait donc en passer par la guerre pour lutter pour la liberté, pour certaines valeurs, et en même temps penser à l’après-guerre. Désapprendre à faire la guerre, c’est aussi parfois en passer par les armes pour pouvoir gérer un pays et être libre.

Quid de son fils, qui semble porter sur ses épaules l’espoir de son pays et des progressistes du monde entier ?

La résistance militaire du fils de Massoud est très fragile. Premièrement parce que les talibans ont très bien travaillé sur l’encerclement de la vallée du Panshir, grâce aux conseillers pakistanais. Deuxièmement parce qu’ils ont pris le contrôle de tous les postes-frontières avant même de prendre Kaboul. Dans cette double stratégie, il y avait un noyautage d’une partie de la région nord, désormais acquise à la cause talibane. Ainsi, la guérilla, la résistance du fils Massoud, est encerclée. J’aimerais cependant parler d’espérance et d’espoir parce qu’existe un deuxième volet à cette résistance : la résistance civile. Celle des femmes, des humanitaires afghans, des manifestants dans les rues… La société afghane est désormais une société 2.0. Elle a connu la liberté et les moyens de communication. Elle est en train de s’organiser à Kaboul et ailleurs en réseaux d’informations pour que les talibans soient accusés de crimes, d’exactions, lorsqu’ils en commettent. C’est cette forme de résistance qui donne beaucoup plus d’espérance.

En bref

Le 9 septembre 2001, le commandant Massoud était assassiné en Afghanistan. Quarante-huit heures plus tard, la face du monde changeait dramatiquement avec l’attentat contre les Twin Towers, à New York. De ce chef de guerre, nous n’avons qu’une idée héroïque, mythique mais néanmoins vague. À l’heure où les talibans reprennent le pouvoir à Kaboul,

Olivier Weber, reporter de guerre et écrivain baroudeur, dresse ici le portrait intime d’un homme qu’il a connu, longuement suivi et maintes fois interrogé dans sa vallée du Panshir. Un témoignage précieux pour mieux comprendre l’Afghanistan d’aujourd’hui. Et le message porté par Massoud, plus que jamais d’actualité.

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