En quête perpétuelle d’absolu, Malaparte ne rentre dans aucune case. A vous lire, ce serait finalement sa maison à Capri qui résumerait le mieux sa vie, son œuvre et son esthétique…
Pierre de Gasquet Malaparte est avant tout un écrivain-aventurier. Plus proche d’un Blaise Cendrars que d’un Louis-Ferdinand Céline. Mais c’est aussi un dandy romantique, pétri de contradictions qui entretient des relations compliquées avec l’Italie. Il adore sa Toscane natale, mais Naples le fascine et l’inquiète à la fois. Sa maison de Capri reflète parfaitement ses ambivalences. Elle intrigue et elle fascine. D’apparence simple, elle contient des recoins secrets, comme la chambre de la Favorite avec sa salle de bains baroque et le bureau du « maître », tout au bout de la villa, en surplomb de la mer. C’est surtout un décor extérieur majestueux, avec un intérieur complexe et compartimenté. Cela ne veut certainement pas dire que Malaparte est superficiel et vaniteux. Mais c’est un perpétuel inquiet, torturé par la tragédie des guerres et sa quête identitaire profonde.
L’écrivain fut un temps séduit par l’idéologie fasciste. Quelle était la nature de ses rapports avec Mussolini ?
D. G. Ce chapitre est le plus complexe de la vie de Malaparte. En Italie, il a même tendance à étouffer son aura, tant la question a pris des détours compliqués. Je ne prétends pas résoudre la question malapartienne, tâche à laquelle deux excellentes biographies, celles de Bruno Giordano Guerri, en Italie, et celle de Maurizio Serra, en France, se sont attelées. Pour moi, Malaparte a cherché toute sa vie à gommer une erreur de jeunesse qui l’obsède. Il ne fait aucun doute qu’il s’est inscrit au parti fasciste en 1922, au retour de Varsovie, et y a été actif pendant moins d’une dizaine d’années. Mais c’est aussi un fasciste « pas comme les autres », un fasciste syndicaliste, proche du peuple, et très vite, il a combattu l’appareil du régime « de l’intérieur », jusqu’à sa rupture officielle avec le parti national fasciste et Mussolini en 1931. N’oublions pas qu’il ira jusqu’à publier Technique du Coup d’Etat, qui lui vaut les foudres du régime en 1931, puis Muss, et Il Grande Imbecille en 1943. Malgré sa réputation de « caméléon », Malaparte a clairement rompu avec Mussolini, plus de dix ans avant la chute du dictateur.
Même si les deux hommes s’estimaient et ont pu partager certains élans, Malaparte n’est pas Céline ! Pour preuve, vous racontez les dessous de ce reportage publié pendant la guerre, dans lequel l’italien avertit de la destruction prochaine des Juifs d’Europe…
D.G Malaparte nourrit une grande admiration pour la verve littéraire et le réalisme magique de Céline. Il y a quelques points communs entre les deux hommes qui ont été traumatisés par la guerre. Dans un élan de solidarité, Malaparte a proposé à Céline une aide financière quand celui-ci s’est retrouvé en prison au Danemark. Mais la comparaison s’arrête là. A la différence de Céline, Malaparte n’est pas antisémite. Il est très proche de l’éditeur Daniel Halévy, grand intellectuel juif et maurrassien notoire. Même Alberto Moravia, qui est sévère pour la vanité et le parcours sinueux de Malaparte, ne l’attaque pas sur ce terrain-là. Le « reportage » de Malaparte, correspondant de guerre, sur le ghetto de Varsovie, et son récit du pogrom de Jassy dans « Kaputt » révèlent plutôt son horreur face à la cruauté du régime nazi. Ce n’est que plus tard dans sa lettre à la jeunesse d’Europe de 1951, écrite à Baden Baden, qu’il tente maladroitement de justifier une certaine passivité italienne face aux événements. Toujours cette ambiguïté qui le caractérise…
En bref…
Curzio Malaparte occupe une place à part dans la littérature mondiale. Tour à tour fasciné par l’engagement et dégouté par la guerre, compagnon de route du fascisme puis ennemi déclaré de Mussolini, « l’Architalien » est l’auteur d’une œuvre insaisissable. Pour la raconter dans toute sa complexité, Pierre de Gasquet prend le parti de visiter la maison mythique de l’écrivain, chef-d’œuvre bâti sur les hauteurs de Capri. Un véritable « autoportrait de pierre », selon l’auteur des Trente-deux marches : « C’est une maison d’écrivain rongé par le doute ». Construite entre 1938 et 1943, la villa Malaparte, d’inspiration rationaliste (courant en vogue sous le régime fasciste) s’est émancipée, à l’image de son propriétaire, de son esquisse originelle pour devenir un monument surréaliste. Plus tard, Jean-Luc Godard y tournera Le Mépris, avec Brigitte Bardot. On y vient désormais en pèlerinage. Et l’on y pénètre, sans complaisance, par ce livre estival élégant.