La part de la population de l’Union européenne ayant reçu une première dose s’élève ainsi à seulement plus de 11%, un chiffre inquiétant pour quiconque se livre à des comparaisons internationales. Ainsi, en Israël, 75 % de la population a déjà reçu la première dose du vaccin et plus de 50% des Israéliens ont été complètement vaccinés. Derrière ces statistiques peu flatteuses pour les pays de l’Union européenne, se cachent des réalités dramatiques : l’accélération du déclassement économique, la remise en cause de certaines libertés fondamentales, les faillites, les licenciements, les dépressions, le mal-être des jeunes, les suicides, etc. Tant en Belgique que dans ses pays voisins, les responsables politiques invoquent le problème du retard des livraisons de doses de vaccins par les groupes pharmaceutiques. « S’il n’y a pas de doses, on peut avoir la meilleure organisation au monde, cela ne changera rien au problème », soupire le docteur Denis Goldschmidt, Chief Medical Information Officer au CHIREC de 2007 à 2018, spécialiste de la confidentialité des données et bénévole au centre de vaccination du Heysel. L’exemple des livraisons chaotiques d’Astra Zeneca illustre dramatiquement le problème. L’incapacité des pays européens à verrouiller leur approvisionnement en vaccins. Contrairement à Israël qui a anticipé en se montrant proactif sur cette question, l’Union européenne a brillé par sa lenteur et son opacité. Les négociations se sont par ailleurs éternisées en raison de la volonté de la Commission d’obtenir les meilleurs prix pour les vaccins à venir alors qu’Israël a décidé d’y mettre le prix. « En cherchant non pas à sécuriser suffisamment de doses le plus tôt possible, pour vacciner le plus vite possible la population mais à obtenir le « meilleur deal », l’Union européenne a ignoré les vaccins efficaces mais évalués « trop chers » et a sécurisé des vaccins non encore autorisés », déplorent les économistes Marc Guyot et Radu Vranceanu, tous deux professeurs à l’ESSEC (France), dans La Tribune (11 février 2021). « L’absurdité économique d’un tel calcul saute aux yeux de même que sa froideur au regard des morts. En effet, étant donné l’impact du confinement et des mesures de contrôle sur le PIB, un recul d’un ou plusieurs semestres de l’immunité collective correspond à un recul dans le moment de l’allègement des mesures de distanciation et de la reprise économique pour un coût astronomique ».
Ursula von der Leyen n’en démord pas, « la stratégie de vaccination européenne est la bonne ». La présidente de la Commission rappelle que les Européens ont, ensemble, réservé 2,3 milliards de doses, largement de quoi immuniser les 450 millions de citoyens européens. Mais suite aux retards des industriels et à la pénurie de doses, la plupart des Etats européens sont obligés de ralentir leur campagne de vaccination alors que le nombre de contaminations ne baisse pas. L’échec de la campagne européenne de vaccination peut-elle s’expliquer au regard de la réussite israélienne ? Si comparaison n’est pas raison, il se peut que le pourcentage élevé des vaccinés israéliens puisse nourrir la réflexion critique sur l’échec européen. D’autant plus que si nous voulons nous débarrasser de ce virus, il faudra atteindre certainement un taux de 80 à 85 % de couverture vaccinale.
Anticipation israélienne
Concernant l’approvisionnement, Israël s’y est pris très tôt. Dès que les informations concernant la réussite de la première phase de développement des vaccins ont été diffusées, Israël a pris les devants en passant des accords de principe avec des groupes pharmaceutiques (6 millions de doses avec Pfizer, 10 millions avec Astra Zeneca et six millions avec Moderna). « C’est évidemment l’accord avec Pfizer et ses garanties d’approvisionnement qui ont permis à Israël de démarrer rapidement », reconnait Michaël Attal, responsable d’un centre de vaccination à Tel-Aviv. « Il est important de rappeler que Pfizer et Israël ont noué depuis de nombreuses années des relations très étroites. Pfizer a donc misé sur la bonne infrastructure logistique israélienne pour faire la démonstration de l’efficacité de son vaccin et il a également obtenu qu’Israël lui communique toutes les données lui permettant de suivre l’évolution de la campagne. Et de son côté, Israël avait besoin du vaccin ». Cet accord est donc un véritable échange réciproque qui avantage les deux parties. Israël a certes payé le vaccin deux fois plus cher mais cela a été vite compensé par l’abandon des confinements dont le coût financier et social est beaucoup plus élevé. La campagne de vaccination n’aurait pas pu être aussi rapide et aussi efficace sans le réseau israélien de quatre caisses d’assurance-maladie (kuppat holim) chargé de vacciner la population. Ce choix judicieux s’est fait en raison des caractéristiques et des compétences de ces caisses d’assurance-maladie. Chaque Israélien est affilié à l’une de ces caisses qui possèdent un réseau de dispensaires médicaux à travers tout le pays. « Grâce à cette architecture sociale, nous disposons de toutes les informations médicales de nos affiliés », explique Michaël Attal ». « Et comme nous sommes bien informatisés, nous pouvons voir en temps réel le nombre de vaccins que nous devons administrer dans l’heure à venir, le nombre de doses à atteindre quotidiennement, les doses restantes, les chiffres en fonction des catégories de population, etc. En tant que responsable d’un centre de vaccination, je dispose ainsi de toute une série d’informations qui me permettent de gérer efficacement la vaccination dans mon dispensaire ».
Leadership logistique
Après l’approvisionnement et l’implication des caisses d’assurance-maladie, Israël a dû relever le défi logistique. Stockées dans les entrepôts de l’entreprise Teva Pharmaceutical, les doses sont livrées par le ministère de la Santé dans les centres de vaccination répandus à travers le pays, en fonction des données que lui fournissent les quatre caisses d’assurance-maladie. Le sentiment d’urgence israélien a eu des conséquences sur la logistique et l’organisation sur le terrain. En une semaine, les centres de vaccination étaient en ordre de bataille pour mettre en œuvre cette campagne. « Israël est habitué aux situations d’urgence. Ce n’est pas nouveau, malheureusement cela l’a formé pendant 70 ans à mettre en place une véritable ‘machine de guerre’ pour pouvoir organiser ce genre d’opérations. Elle devait commencer le 27 décembre, vu la rapidité de l’organisation, cela a même commencé trois jours avant », se souvient Michaël Attal. La dimension locale ne doit pas être sous-estimée : grâce aux dispensaires présents dans chaque quartier, les Israéliens pouvaient facilement avoir accès à un centre de vaccination. L’efficacité logistique n’a pas non plus échappé au docteur Denis Goldschmidt : « Ce pays n’ignore pas que sans une bonne logistique, on ne peut pas gagner une guerre. Or, la logistique est essentielle dans cette campagne de vaccination. Les Etats-Unis l’ont aussi compris puisqu’ils ont mis l’armée et ses plus hauts responsables logistiques à la disposition de Moncef Slaoui [coordinateur de la stratégie vaccinale aux Etats-Unis]. En Belgique, ce n’est pas le cas et en tant que vaccinateur bénévole au Heysel, je ne peux que constater l’amateurisme de la logistique en dépit de l’extrême bonne volonté des personnes impliquées. On ne s’improvise pas logisticien en pleine crise. Cela nécessite des compétences particulières que les militaires maitrisent bien ». Une situation chaotique que confirme le bourgmestre de Namur Maxime Prévot lorsqu’il déclare dans les colonnes du Soir (26 mars 2021) qu’en Belgique « il y a du leadership politique et scientifique dans la lutte contre le virus, mais pas de leadership logistique ». Si le savoir-faire est important, le faire-savoir s’avère aussi déterminant. Les autorités israéliennes ont mené une campagne d’information et de sensibilisation pour que la population accepte de se faire vacciner. La médiatisation de la vaccination des hommes et des femmes politiques a joué un rôle positif. Mais l’adhésion à la vaccination procède aussi d’une culture israélienne favorable aux vaccins en dépit des difficultés rencontrées avec les Juifs ultra-orthodoxes et les Arabes.
« Pas d’armes secrètes israéliennes »
Reste à savoir si l’expérience israélienne est exportable en Europe. « Vacciner 200.000 personnes par jour comme nous le faisons ne nécessite pas d’armes secrètes ni de pouvoirs extraordinaires », insiste Ashi Shalmon, Directeur des relations extérieures du ministère israélien de la Santé. « C’est à la portée de tout le monde pour autant que tous les acteurs impliqués soient bien organisés et fassent preuve de souplesse, de capacité d’adaptation et de coopération à chaque instant ». Lorsqu’une journaliste de RTL a interrogé le professeur Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral de la lutte contre le coronavirus en Belgique, sur le modèle israélien, il a réagi en expliquant que le système belge ne peut pas reproduire ce que fait Israël, « un des rares Etats démocratiques qui peut se permettre de vacciner à un tel rythme ». Il est donc peu probable que la Belgique s’engage dans la voie israélienne, même si la poursuite de la pandémie oblige les autorités belges et européennes à développer les mêmes facultés d’adaptation aux situations d’urgence que les Israéliens.