Avec d’autres camarades, Bernard Fenerberg a compté parmi les résistants belges les plus déterminés contre les nazis. Modeste lorsqu’on évoque son action héroïque dans les rangs de la Résistance, il a témoigné toute sa vie d’un attachement constant aux valeurs humanistes qui l’ont guidé durant la guerre. Il est décédé le 8 mai dernier, soit 80 ans après la date symbolique de la capitulation allemande.
Bernard Fenerberg est né en 1926 à Paris d’une famille juive polonaise. Elle part s’installer en Belgique après la naissance de Bernard. Habitant rue Terre Neuve, au cœur des Marolles, les Fenerberg échappent à la rafle du 3 septembre 1942. Ensuite, Bernard se rend chez l’abbé Bruylants de la paroisse Notre Dame Immaculée à Anderlecht. Aidé par Marieke, une vieille cuisinière, ce prêtre héberge et nourrit des enfants juifs dans une petite maison voisine de l’église. Bernard trouve une mansarde chaussée de Mons et continue à travailler avec son ami Toby Cymberknopf chez un fourreur non juif à côté de l’église du Béguinage. Le soir, il se rend à la cantine de l’abbé Bruylants pour y prendre ses repas et emporter son déjeuner du lendemain qu’il mange à l’atelier.
En mai 1943, la chaleur excessive le pousse à prendre aussi les repas de midi à la paroisse. Le 20 mai, il y trouve Marieke en pleurs. Elle lui explique l’arrivée de la Gestapo et du « gros Jacques » au couvent du Très Saint Sauveur, avenue Clémenceau, où sont cachées 14 filles juives et leur accompagnatrice que les Gestapistes vont embarquer le lendemain. Bernard Fennerberg retourne aussitôt à l’atelier, où il expose les faits à Toby, ami intime de Paul Halter, commandant de corps dans les rangs des Partisans Armés (PA). Ce dernier décide d’agir sans l’accord préalable du commandement des PA.
Paul Halter, Andrée Ermel, Bernard Fenerberg, Toby Cymberknopf et deux autres jeunes font irruption dans le couvent à la tombée de la nuit du 20 au 21 mai 1943. Après un moment initial de terreur, les petites filles sont prêtes à suivre leurs sauveteurs. Tandis que Paul et Andrée se chargent des deux plus jeunes enfants, Toby et Bernard conduisent le reste du groupe à l’appartement de ses parents rue Terre Neuve, craignant à chaque instant de croiser des patrouilles allemandes. Toute la nuit, ils veillent les enfants qui sont prises en charge le lendemain par les résistantes du Comité des défense des Juifs (CDJ). Pour éviter les représailles, la mère supérieure est ligotée et enfermée dans une armoire. Les quatorze fillettes survécurent à la guerre. Après cette incroyable action, Paul Halter accepte d’incorporer Bernard Fenerberg dans les Partisans Armés bien qu’il n’ait pas l’âge minimum requis fixé à 18 ans pour y entrer.
Grand collecteur de témoignages de la Shoah, Johannes Blum ne peut cacher son admiration pour Bernard Fenerberg : « Il s’est lancé dans une action de sauvetage avec détermination, conscient des enjeux de son intervention et faisant preuve d’une maturité exceptionnelle pour un jeune homme. Son jeune âge lui a permis de surmonter la peur qui avait envahi tout le monde. Il avait peur, mais il a agi ».
En 1995 à l’occasion du Congrès de l’enfant caché, Bernard retrouve celles qui ont pu être sauvées grâce à son initiative : « La veille du Congrès, nous nous sommes réunis, cinq des fillettes -Rachel, Mimi, Sarah, Yvette et Jeanine-, Paul, Toby et moi-même, et c’est alors que j’appris que toutes les filles et leur accompagnatrice Gutki avaient survécu à la guerre ». Le hasard a bien fait les choses, répète Bernard : « Si je n’avais pas changé mes habitudes ce 20 mai 1943 en me rendant chez Marieke pour prendre le repas de midi, et si je n’avais pas eu la chance de contacter très rapidement Paul Halter, que seraient devenues ces fillettes ? ».
En 2009, Bernard Fenerberg s’est vu attribuer le titre de Mensch par le CCLJ.
Lorsqu’on lui faisait remarquer que son parcours peut montrer à d’autres « ketjes » de Bruxelles que l’on peut se sortir des situations les plus difficiles, Bernard Fenerberg répondait en 2013 : « Je me suis retrouvé seul malgré moi, mais je suis finalement heureux d’avoir choisi la Résistance dans laquelle d’ailleurs des non-Juifs agissaient également. Dans des circonstances où la réalité a parfois dépassé la fiction, j’ai pu compter aussi sur les heureux hasards. Cela m’a permis de sauver les 14 fillettes du Couvent d’Anderlecht le 20 mai 1943, de rencontrer Paul Halter et d’entrer chez les Partisans. De rencontrer ma femme aussi, Cécile, qui a perdu toute sa famille dans la guerre et avec qui je suis marié depuis 67 ans maintenant. »
La rédaction de Regards et le conseil d’administration du CCLJ présentent leurs sincères condoléances à Patricia et Gérald Fenerberg (ses enfants) ainsi qu’à leur famille et leurs proches.