La position du CCLJ n’a jamais été facile. Cette organisation se définit comme juive, mais elle est résolument laïque ; elle est communautaire, mais universaliste ; attachée à Israël, mais très critique envers son gouvernement ; sioniste, mais soucieuse des Palestiniens. Cette posture la place fréquemment en porte-à-faux, tant vis-à-vis de la communauté juive que des milieux de gauche.
Le CCLJ avance ainsi sur une ligne de crête, tel le marcheur évoqué par Rabbi Nahman de Bratslav, progressant sur une corde tendue au-dessus de l’abîme. Jamais cette position n’a été aussi inconfortable qu’aujourd’hui, alors qu’Israël est dirigé par un gouvernement dont l’extrême droite, aveuglée par une hubris démesurée et encouragée par l’inaction de Trump, entraîne le pays vers l’abîme. Ce gouvernement, consciemment ou non, devient l’allié objectif du Hamas, tandis qu’en Europe comme aux États-Unis, cette gauche qui fut la nôtre s’érige, elle aussi, consciemment ou non, en alliée des pires mouvements islamistes.
Si l’histoire ne se répète pas, elle bégaye assurément, pour reprendre la maxime d’un célèbre petit-fils de rabbin converti. Tandis que l’Occident semble revivre les terribles années 1930, l’État juif, quant à lui, paraît retourner aux années soixante du… 1er siècle de l’ère chrétienne, lorsque des fanatiques messianiques menèrent la Judée à sa perte et provoquèrent la dispersion du peuple juif. Aujourd’hui, les mêmes extrémistes sont prêts à détruire la démocratie israélienne, patiemment bâtie par la gauche laïque, au profit de chimères qui risque de conduire Israël à sa perte. Si rien n’arrête Netanyahou, Israël pourrait basculer dans un régime illibéral, voire autoritaire et, en cas d’annexion de la Cisjordanie, glisser vers un système d’apartheid.
Dans ce contexte, le CCLJ n’a d’autre choix que de condamner, sans craindre les critiques, la politique du gouvernement israélien. Mais la tâche serait infiniment plus aisée s’il ne devait pas, simultanément, affronter une gauche qui, oublieuse de ses engagements passés, s’enfonce chaque jour davantage dans un antisionisme radical, éradicateur, bref, antisémite. La gauche démocratique (la nôtre) s’engage dans cette voie par opportunisme et par pur calcul politique. L’extrême gauche, quant à elle, renoue avec les accents antisémites et/ou antisionistes d’antan, non par amour de la Palestine, mais par opposition viscérale au nationalisme juif. Le mouvement marxiste instrumentalise aujourd’hui la cause palestinienne pour nourrir une haine ancienne, dont les principaux vecteurs ont toujours été les « progressistes » juifs eux-mêmes. Déjà, dans la Russie soviétique, ils furent les premiers à s’attaquer au mouvement sioniste (mais aussi aux mouvements politiques juifs,des tenants de l’orthodoxie juive et aux bundistes), à une époque où la question palestinienne était inexistante.
Leurs héritiers, aujourd’hui, au nom de cette même opposition idéologique obsidionale, sont prêts à toutes les compromissions, à toutes les alliances contre nature pour discréditer le rêve sioniste. Un exemple frappant de cette dérive est la toute récente commémoration organisée, le 19 avril dernier, par l’UPJB au Mémorial National de la Déportation juive de Belgique d’Anderlecht. Officiellement, il s’agissait d’honorer (je cite le site Résistance.S) « la mémoire des jeunes résistants communistes, socialistes et bundistes tombés en héros lors de l’insurrection du ghetto de Varsovie. » Évidemment, il ne fallait pas compter sur les organisateurs pour rappeler que les deux principaux mouvements de résistance dans le ghetto, le ZOB et le ZZW, étaient majoritairement sionistes. Ce silence se comprend à l’aune des invités d’honneur : la crème de l’antisionisme islamiste et radical belge. Citons, au hasard, Bruno Bauwens (PTB), Farida Tahar (Ecolo), Jamal Ikazban (PS) et le désormais célèbre Fouad Ahidar qui, rappelons-le, n’hésita pas, en novembre 2012, lors d’une manifestation anversoise, à scander « Hamas, Hamas, tous les Juifs au gaz ». C’est encore cet éminent invité d’honneur qui, dès novembre 2023, accusa Israël d’utiliser à Gaza les mêmes méthodes génocidaires que les nazis à Auschwitz. Ce choix d’invités n’est pas sans conséquences délétères puisqu’il revient à cashériser des hommes et des femmes qui s’autorisent à nazifier le seul État démocratique de la région. Comment s’étonner, dès lors, qu’on en vienne à profaner des pavés de la mémoire dans un contexte où l’UPJB elle-même pervertit le concept même de génocide ? Je songe notamment à leur seder décolonial où l’on chanta, en yiddish (la langue des poètes assassinés par Staline), le génocide de Gaza. Ces Juifs antisionistes ne sont que des apprentis sorciers, à l’égal de ces ministres israéliens qui, tout récemment, en vinrent, quant à eux, à cashériser des représentants de l’extrême droite européenne.
Bref, le CCLJ se retrouve à la croisée des chemins. Il doit, d’un côté, dénoncer sans complexe la politique israélienne comme si la menace antisémite n’existait pas, et, de l’autre, lutter avec acharnement contre l’antisémitisme comme si l’extrême droite ne menait pas la politique israélienne. Ce combat est d’autant plus difficile à mener que les corps intermédiaires, censés protéger la société — et les Juifs de Belgique en particulier — font preuve d’une étonnante lâcheté (au mieux). L’affaire Brusselmans en est un bel exemple : d’un côté, le parquet de Gand requiert l’acquittement du prévenu ; de l’autre, UNIA, l’agence interfédérale de lutte contre le racisme, botte comme à son habitude en touche. Elle refuse en effet de se constituer partie civile. Surréalisme ? Non : plutôt un retour express à cette politique du moindre mal qui, durant les années noires, en vint à sacrifier les Juifs au nom de l’intérêt général du peuple belge.