Affreux destin que celui de Bernard Natan, le magnat, le « nabab » du cinéma français de l’entre-deux guerres. Nahum Tanenzaph, son vrai nom, était né à Iassy en Roumanie en 1886. Fuyant les pogroms et l’antisémitisme, il rejoignit la France en 1906. Il fit une « belle » guerre de 14, gagna quelques médailles. C’était un homme à la fois ambitieux et modeste. Son rêve : faire de la production cinématographique française, à l’avènement du parlant, l’équivalent du MGM hollywoodien. Toutes proportions gardées, il y parvint. Au sommet de sa reconnaissance (financière, industrielle, politique et bien entendu artistique), il fut la proie de cabales antisémites d’une rare violence. Cet homme puissant avait d’autant plus d’ennemis jaloux que sa réussite était manifeste.
Celui dont Natan avait racheté la production, à savoir Charles Pathé, n’était pas en reste pour souffler sur les braises. On l’accusa d’être un escroc, un usurpateur, un pornographe. C’est l’image qu’on donna de lui dans la fameuse exposition Le Juif et la France inaugurée à Paris le 5 septembre 1941, où il figure dans la rubrique “Les Juifs maitres du cinéma français”. Il devint un second Stavisky, objet de toutes les haines. A la veille de la guerre, Natan passa en jugement et fut emprisonné. Cela dura jusqu’en 1942 où il devait être libéré. Au contraire, comme Juif, on le conduisit directement au camp de Drancy, d’où il partit pour Auschwitz, sans retour. Le livre de l’historienne Dominique Missika est exemplaire. Il donne à voir l’ascension fulgurante de cet homme de génie, amoureux de la France, et met à nu sa chute brutale, inique, jusqu’à sa fin tragique. Après la guerre, comme l’écrit Dominique Missika, « le nom de Bernard Natan est enseveli sous des pelletées de silence ». Quand ce n’est pas sous une rumeur calomniatrice maintenue intacte depuis les années trente, voire décuplée, recopiée paresseusement d’un article, d’un livre à l’autre. Une enquête rigoureuse et combien salutaire.